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Place au chauffage de l’eau domestique au CO2

29 octobre 2024
Par Jean Garon

Le chauffage de l’eau chaude domestique au CO2 fait désormais partie des solutions de décarbonation des bâtiments. Coup d’œil sur une première application dans le secteur multirésidentiel au Québec.

À l’été 2023, CAPREIT, avec l’assistance de Krome Services, a mis en place un système de thermopompes réfrigéré au dioxyde de carbone (CO2) pour le chauffage de l’eau domestique d’un immeuble de 160 logements en rénovation. Ce serait une première dans le domaine au Québec selon l’ingénieur Antoine Colney, qui est également directeur Conception - Énergie dans l’entreprise.

« Notre client, Canadian Apartment Properties REIT, ou CAPREIT, nous a demandé de prendre en charge son projet de décarbonation et c’est nous qui avons proposé cette solution. En réalité, on n’a rien remplacé. On a simplement ajouté deux thermopompes aux équipements actuels pour les besoins de chauffage de l’eau domestique. »

« Auparavant, explique-t-il, deux chaudières au gaz naturel et deux grands réservoirs de 1 500 gallons chacun assuraient cette tâche. Initialement, nous avons deux réseaux distincts avec chacun d’eux une chaudière et une réserve. Durant notre projet, nous avons regroupé les réseaux pour augmenter la redondance et l’efficacité des systèmes.

Antoine Colney indique que cette configuration en réseaux des thermopompes et des chaudières au gaz permet vraiment de rendre plus propre le chauffage de l’eau domestique en réduisant entre 80 et 90 % l’empreinte carbone du bâtiment. De plus, ça permet d’assurer la redondance de la chaufferie de l’eau domestique en sécurisant l’approvisionnement pour les locataires.

« Le projet, précise-t-il, a été mis en service voilà depuis un an bientôt, et les résultats sont atteints. Ce n’est plus une estimation mais une réalité. »

Efficacité optimisée

Pourquoi avoir choisi spécialement le CO2 naturel plutôt que d’autres réfrigérants dans ce cas particulier de bâtiment multilogement ? « Parce que le CO2 trouve son efficacité à des débits extrêmement faibles et à des différentiels de température très bas, répond l’ingénieur. Plus la température à l’entrée est froide, plus le système de chaufferie sera efficace, en particulier lorsque la consommation d’eau chaude n’est pas constante dans une journée, en étant surtout concentrée le matin, le midi et le soir.

Philippe Simard et Antoine Colney

« On sait que le réfrigérant CO2 est efficace et de plus en plus utilisé pour les systèmes de refroidissement dans le domaine industriel pour les procédés ou les bâtiments institutionnels comme les hôpitaux, affirme Antoine Colney. » Celui-ci croit néanmoins qu’il y a un marché pour cette application dans le domaine du bâtiment multirésidentiel, surtout dans les nouvelles constructions.

« C’est intéressant aussi pour les bâtiments existants où les thermopompes peuvent fournir également de bons rendements avec d’autres types de réfrigérants et de bons rendements de l’investissement, ajoute-t-il. La principale difficulté rencontrée dans les bâtiments existants se situe dans l’espace non disponible nécessaire pour ajouter un grand réservoir. D’habitude, on a une capacité de 400 gallons d’eau chaude pour un bâtiment de 150 logements, précise-t-il. Dans le bâtiment de CAPREIT, on en a 3 000 à peu de frais, compte tenu de l’amortissement des réservoirs en place.

Suivi des performances

Pour soutenir ce projet d’innovation, la firme Krome Services bénéficie de l’appui d’Énergir et du Centre de technologie du gaz naturel (CTGN), notamment sur le plan de l’analyse des résultats assuré par un suivi monitoré de différents paramètres, dont les débits, les niveaux de pression et de température, l’ampérage, etc.

D’ailleurs, tient à préciser Antoine Colney, l’ensemble du montage financier de Krome est garanti, que ce soit l’estimation des coûts du projet, l’obtention des subventions, les économies énergétiques et financières.

En ce qui concerne l’équipement fourni et installé, il s’agirait de deux thermopompes Ecodan (QAHV) du fabricant Mitsubishi montées sur le toit, qui fonctionnent avec une dizaine de kilowatts d’électricité. Elles ne sont utilisées que pour le chauffage de l’eau domestique du bâtiment. Aucunement pour le chauffage du bâtiment lui-même.

L’état des recherches

Pour le chercheur Philippe Simard affecté au Secteur de l’efficacité énergétique et des technologies de Ressources naturelles Canada à CanmetÉNERGIE à Varennes, cette technologie n’est pas vraiment nouvelle. Elle daterait du début des années 2000 avec son développement par les Japonais pour le chauffage de l’eau domestique dans leurs immeubles.

Il confirme que le CO2 est déjà largement utilisé ici pour les besoins de refroidissement commerciaux ou industriels, mais pas pour le chauffage des bâtiments. À l’exception peut-être des bâtiments où il y a plusieurs besoins de chaleur à des températures différentes. Il peut s’agir, par exemple, du préchauffage de l’eau domestique, du chauffage du bâtiment, du chauffage de l’air neuf et du chauffage sous dalle. Donc, pour des besoins à des températures différentes.

« Le CO2 fonctionne bien en pareil cas, dit-il. Je dirais même mieux qu’avec les réfrigérants traditionnels, parce qu’il peut fournir plus de chaleur à haute température, plus de chaleur à moyenne température et plus de chaleur à basse température, plutôt que fournir la majorité de la chaleur à une seule température constante. »

« Si on chauffe seulement de l’air avec une thermopompe au CO2, je ne vois pas comment on peut obtenir un différentiel de température (delta T) de 50 degrés Celsius sur de l’air… À moins que l’on chauffe de l’air neuf directement à des températures hivernales de -10 à -30 degrés. Cela dit, la performance de la pompe à chaleur pourrait autrement en souffrir entre les saisons. »

« Idéalement, suggère-t-il, ça prend une ou plusieurs boucles hydroniques permettant plusieurs échanges de chaleur en série sur les systèmes au CO2 pour pouvoir capturer les différents niveaux de température requis et obtenir un coefficient de performance acceptable au plan énergétique. En particulier dans le secteur des bâtiments multirésidentiels, neufs ou existants. »

Les limitations de la technologie
  • Le manque de capacité du ou des réservoirs de l’eau
  • L’espace insuffisant qui oblige souvent l’installation des équipements sur le toit
  • Le manque de capacité électrique de l’entrée principale du bâtiment
  • La durée plus longue du rendement de l’investissement
Les avantages à considérer
  • La réduction du temps de fonctionnement des équipements de chauffage
  • La réduction de consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre
  • La réduction des opérations d’entretien
  • La pérennité et la sécurité des équipements et du réfrigérant