Les propriétaires de bâtiments commerciaux et institutionnels ont tout intérêt à intégrer la gestion de l’énergie à leurs processus d’exploitation immobilière. Marche à suivre.
« Il en va de notre avenir à tous. » Voilà la toute dernière phrase du nouveau guide sur la gestion de l’énergie dans les immeubles publié par Transition énergétique Québec (TEQ). Appuyé sur une grande variété de sources documentaires qui proviennent notamment de l’AHSRAE, BOMA, Energy Star, ISO 50 001, mais également du World Green Building Council et du Rocky Mountain Institute, ce guide pratique est un plaidoyer sur le bien-fondé d’une saine gestion énergétique des immeubles. Pour illustrer son propos, TEQ a misé sur des exemples concrets ainsi que sur la description d’étapes détaillées. Intitulé Comment implanter la gestion de l’énergie dans les immeubles, l’ouvrage porte bien son nom et il s’adresse aux services responsables de l’exploitation d’immeubles et de parcs immobiliers commerciaux et institutionnels.
Outre les gains financiers qui peuvent se compter en millions de dollars pour un campus universitaire ou encore un hôpital, la gestion optimale de l’énergie s’accompagne de retombées positives sur les coûts d’exploitation, les investissements en maintien d’actifs, la gestion des risques et l’empreinte carbone d’une organisation. À titre d’exemple, un équipement en fin de vie peut faire l’objet d’un remplacement autofinancé grâce aux économies énergétiques et à la diminution des coûts de maintenance. Cette approche permet également de mitiger les risques associés aux bris et aux pannes.
Il faut dire que les avantages vont même au-delà de l’énumération précédente selon Stéphan Gagnon, chargé de projet chez TEQ et coauteur du guide. « La saine gestion énergétique d’un immeuble offrira une dimension de prestige, une meilleure capacité de rétention des locataires et un taux d’absentéisme plus faible en raison des prix et certifications obtenues, de la qualité de l’air intérieur, du confort thermique, etc. » Il y a également des bénéfices financiers en ce qui a trait aux primes d’assurances, qui peuvent diminuer avec la démonstration d’un entretien soutenu des bâtiments et des équipements électromécaniques associés.
Adopter la bonne approche
Cependant, derrière cette chaîne de valeur, se cache une série d’impératifs qui méritent l’attention de ceux qui aspirent à intégrer la gestion de l’énergie au sein de leur organisation. Stéphan Gagnon vulgarise l’approche ainsi : « En premier lieu, on doit convaincre sa hiérarchie. Ensuite, il faut se doter d’une organisation solide, car l’équipe interne doit être adéquatement formée et avoir en main des outils de suivi adéquats. » À cet effet, le chargé de projet de TEQ explique qu’il est souvent nécessaire de former le personnel sur le suivi des systèmes électromécaniques complexes ou complexifiés d’un bâtiment performant. Pour cette raison, il importe d’aller chercher des formations pointues et adéquatement ciblées. « L’offre pour de telles formations est disponible sur le marché », précise-t-il.
En cours de projet, TEQ encourage l’utilisation de la valeur actuelle nette (VAN) comme indicateur permettant de sélectionner la configuration la plus performante pour un projet. « En mode acquisition, on encourage les gestionnaires à définir des critères de performance minimaux, puis à faire un appel d’offres basé sur le coût global de l’investissement. Prenons le cas d’un refroidisseur, indique Stéphan Gagnon. Sur 30 ans, les coûts d’énergie et de maintenance s’additionneront aux coûts initiaux d’acquisition et d’installation. Ce sont tous ces coûts qui doivent être additionnés et ramenés à l’an 0 pour bien illustrer la VAN de l’équipement. » Que ce soit pour des projets de constructions neuves ou de rénovations, toute la durée de vie de l’équipement doit être considérée, de l’acquisition à la disposition, en passant par les frais de gestion de risques associés.
L’utilisation de la VAN n’est cependant pas encore pratique courante, observe Claude Handfield, directeur du Service des immeubles, division Ingénierie, à l’Université de Sherbrooke, où il mène des projets d’efficacité énergétique depuis plus d’une quinzaine d’années. Il explique : « Nous souhaitons en venir à utiliser la VAN comme outil de sélection, mais cette procédure n’est pas encore intégrée. Nous sélectionnons les équipements critiques selon des critères de performance et de fiabilité étoffés, mais une analyse des coûts du cycle de vie n’est pas effectuée systématiquement pour chaque projet, notamment par manque de temps, tout simplement. »
Intégrer les bonnes pratiques
L’Université de Sherbrooke ne fait pas moins figure de proue dans l’intégration des bonnes pratiques de gestion énergétique. En plus d’avoir obtenu plus de six millions de dollars en aide financière de la part d’Hydro-Québec, d’Énergir et de TEQ au cours des 15 dernières années, l’organisation pourra bientôt se targuer de gérer un parc de production d’énergie renouvelable de plus de 1 MW, avec l’ajout prévu à l’automne 2018 d’un parc photovoltaïque de 950 kW. Il faut dire que l’université, citée en exemple dans le guide de TEQ, vise un campus avec empreinte carbone à 50 % sous le niveau des émissions de 1990, tel l’objectif de Kyoto. Une consommation énergétique de moins de 1 GJ/m2 sur l’ensemble du campus est également dans la mire d’ici 2021. À titre comparatif, en 2015-16, la moyenne du réseau universitaire était de 1,27 GJ/m2.
