Pour éviter que les oiseaux entrent en collision avec la surface vitrée des immeubles, de plus en plus de villes exigent dorénavant la mise en place de mesures visant leur protection, notamment avec l’utilisation de vitrage plus sécuritaire.
Octobre 2023. Aux abords du lac Michigan, à Chicago, à proximité du McCormick Place Lakeside Center, une scène surréaliste : 961 oiseaux migrateurs gisent au sol, inertes. Cette hécatombe, quoique tragique, est malheureusement symptomatique d’un phénomène relativement récent, propulsé d’une part par les édifices aux façades extérieures en verre, mais aussi, par les fenêtres de plus en plus transparentes et réfléchissantes.
Les surfaces hautement réfléchissantes ou transparentes sont un véritable danger pour les oiseaux, qui ne les reconnaissent pas comme des surfaces solides. « Les oiseaux vont voir le reflet d’un arbre dans la fenêtre et vont frapper la vitre en voulant s’y poser », explique Marie-France Bélec, architecte associée chez Automne architectes. Elle ajoute également que les fenêtres où des plantes intérieures sont visibles peuvent laisser l’impression aux oiseaux qu’ils peuvent s’y poser.
Facteurs de risque
On estime que jusqu’à plus de 40 millions d’oiseaux meurent chaque année d’une collision avec des surfaces vitrées au Canada. On pourrait penser que cette triste statistique est surtout causée par les bâtiments de grande hauteur, mais il n’en est rien.
« Environnement et Ressources naturelles Canada explique que seulement 1 % des collisions se produiraient contre des bâtiments de grande hauteur. La grande majorité des collisions sont dues à des bâtiments de faible hauteur, donc à la hauteur des arbres », souligne Marie-France Bélec.
Elle affirme toutefois que les collisions avec des bâtiments de grande hauteur demeurent risquées pour les oiseaux migrateurs, notamment dans des villes comme Chicago, Houston, New York, San Francisco et Toronto, qui sont situées à l’intérieur des corridors migratoires importants.
L’architecte a elle-même pu constater l’ampleur du phénomène des collisions d’oiseaux après être déménagée à la campagne. Dans cet environnement plus boisé, elle s’est soudain mise à retrouver au sol des oiseaux morts qu’elle n’avait même jamais vu voler dans les environs. « Et ça, c’est sans compter ceux qui sont morts plus loin ou qui ont été emportés par des prédateurs », précise-t-elle. De là, elle a commencé à se poser des questions et à chercher des solutions.
« C’est paradoxal : on recherche une connexion avec la nature, donc on utilise de plus en plus de grandes surfaces vitrées, mais c’est justement ce qui augmente le risque de mortalité pour les oiseaux », constate l’architecte.
Protégés par la loi
Toronto est la première ville en Amérique du Nord à avoir émis en 2007 des recommandations volontaires pour rendre les nouvelles constructions et les bâtiments existants plus sécuritaires pour les oiseaux. Celles-ci sont devenues obligatoires en 2009 en vertu du Toronto Green Standard. Selon cette réglementation, les bâtiments de plus de quatre logements doivent être dotés de vitres faiblement réfléchissantes ou opaques, ou alors comporter des marqueurs visuels dépolis à l’acide espacés d’au plus 5 cm sur la face extérieure. Ces marqueurs sont généralement composés de points ou de lignes horizontales ou verticales.
C’est en 2011 qu’une poursuite devant la Cour fédérale du Canada en vertu de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, contre un complexe de bureaux de Toronto qui avait causé la mort de centaines d’oiseaux migrateurs, a mené à la création de la norme CSA A460:19 Conception de bâtiments respectueuse des oiseaux.
Aujourd’hui, on compte des réglementations visant à limiter les collisions d’oiseaux contre les bâtiments dans plusieurs villes américaines de grande envergure comme New York et San Francisco, et plusieurs autres considèrent actuellement cette option. Inspirées par Toronto, de grandes villes canadiennes comme Calgary, Vancouver et Ottawa ont emboîté le pas et proposent aujourd’hui des lignes directrices volontaires en ce sens.
Plus près de nous, à Montréal, l’Arrondissement de Saint-Laurent a adopté en juin dernier une modification réglementaire visant à réduire le risque de collisions d’oiseaux sur son territoire. Certains types d’habitation comprenant des murs extérieurs fenestrés ou vitrés à plus de 50 % devront conformer leurs vitrages à un traitement particulier en cas de nouvelle construction, d’agrandissement ou de modifications extérieures. Le verre transparent est également interdit pour les garde-corps extérieurs situés à moins de 16 m du sol ou à moins de 4 m à partir du niveau d’une toiture végétalisée. En outre, de nouveaux critères d'évaluation sont également introduits pour concevoir des bâtiments et des aménagements paysagers favorisant la protection des oiseaux à proximité des milieux naturels de l’arrondissement afin d’empêcher ou réduire la réflexion des boisés et des étangs dans les vitres des bâtiments.
