Gros plan sur une étude inédite démontrant, modélisation et chiffres à l’appui, la pleine valeur financière du bâtiment durable. Et d’autant plus en cette ère où la résilience climatique n’est plus une option.
Quarante-cinq pour cent ! C’est le gain de valeur que peut capter un bâtiment dont le design est le fruit de l’intégration de stratégies durables, dans la foulée d’investissements additionnels de 6 % en décarbonation dès le départ, à la dixième année suivant sa construction. D’où émane ce constat ? Du projet de recherche-action Générations 1,5 ˚C du Fonds immobilier de solidarité FTQ, mené en partenariat avec le Groupe Devimco, Hydro-Québec et Énergir.
Pilotée par Akonovia, avec le concours de Vertima (analyses de cycle de vie) et BJC (modélisation financière), cette étude a été réalisée du printemps à l’automne 2023. Elle s’est articulée autour de la modélisation d’un bâtiment multirésidentiel – un actif du portefeuille du Fonds immobilier –, incluant des espaces commerciaux au rez-de-chaussée, dont la construction avait requis à l’époque un investissement de quelque 60 millions de dollars.
Elle visait à évaluer l’impact sur la valorisation financière d’un actif immobilier en prenant en compte l’augmentation des dépenses en capital requises pour y intégrer des mesures durables lors de sa construction et la réduction des dépenses d’exploitation durant sa période de rétention. Mais aussi à démontrer la pleine valeur financière du bâtiment durable ainsi qu’à faire tomber les idées préconçues selon lesquelles il en coûte plus cher globalement d’investir dans la construction d’un immeuble performant et résilient.
Dans le cadre de cet exercice, le coût de construction de l’actif immobilier de référence existant, livré en 2018 et stabilisé depuis quelques années, a été actualisé à 100 millions de dollars et sa durée de vie utile fixée à 60 ans. L’investissement qui serait requis aujourd’hui inclut des déboursés supplémentaires de six millions pour l’amélioration de sa performance énergétique et sa décarbonation, tant sur les plans opérationnel qu’intrinsèque. Ceci après avoir modélisé les émissions de gaz à effet de serre, incluant les émissions fugitives des réfrigérants, et procédé à une analyse de cycle de vie des matériaux sur le plan structural et du côté des cinq faces de l’enveloppe architecturale.
On a aussi vu à faire, en fonction de deux scénarios, une sélection optimale des équipements et des sources d’énergie avec en arrière-plan les objectifs de supporter une période de transition énergétique et d’augmenter la résilience de l’actif. Cette démarche s’est principalement articulée autour d’un usage principal et judicieux de l’électricité de même que sur le recours au gaz naturel renouvelable en appoint – pour écrêter les pointes hivernales d’Hydro-Québec sur le plan de l’appel de puissance –, à la biénergie et à des concepts électromécaniques permettant notamment d’ajouter de nouvelles composantes, dans le futur, selon la disponibilité de nouvelles sources d’énergie renouvelable. Sans compter qu’on a aussi introduit dans le bâtiment un système de récupération d’énergie sur les eaux usées rejetées à l’égout et remplacé les plinthes électriques dans les unités d’habitation par un système de thermopompes couplé à une boucle énergétique.
Modélisation financière
L’étude s’est également accompagnée d’une modélisation financière du bâtiment rénové sur la base de l’inclusion de mesures de développement durable. Il s’en est dégagé un constat qui apparaissait déjà évident aux yeux de Serge Cormier, vice-président, ESG, création de valeur et immobilier durable du Fonds immobilier de solidarité FTQ. Il explique :
« Lorsque l’on compare la performance du bâtiment ‘‘brun’’ au bâtiment ‘‘vert’’, comme on dit en imageant, on voit bien que l’investissement additionnel consacré à l’optimisation de la performance environnementale de l’immeuble en vaut vraiment la chandelle.
