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16 décembre 2010
Par Kathy Noël

Trouver des produits et matériaux verts est une chose, s’assurer de leur véritable teneur écologique en est une autre. Comment s’y retrouver ?

Josée Lupien se souvient d'une époque pas si lointaine où intégrer des matériaux et produits écologiques dans un projet de construction était une vue de l'esprit. C'était en 1995. Elle  travaillait pour un fabricant de peinture. « Nous avions mis au point la première peinture sans COV au monde, relate-t-elle, mais personne n'en voulait. L'industrie n'était pas rendue là. »

 Bien sûr, les impacts des matériaux et produits sur la santé et l'environnement étaient peu considérés à l'époque. C'était aussi avant l'émergence des systèmes d’évaluation environnementale comme LEED ou Visez Vert et Visez vert plus – maintenant BOMA BESt, qui ont ouvert les portes des chantiers de construction aux fournisseurs écolos.

 « Ces systèmes d’évaluation ont fait évoluer le secteur. Les fabricants qui offraient déjà des produits écologiques sont maintenant mis en valeur », dit Josée Lupien, maintenant présidente de Vertima, une firme de Québec spécialisée en certification LEED et en bâtiment durable.

 Le rapport de force a changé. Aujourd'hui, ce sont les donneurs d’ouvrage et leurs professionnels qui cherchent à intégrer des produits verts dans leurs projets. L'offre aussi s'est améliorée. Il est beaucoup plus facile qu'avant de trouver des produits avec du contenu recyclé ou de dénicher de la peinture sans COV, pour ne citer que ces exemples. Gilles Bessette, coordonnateur de projets LEED chez Pomerleau, a vu l'offre s'élargir d'au moins 30 % depuis les cinq dernières années. C’est dire.

 Mais cette bonne nouvelle a aussi ses effets pervers. « Les fabricants ont compris qu'offrir des produits plus écologiques leur donne un avantage concurrentiel et comme plusieurs ont du rattrapage à faire, ça laisse la place à beaucoup d'improvisation », constate également Josée Lupien.

 Pour Anik Bastien, coordonnatrice de projets LEED chez Provencher Roy + Associés Architectes, l'un des problèmes est qu'il n'y a pas de normes dans la façon de décrire la teneur écologique des différents produits. « Nous devons nous fier aux déclarations du fabricant et chacun y va selon sa méthode », déplore-t-elle.

 « Pour un même produit, un manufacturier m'a déjà fourni trois fois le même document avec de l'information différente chaque fois ! », raconte pour sa part Josée Lupien.

 Dans un projet LEED par exemple, les sous-traitants et leurs fournisseurs doivent remplir un formulaire de renseignements sur les matériaux. Ils doivent notamment préciser le pourcentage de contenu recyclé qu'ils contiennent et indiquer leur provenance. Jusque-là, ça va, selon Anik Bastien. « C'est quand on exige de la documentation pour appuyer ces déclarations que l'on se perd dans une mer d'information inutile », dit-elle.

 Le hic, c'est que la reconnaissance de la contribution des produits ou matériaux verts par des organismes comme le Conseil du bâtiment durable du Canada passe nécessairement par une bonne documentation, explique Nancy Picard, directrice de la certification LEED chez Martin Roy et Associés, une firme d'ingénierie spécialisée dans le bâtiment durable. « Même qu’une documentation incomplète ou imprécise peut faire la différence entre un refus ou une acceptation pour un projet », dit-elle.

Il faut dire que les fabricants hésitent à fournir de l’information détaillée sur leurs matériaux ou leurs produits, de peur de livrer le fruit de leurs efforts en recherche et développement à la concurrence. Et d’y perdre leur avantage compétitif au passage.

Mais parfois aussi, ce manque de transparence vient d'un manque de connaissance. Par exemple, l'une des erreurs les plus fréquentes de la part des fabricants est de considérer leurs « retailles » ou rebuts internes comme de la matière recyclée. « Dans le verre, par exemple, si je fais refondre une lisère de découpe pour la remettre dans un autre produit, c'est de la simple gestion saine de matière première. Cela ne peut pas être considéré comme du contenu recyclé par le système d’évaluation LEED », illustre Josée Lupien. Pourtant, beaucoup le font, et chacun calcule à sa manière... d'où les fortes variations dans la teneur de contenu recyclé des divers produits sur le marché.

L'autre information la plus difficile à obtenir est la provenance des matières premières. L'une des exigences de LEED est d'utiliser au moins 10 % de matériaux ou de produits pour lesquels au moins 80 % de leur masse est extraite, traitée et fabriquée à l'intérieur d'un rayon de 800 km du chantier de construction si elle est transportée par camion. Sinon, elle doit avoir été transportée par train ou bateau à l'intérieur d'un rayon de 2 400 km. Ainsi, des matières extraites en Chine ne vont pas être exclues automatiquement, du moins dans le cas où elles comptent uniquement pour 20 % de la masse du produit fini.

« Alors imaginez quand les fournisseurs ont eux-mêmes des fournisseurs, ils doivent remonter la chaîne jusqu'au bout, ce qui est loin d'être évident », dit Josée Lupien.