L’équipe avec laquelle travaille Claude Handfield est bien au fait des cibles visées et s’en trouve ainsi motivée. « C’est une culture organisationnelle, commente-t-il; une fois la cible atteinte, on en choisit une nouvelle. Tout le monde est fier de contribuer. »
Le campus consomme non seulement moins, mais il consomme également mieux, c’est-à-dire de manière plus uniforme dans le temps. Le facteur d’utilisation de la puissance électrique est soigneusement maximisé (± 92%), notamment grâce à une équipe compétente et dévouée. Cela dit, la réalité n’est pas moins présente pour cette équipe. Claude Handfield l’illustre ainsi : « Une toilette bouchée ou encore une température inadéquate demeure prioritaire. L’efficacité énergétique fait partie de nos préoccupations quotidiennes, mais ce n’est pas au détriment du service à la clientèle. »
Que ce soit avec la géothermie, les thermopompes sollicitées à l’extrême ou encore les équipements de pointe, le Service des immeubles de l’Université de Sherbrooke a lui aussi son lot de défis à relever. Parmi les solutions développées, Claude Handfield cite en exemple les projets avec des séquences de contrôle très complexes. Désormais, son équipe est impliquée dès la phase de conception dans le développement de celles-ci, de sorte que l’approche adoptée pour les séquences de contrôle concorde avec la philosophie des futurs opérateurs. Cela permet d’attraper des incohérences en amont du projet, tout en facilitant l’adhésion de l’équipe à de nouvelles technologies.
* Marie-Ève Sirois est directrice d’Écobâtiment
Disponible en ligne, le guide de Transition énergétique Québec intitulé Comment implanter la gestion de l’énergie dans les immeubles documente cinq cas québécois d’échelles variées, en plus d’offrir une démarche concrète pour les gestionnaires d’actifs immobiliers.
Voici les cas présentés dans cet ouvrage :
- le 1000 De La Gauchetière à Montréal;
- l’Université de Sherbrooke;
- le CRCHUM;
- la Commission scolaire des Samares;
- la Maison du développement durable.
Le guide est composé de sections spécifiques pour les bâtiments neufs, bâtiments avec locataires et bâtiments existants.
De plus, il contient tout l’argumentaire nécessaire pour convaincre l’organisation du bien-fondé de la gestion intégrée de l’énergie. On y retrouve aussi les étapes de mise en œuvre et les composantes essentielles d’une stratégie de gestion de l’énergie bien structurée.
- Obtenir l’appui de la direction de l’organisation.
- Selon l’ampleur du bâtiment ou du parc immobilier, désigner une personne ou une équipe responsable de la gestion de l’énergie.
- Avoir une équipe interne formée adéquatement pour les besoins de la gestion de l’énergie.
- Obtenir l’adhésion du personnel d’entretien par rapport à la stratégie de gestion énergétique adoptée.
- Développer des outils de suivi efficaces et alignés avec les objectifs fixés.
- Définir des critères pointus pour les équipements critiques, c’est-à-dire ceux qui ont un impact majeur sur la consommation énergétique.
- Communiquer les bons coups à l’interne et à l’externe.
- À l’Université de Sherbrooke, c’est un montant d’au moins 2.5 M$ par année qui est épargné sur les factures d’énergie grâce à la gestion énergétique intégrée.
- Pour le 1000 De La Gauchetière, les mesures d’efficacité énergétique d’Ivanhoé Cambridge ont permis de réduire la consommation énergétique de 32,4 % en 13 ans (Source : TEQ, 2018).
- Pour la commission scolaire des Samares, le programme de gestion de l’énergie a permis une réduction de 44 % de la facture d’énergie, ce qui correspond dans ce cas particulier à des économies de 4 M$ par année (Source : TEQ, 2018).
- De manière générale, une organisation qui amorce un périple en efficacité énergétique peut s’attendre à une première vague de projets dont la période de retour sur l’investissement (PRI) varie entre 3 et 5 ans, alors qu’au-delà d’un certain niveau de maturité en efficacité énergétique, il est plus réaliste de viser des PRI de 7 à 10 ans.