Une reconnaissance LEED
Si les fenêtres contre la collision des oiseaux commencent à être de plus en plus demandées dans certaines villes, il reste encore du travail à faire afin de les faire connaître et de sensibiliser les donneurs d’ouvrage à leur importance pour la conservation de la biodiversité. Dans sa version v4.1, la certification LEED octroie dorénavant un crédit dans la catégorie Innovation pour l’utilisation de surfaces conçues pour réduire la collision des oiseaux. Auparavant, il s’agissait d’un crédit pilote. « Par contre, pour l’obtenir, il faut aussi être conforme au crédit sur la pollution lumineuse. Ils ont associé les deux », mentionne Josée Lupien, présidente de Vertima.
Ce crédit touche surtout la réflectivité des matériaux. La majorité des matériaux utilisés doivent avoir un facteur de risque de 30 et moins selon la classification de l’American Bird Conservancy. Une surface avec un facteur de risque de 30 signifie que les collisions vont être réduites d’au moins 50 %.
La spécialiste en bâtiment durable précise : « On a tendance à penser que c’est juste le verre, mais ce sont tous les matériaux de l’enveloppe qui peuvent causer des risques de collisions pour les oiseaux », dit-elle.
Josée Lupien ajoute que dans la nouvelle version LEED v5, cette exigence ne sera plus considérée comme un crédit en Innovation, mais bien comme un requis qui a été jumelé au crédit pour la pollution lumineuse. Cette modification à venir montre l’évolution de la norme afin de reconnaître davantage cet enjeu environnemental.
Changement de culture nécessaire
Dernièrement, Vertima a travaillé sur la certification de cinq haltes routières pour le compte du ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec, et où du verre contre la collision des oiseaux est utilisé. Deux haltes routières, soit celle de Villeroy et de Lavaltrie, ont réussi à obtenir le crédit LEED pour cette catégorie.
« Par mesure de sécurité, les haltes routières sont souvent très éclairées, ce qui nuit à l’obtention du crédit », nuance Josée Lupien. Dans les deux cas, un verre avec un motif composé de lignes dépolies à l’acide et un verre couvert d’une pellicule opacifiante ont été utilisés. Ceci crée un contraste qui permet aux oiseaux de constater que la vitre est une surface solide et les incite à voler dans une autre direction.
Mais il reste que le verre contre la collision des oiseaux demeure encore marginal au Québec. Pourtant, les oiseaux sont essentiels à la biodiversité, mise à mal par les changements climatiques, en plus de contribuer à notre bien-être. « On dit que les chants d’oiseaux sont liés à notre sentiment de sécurité, car dans la nature, quand il y a un prédateur, ils vont arrêter de chanter », mentionne Marie-France Bélec. Des chercheurs de l’Institut Max Planck de développement humain à l'Université Hambourg-Eppendorf ont également remarqué une réduction de l’anxiété et des états paranoïaques en exposant 295 participants à six minutes de chants d’oiseaux.
Avec l’intérêt grandissant pour les oiseaux pendant la pandémie, notamment en raison du télétravail et des applications d’identification comme Merlin Bird ID ou Bird Net de Cornell Lab, il sera de plus en plus facile de contribuer au dénombrement des espèces à travers le monde. « Plus les gens feront des observations, plus les chiffres seront précis et nous permettront de bien comprendre ce qui se passe pour ensuite agir aux endroits critiques », s’enthousiasme Marie-France Bélec, qui y voit également un bel outil de sensibilisation de la population et de changement des consciences à l’égard des oiseaux.
- Traiter les surfaces vitrées transparentes ou réfléchissantes
- Construire des structures permanentes intégrées (toiles, grilles, pare-soleil, moustiquaires, grillages, volets, persiennes, etc.)
- Éviter les passages et angles transparents exposés au ciel ou à l’habitat des deux côtés
- Limiter la porosité des grilles de ventilation de bâtiment au niveau du sol
- Privilégier un éclairage extérieur qui minimise les éblouissements et les lumières intrusives au moyen de luminaires qui sont entièrement masqués et dont l’émission de lumière bleue est réduite
- Atténuer ou éteindre l’éclairage intérieur du coucher au lever du soleil
- Près de zones de végétation (forêts, arbustes et parcs)
- À proximité de rivages, de marécages ou de zones humides
- Près des corridors de migration
- Jusqu’à une hauteur de ± 12 m (40 pieds) des façades ou jusqu'à la hauteur moyenne du couvert végétal local
- À proximité des toitures végétalisées
- Au niveau des passerelles aériennes
- Atriums et cours intérieures où il y a présence de végétation et/ou de plans d’eau/fontaines/jeux d’eau
- Près d’un éclairage nocturne