« À une ère où les changements climatiques s’accentuent et que leur impact est appelé à se répercuter avec toujours plus d’acuité dans l’industrie immobilière, ajoute-t-il d’un trait. Il est démontré dans notre étude qu’il faut nécessairement investir dans la durabilité d’un bâtiment, et dans sa résilience, non seulement physique mais aussi financière. Autrement, il y aura risque de perte de gain de valeur pour un actif immobilier, voire d’un risque de perte de valeur pur et simple. »
Risque. Voilà, le mot clé est lâché. Risques au pluriel, en fait, car il y en a plus d’un :
- diminution, hausse limitée ou stagnation des revenus locatifs dans le temps en comparaison;
- resserrement des codes de construction;
- adoption de nouvelles lois;
- augmentation des coûts de l’énergie (électricité et gaz naturel);
- taxe carbone (opérationnel et intrinsèque);
- hausse des coûts d’assurance;
- incitatifs ou pénalités des institutions financières sur les taux d’intérêt offerts;
- variation du taux de capitalisation à la sortie.
Philippe Hudon, président d’Akonovia, n’hésite pas à taper à son tour sur le même clou : « Depuis plusieurs années, le marché de l’efficacité énergétique considère uniquement la période de retour sur investissement des projets en visant une période de cinq ans. Dans la réalité d’aujourd’hui, il faudrait regarder plutôt le risque de ne pas investir. Si nous regardons les différents risques, notamment l’obligation de réinvestir dans un bâtiment qui ne répondra plus aux exigences de marché, nous nous exposons à plusieurs risques avec une possibilité ou non de se matérialiser.
« À l’inverse, poursuit-il, un bâtiment durable permet de se prémunir contre différents risques, sinon de les atténuer. Dans le domaine de l’immobilier, nous sommes au début de la transition énergétique, comme ce fut le cas pour la transition numérique. C’est en période de changement et de turbulence que nous verrons des leaders sortir du lot. »
Changer les perceptions
Et c’est là qu’entrent en jeu les investisseurs immobiliers. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce sont eux qui détiennent la clé permettant de consentir, ou pas, des sommes additionnelles à l’intégration de mesures durables dans le design et la construction des bâtiments et d’en reconnaître les avantages financiers. Bref, les meilleures intentions des développeurs et des concepteurs de projets ne trouveront pas écho si les financiers refusent ou hésitent à leur emboîter le pas.
D’où l’importance de changer sans plus tarder leur perception dans la foulée du projet de recherche-action Générations 1,5 ˚C car le changement ne s’opérera pas si l’argent n’est pas au rendez-vous. Parce qu’aujourd’hui encore, à l’évidence, il reste un nœud à délier entre la lecture financière que font les investisseurs et le risque de ne pas consentir un investissement additionnel dans un bâtiment qui se voudra résilient sur le plan environnemental et qui gagnera en valeur dans le temps.
« Les bienfaits d’une certification telle que LEED ou encore WELL, où l’on parle notamment d’optimisation du confort des occupants, d’amélioration de la santé et de baisse du taux d’absentéisme, ça ne parle pas beaucoup aux investisseurs. Ils ne sont pas insensibles à ça, loin de là, mais ils ont encore aujourd’hui des difficultés à en concrétiser sur les rendements qu’ils recherchent », indique Serge Cormier.
C’est pour cette raison que l’étude du Fonds immobilier de solidarité FTQ s’est plus particulièrement attardée à démontrer la rentabilité du bâtiment durable. « Est-ce qu’il y a des investissements supplémentaires à consentir, la réponse est oui, dit Serge Cormier. Mais il fallait aussi démontrer l’impact positif sur le rendement financier attendu ou sur la protection de la juste valeur marchande d’un actif immobilier dans le temps.
« Il y a des investisseurs qui en sont conscients, ajoute-t-il du même élan, mais d’autres qui demeurent encore sceptiques. Ce ne sont pas tous les investisseurs qui vont reconnaître qu’un bâtiment ‘‘brun’’ va perdre de la valeur, contrairement à un bâtiment ‘‘vert’’. Pour eux, année après année, leur projection dans le bâtiment demeure la même. Cette courbe qu’ils définissent dans le temps est assujettie à des cycles économiques et la moyenne leur a donné raison depuis longtemps. »
Reste que pour lui, il est évident que nous n’en sommes plus seulement dans un cycle économique; on vient de s’engager dans un cycle environnemental. Avec pour conséquence que les risques augmentent et que les impacts sont de plus en plus grands sur le plan de la valorisation des actifs immobiliers.
