Le réemploi des matériaux se présente comme une solution des plus prometteuses pour transformer l’industrie de la construction en un modèle plus vertueux de durabilité et d’efficacité. Enjeux et solutions.
Au Québec, le réemploi des matériaux CRD, pour résidus de construction, de rénovation et de démolition, n'en est encore à l’évidence qu'à ses balbutiements. À telle enseigne que de tous les déchets générés par l'industrie, la moitié seulement parviendra aux centres de tri, ce que déplore Caroline Thomasset-Laperrière, conseillère en économie circulaire chez Architecture Sans Frontières Québec (ASFQ) : « L'autre moitié ira directement vers l'enfouissement, car les entrepreneurs et autres donneurs d'ouvrage sont prêts à en payer le prix. Il y a tout de même des efforts qui sont fournis pour mettre de côté des composantes, mais ce sont des actions encore très marginales au Québec, aujourd'hui, en 2024. »
Constat semblable du côté de Francis Vermette, vice-président des opérations chez RECYC-QUÉBEC qui reconnaît que le réemploi des matériaux CRD demeure, à ce jour, une pratique somme toute trop peu développée. « Il y a certainement un engouement et certaines initiatives qui existent déjà, mais tout est question d'équilibrer autant que faire se peut l'offre et la demande. Pour stimuler l'offre, il faut avoir beaucoup de matières. Et pour avoir beaucoup de matières, il faudra, au cours des prochaines années, mettre de l'avant la déconstruction au détriment de la démolition. C'est la clé pour mettre en place le réemploi à plus grande échelle. On ne le dira jamais assez, mais le potentiel de réemploi des matériaux CRD réside dans l'optique de déconstruire, plutôt que de démolir.
« Et pour stimuler la déconstruction et le réemploi à l'instar de Vancouver, poursuit-il du même élan, nous comptons largement sur la réglementation municipale pour y parvenir. Par la suite, l'autre enjeu sera de certifier les matériaux pour qu'ils puissent être réutilisés comme tels. Mais quoi qu'il en soit, il s'agit d'un travail de longue haleine. »
État des lieux
Bien que l'on observe des avancées encourageantes en matière d'innovation pour éviter le gaspillage systémique, des résultats significatifs tardent toujours à se faire sentir, particulièrement en ce qui a trait au tonnage évité. À cet égard, remarque Caroline Thomasset-Laperrière, l'Europe aurait une bonne dizaine d'années d'avance sur le Québec avec une réglementation plus stricte et plus avancée en matière d'environnement. Pourquoi ? Question à laquelle elle répond sans détour : « Il y a bel et bien l'attrait du neuf – celui du client comme celui du donneur d'ouvrage –, mais aussi, nous n'avons pas encore d'écosystèmes du réemploi très développés, bien structurés, avec des outils performants qui favoriseraient l'intégration des habitudes de réemploi chez les professionnels du milieu.
« Et c'est sans tenir compte, renchérit-elle, du manque de formation pour les nouvelles professions en devenir, de la redevance à l'enfouissement qui n'est pas assez élevée et d'autres incitatifs réglementaires pour changer les comportements. »
Même si les multiples vertus du réemploi ne sont plus à démontrer, cette pratique ne constitue toujours pas un réflexe systématique dans le milieu de la construction. À preuve, le tri à la source sur les chantiers reste relativement marginal alors que le recyclage et/ou l'enfouissement s'avère l'option retenue la plus courante.
Il n'empêche que certaines firmes d'architectes à l'esprit novateur pratiquent le réemploi par conviction, comme la firme Smith Vigeant Architectes (SVA), l’une des pionnières de l'architecture durable au Québec. Daniel Smith, architecte principal et associé chez SVA, est bien placé pour en parler. « Le réemploi réduit bien sûr l'impact sur l'environnement et constitue notre premier réflexe dès que l'opportunité se présente, qu'il s'agisse de rénovations majeures ou mineures. Mais encore faudra-t-il que le client nous accompagne dans cette démarche, car il y a souvent un coût associé aux activités de réemploi des matériaux, à savoir la déconstruction, la réparation et la reconstruction, notamment. »
L'architecte montréalais cite en exemple le Centre communautaire Pointe-Valaine, projet à haute teneur écologique et tout premier projet certifié LEED Or de la firme, où des composantes durables récupérées ont été intégrées. « Pour ce projet, nous avons notamment utilisé des panneaux de béton préfabriqués provenant d'un ancien magasin Canadian Tire.
« Et pour un autre de nos projets assez représentatifs, poursuit-il, le Collège Notre-Dame-de-Lourdes, à Longueuil, nous avons réemployé des blocs de béton ainsi que des panneaux de coffrage de fondations avec lesquels nous avons fait un mur d'escalade. Ce ne sont là que quelques exemples, mais tant d'autres types de matériaux se prêtent au réemploi. Et avec toutes ces disponibilités, il est quand même étonnant de voir que beaucoup d'acteurs du bâtiment n'adhèrent pas encore au mouvement. »
Il va sans dire que bon nombre de résidus CRD n'auront pas atteint leur durée de vie utile au moment de leur rejet et la bonne nouvelle est que la plupart se prêtent particulièrement bien au réemploi. On n’a qu'à penser aux matériaux tels que la pierre, la brique, les tuiles, l'ardoise, le bois, l’aluminium, mais aussi les moquettes, les carrelages de sol, les sanitaires, les radiateurs, les portes et fenêtres et l'acier.