« Cela fait que ça vient changer toute l’approche par rapport à l’analyse financière d’un projet, surtout quand on pense que des institutions financières pourraient même aller restreindre l’accès à leurs capitaux pour certaines catégories d’actifs dans le futur en considérant les risques. Mais les investisseurs, et il y en a qui le sont déjà d’ailleurs, ne demandent qu’à être convaincus de la rentabilité dans le temps du bâtiment durable », constate-t-il.
Accélérer la décarbonation
Si la rentabilité du bâtiment durable n’est maintenant plus à démontrer, il reste qu’il faut pousser plus avant la décarbonation du domaine du bâtiment au Québec. Beaucoup encore de travail à faire, donc, mais l’horizon s’éclaircit, d’autant plus suivant la publication de Générations 1,5 ˚C. Hydro-Québec, qui est bien placée pour en parler, constate d’ailleurs un engouement sans précédent pour l’énergie propre du Québec en lien avec la transition énergétique qui se matérialise et s’accélère sur la scène mondiale.
« L’une des priorités de notre Plan d’action 2035 Vers un Québec décarboné et prospère est d’aider notre clientèle à faire une meilleure consommation de l’énergie. Grâce au travail de nos équipes, nous voulons aussi aider nos clients à consommer au bon moment. Générations 1,5 ˚C était pour nous une occasion incontournable de se joindre à des joueurs influents du marché afin de se donner des objectifs communs. Il était avant tout important pour nous de démontrer que des mesures d’efficacité énergétique et de gestion de la demande en puissance sont indissociables d’un plan de décarbonation viable », explique Éric Bernier, directeur, Clientèle affaires et efficacité énergétique au sein de la société d’État.
Même son de cloche du côté d’Énergir, pour qui Générations 1,5 ˚C représente une occasion de concrétiser la vision du bâtiment du futur pour en explorer le potentiel économique et environnemental. Parce qu’il permet de jeter les fondations d’une approche holistique du bâtiment qui contribuera à répondre aux besoins et aux défis des décennies à venir de ce secteur.
« Comme il est suggéré dans le rapport, l’opérationnalisation énergétique d’un bâtiment se doit d’être en étroite symbiose avec sa conception et/ou sa rénovation énergétiquement efficace. C’est dans cette optique que l’intégration d’une solution énergétique, comme la biénergie/gaz naturel renouvelable, contribue à assurer une opération optimale du bâtiment, se traduisant ainsi par moins d’émissions de GES, voire une amélioration marquée du bilan carbone du bâtiment. Le parfait exemple de la meilleure énergie, au meilleur moment et au meilleur coût possible », indique Brigitte Samson, directrice exécutive principale, Solutions énergétiques clients et service à la clientèle chez Énergir.
Elle précise qu’il s’agit de la première recherche-action qui met la table, au moyen de la modélisation d’un bâtiment existant, pour démontrer la pleine valeur financière d’un bâtiment durable et efficace à travers le temps.
Groupe Devimco n’est pas en reste, et c’est pourquoi il a rejoint le partenariat de l’étude menée par le Fonds immobilier de solidarité FTQ. « Générations 1,5 ˚C prouve que les investissements supplémentaires initiaux doivent être considérés », estime Caroline Girard, vice-présidente, Gestion immobilière de cette grande entreprise qui souhaite démontrer les possibilités de construire des immeubles soucieux de l’environnement, tout en maintenant une rentabilité financière à court, moyen et long terme.
L’appellation du projet de recherche-action du Fonds immobilier de solidarité FTQ est tout aussi accrocheuse que pleine de sens. Et ce n’est pas le fruit du hasard.