C’est sans compter tous les autres matériaux CRD dont le potentiel demeure à ce jour largement inexploité, voire pas du tout. Des éléments comme la laine de verre, les retailles de gypse neuf et plus encore constituent un gros gisement, mais il est difficile d'assurer leur traçabilité. « De plus, explique Caroline-Thomasset-Laperrière, leurs fiches techniques sont souvent manquantes, ce qui requiert parfois une recertification coûteuse que le client n'est certainement pas prêt à payer. »
Déconstruction sélective et écoconception
Selon l'experte chez ASFQ, il serait d'intérêt de mieux développer et soutenir l'écosystème des repreneurs, et aussi de s'efforcer à rendre la réglementation plus sévère afin de favoriser la déconstruction sélective au détriment de la démolition, car une fois démolis mécaniquement, les matériaux ne pourront plus être considérés comme ressources. Mais surtout, les systèmes constructifs modulaires et évolutifs devraient être pris en considération dès le départ, car ils permettent d'anticiper les changements d'usage au cours de l'ensemble du cycle de vie du bâtiment à travers le temps.
« De même pour la préfabrication, reprend-elle, car si l'assemblage est cohérent et pensé pour être évolutif, cela pourrait contribuer à prolonger la durée de vie des composantes du bâtiment. Le gros œuvre aussi (ou structure du bâtiment), joue un rôle capital en ce sens et devrait toujours être étudié pour être réutilisé, car une grosse partie de l'empreinte carbone du bâtiment se trouve dans les choix de conception initiaux. »
Daniel Smith est bien d'accord : « Concevoir des bâtiments de façon à faciliter le réemploi dans le futur fait partie de nos considérations. Lors de projets de gros bois d'œuvre, par exemple, il sera plus facile de penser dès la conception, à la déconstruction. Mais il faudra surtout s'assurer que les données et les dessins d'atelier de base sont disponibles en cas de déconstruction éventuelle pour bien distinguer les éléments qui ont été préfabriqués afin d'en récupérer certains éléments et d'élaborer un inventaire des éléments réutilisables. »
Les initiatives
Même si les filières du réemploi sont loin d'être opérationnelles à grande échelle, il n'en reste pas moins que des initiatives sont bien entamées. Parmi celles s'inscrivant dans ce cadre figurent : la Feuille de route gouvernementale en économie circulaire (Québec) avec une section portant sur le milieu de la construction; la Feuille de route montréalaise en économie circulaire; l'application Ça va où ? de Recyc-Québec pour aider les citoyens et institutions à mieux gérer la fin de vie de leurs matières; Le Lab construction, initiative du CERIEC, dont le site de références a été mis en ligne tout récemment; ainsi que la SQI qui a un plan stratégique en élaboration visant le parc immobilier provincial.
Sans passer sous silence les différentes boutiques de réemploi et les écocentres qui émergent un peu partout à travers la province à l'exemple de Réemploi Plus, au Lac-Saint-Jean, RÉCO, à Montréal ou encore l'Écocentre de Saint-Jérôme, notamment. Comme tient à le préciser Francis Vermette, les municipalités qui mettent en place des boutiques de réemploi attenantes à leurs écocentres ont bien le souci de réduire les quantités qui seront envoyées à l'élimination, et donc de réduire les coûts liés à l'enfouissement. « Et ça, nous allons l'encourager, s'enthousiasme-t-il. Nous avons déjà mis en place un programme de financement et nous sommes présentement à considérer en mettre un autre qui pourrait permettre de bonifier l'offre que l'on veut donner au soutien financier pour des écocentres qui auront des boutiques de réemploi attenantes. »
Manque de temps. Manque de ressources. Manque de soutien. Voilà autant d'obstacles que le réemploi doit encore franchir.
« Qui dit réemploi dit planification, constate Francis Vermette, et souvent la déconstruction sera plus longue que la démolition. Ceci pose aussi l'inévitable question du coût, celui de la main-d'œuvre notamment, encore plus important. Et comme le temps c'est de l'argent... »
Caroline Thomasset-Laperrière opine: « Le processus de réemploi en construction demande plus de temps, il est vrai, et pour parvenir à faire de la déconstruction, il faut avoir une prise de conscience en amont et faire en sorte que ces gisements aient été pris en considération dans la conception avant même les premières esquisses. »
La conception intégrée joue aussi un rôle de premier plan pour favoriser le réemploi, dira-t-elle, mais essentiellement, pour implanter le réemploi à grande échelle ici au Québec, ça prend du soutien.
« Il ne faut pas hésiter à saisir les opportunités offertes par le changement de paradigme vers l'économie circulaire. Comme dans les autres secteurs de l'économie circulaire, les résidus des uns deviennent les ressources des autres, conclut-elle. »
- Préservation des ressources/réduction de la pression sur l'environnement
- Baisse du risque de bris d'approvisionnement
- Création d'emplois locaux
- Réinsertion sociale
- Meilleure préservation des écosystèmes
- Baisse des coûts d'enfouissement
- Préservation du patrimoine bâti
- Grande atténuation des GES (évitement de l'énergie utilisée pour la fabrication, le transport, la mise en marché, l'entretien et la fin de vie des nouveaux matériaux
- Collaborer avec un donneur d'ouvrage qui est partant et qui a des objectifs ambitieux en matière de réemploi sur son chantier
- Prendre le temps en amont pour bien préparer le chantier de réemploi
- Se faire accompagner adéquatement pour atteindre ses cibles de réemploi
- Prendre soin de compiler rigoureusement les données (tonnage, distance parcourue, coûts, empreinte carbone évitée) pour que le projet puisse servir de preuve de concept et devienne une source d'apprentissage