Serge Cormier, vice-président, ESG, création de valeur et immobilier durable du bras immobilier du Fonds de solidarité FTQ, explique : « C’est un nom qu’on a trouvé conjointement Jean-François Pelletier, le chargé du projet de recherche d’Akonovia, et moi, parce qu’on voulait illustrer notre préoccupation pour le legs que nous devons laisser aux générations futures.
« Puis le 1,5 degré Celsius, il vient évidemment de la COP 21 où il a été établi comme étant l’objectif de réduction à atteindre, poursuit-il. La science est en train de nous dire qu’on n’y arrivera pas et que même la cible de 2 degrés Celsius commence à être ambitieuse. Ce qui fait qu’on a vraiment beaucoup de travail à faire pour ajuster nos actions sans plus tarder. »
Il fait remarquer qu’il importe de ne pas perdre de vue que le 1,5 degré Celsius doit demeurer un objectif. « On ne peut pas chaque fois qu’on n’en atteint pas un [objectif] en fixer tout de suite un second. Je pense qu’on doit garder en tête que 1,5 c’est une cible à atteindre encore. »
Bâtiment de référence existant
- Flux à l’investisseur initial : 100 %
- Flux à l’investisseur ajusté après sept ans : 85 % (perte de 15 %)
- Flux à l’investisseur à la 10e année suivant une obligation de rénovation majeure – à la 7e année en raison du resserrement des exigences réglementaires : 20 % (perte de 80 %)
Bâtiment durable performant (investissement additionnel de 6 %)
- Flux à l’investisseur initial : 85 %
- Aucune rénovation majeure requise
- Flux à l’investisseur à la 10e année mis à l’abri des principaux risques pouvant affecter sa valeur : 130 % (gain de 45 %)
Les constats des partenaires du Fonds immobilier de solidarité FTQ au terme du projet de recherche-action Générations 1,5 ˚C:
« Il est possible de réaliser des immeubles présentant des caractéristiques efficaces en matière de carbone opérationnel et de carbone intrinsèque, mais il y a quand même des choix judicieux à faire en début de projet, incluant la considération des appuis financiers gouvernementaux, etc. En fait, avec la hausse probable des coûts de l’énergie, l’apparition potentielle d’une taxe carbone, la hausse des primes d’assurance et les restrictions quant à l’accès aux capitaux des banques pour des actifs à risque environnementaux, ne pas prendre en considération ces éléments pourrait rapidement s’avérer être une décision qui affecte la valeur de l’immeuble à long terme. »
- Caroline Girard, vice-présidente, Gestion immobilière chez Groupe Devimco
« La consommation d’énergie n’est qu’une partie de l’équation. Une vraie stratégie de décarbonation doit également tenir compte des émissions de carbone intrinsèques, soit celles liées par exemple à la production des composantes de l’édifice, qui représentent une part importante des émissions de gaz à effet de serre d’un projet.
« Cela dit, sur le volet énergétique le constat le plus important pour Hydro-Québec est qu’en mettant en œuvre des mesures en efficacité énergétique et en gestion de la demande de puissance, il est possible de décarboner presque complètement un bâtiment sans pour autant augmenter la demande en énergie ou en puissance électrique qui y sont liées. »
- Éric Bernier, directeur, Clientèle affaires et expertise énergétique chez Hydro-Québec
« Les bâtiments du futur devront miser sur des systèmes multi-énergies renouvelables, contribuant non seulement à la résilience physique et financière du bâtiment, mais permettant aussi d’accélérer la décarbonation de toute l’économie. La redondance des systèmes permet d’assurer la continuité de services essentiels, comme le chauffage des espaces, en cas de panne, tandis que l’hybridation des solutions proposées dans le cadre du rapport offre une meilleure adaptabilité au contexte évolutif des tarifs d’énergie. Les configurations retenues dans le cadre du rapport de recherche démontrent la valeur ajoutée d’une complémentarité des systèmes électriques et gazeux renouvelables (…) »
- Brigitte Samson, directrice exécutive principale, Solutions énergétiques clients et service à la clientèle chez Énergir