Certains peuvent alors être tentés de tourner les coins ronds ou de mentir carrément. C'est le fameux greenwashing ou écoblanchiement. « Quand on me dit par exemple qu'un produit de polystyrène expansé (EPS) contient 25 % de contenu recyclé, je sais que c'est faux parce qu'actuellement, sur le marché, il ne s'en trouve pas qui en contient plus de 2 à 15 %. C'est un produit recyclable, mais très peu recyclé », indique Josée Lupien.

Un autre piège à éviter est cette tendance qu'ont les fabricants à utiliser LEED comme un outil de marketing. « Quand on vous dit : mon produit est LEED, méfiez-vous !, prévient Nancy Picard. Dans les faits, les produits LEED n'existent pas. Il y a seulement des produits qui peuvent contribuer à l’obtention de points LEED. »

Certains fournisseurs se basent sur le fait que leur produit a déjà été accepté dans un projet LEED pour utiliser ensuite cet argument. « Ce n'est pas parce qu'un produit a été accepté dans un projet qu'il le sera dans un autre. C'est du cas par cas », précise Josée Lupien, en soulignant que tout dépend de la certification et du niveau visés.

Ils ont le dos bien large, ces fabricants ! Ce serait une erreur de jeter la pierre à eux seuls, nuance toutefois Gilles Bessette. Selon lui, le sous-traitant qui achète les produits a lui aussi sa part de responsabilité. « Il y a beaucoup d'éducation à faire de ce côté. Les sous-traitants ne réalisent pas leur part de responsabilité dans le processus et ont tendance à aller vers le prix le plus bas sans tenir compte des critères demandés », dit-il.

Le prix des matériaux écologiques n'aide pas. « Ils sont encore plus cher que les matériaux conventionnels, alors ça fait peur aux gens. Tant que les produits verts ne seront pas plus compétitifs, ils auront du mal à faire leur place dans la chaîne », estime Gilles Besssette.

D'ici là, pour les reconnaître, des outils se mettent en place. Des banques de données et des répertoires, comme GreenSpec ou les fiches Vertima par exemple, se bâtissent au fur et à mesure avec la pratique. Des écolabels, comme EcoLogo ou FSC, existent aussi pour mieux identifier les produits qui ont des attributs écologiques. L'analyse du cycle de vie, qui quantifie les impacts d'un produit à tous les égards et sur l'ensemble de sa vie utile, permet également de faire des choix plus éclairés.

L'intégration de produits verts dans les projets de construction sera sans doute facilitée au fur et à mesure que les certifications elles-mêmes deviendront de plus en plus sévères. Depuis juin 2010, un nouveau système d'évaluation LEED a été mis en place. « Auparavant, sur les 26 crédits de base, le Conseil du bâtiment durable en évaluait six. Dorénavant, ils seront tous vérifiés », explique Josée Lupien. Et c'est sans compter les systèmes d’évaluation émergents comme le Living Building Challenge, qui interdit carrément certains matériaux.

L'enjeu devient sérieux, car même la justice a commencé à s'en mêler...  On raconte qu'un promoteur de la rive sud de Montréal poursuit en ce moment son entrepreneur parce qu'il a perdu des points LEED. L'entrepreneur se tournera-t-il à son tour vers ses sous-traitants et leurs fournisseurs ? L'avenir nous le dira, mais une chose est sûre, l'industrie a tout intérêt à prendre ses responsabilités, et ce sera sans doute le cas le jour où il y aura des pénalités pour les récalcitrants, estime Gilles Bessette.

« Plusieurs croient que LEED est une nouvelle exigence du gouvernement et ne voient pas que c'est une nouvelle pratique, avance-t-il. Alors ils signent des contrats pour des projets LEED sans être conscients de ce que ça implique ».

L'appel des écolabels

L'un des plus connus est sans aucun doute le label FSC pour Forest Stewardship Council. Ce petit logo facilement reconnaissable à son check tree (un arbre et un crochet) assure que la forêt dont le bois est issu a été exploitée de manière durable. FSC est la seule certification pour le bois reconnue par le système d’évaluation LEED et elle est vérifiée par une tierce partie. Ce n'est pas le cas pour tous les écolabels. Par exemple, un autre label bien connu, Energy Star, est une certification gouvernementale, mais basée uniquement sur l’information fournie par le fabricant. Il peut exister aussi de faux labels, qui ne font l'objet d'aucune vérification externe et qui sont inventés par les fabricants eux-mêmes. Les écolabels peuvent aussi avoir un, deux ou plusieurs attributs, c'est-à-dire qu'ils donnent de l'information sur un impact environnemental seulement (exemple : consommation d'énergie) ou plusieurs.
Plus d’information sur les différentes certifications de produits et matériaux

Bambou ou bois ?

L'analyse du cycle de vie des produits est un outil dont tous les acteurs du milieu du bâtiment entendront parler dans les prochaines années. Cet outil reconnu par l'ONU et encadré par la norme ISO sert à évaluer les impacts d'un matériau de son extraction jusqu'à sa fin de vie utile, soit du berceau au tombeau. Il permet ainsi de comparer divers matériaux entre eux. « Au final, on peut se rendre compte que certains produits qu'on croit plus écologiques, comme le bambou, ont en fait un impact plus grand parce qu'on déplace le problème ailleurs en les utilisant », dit Nancy Picard, directrice de la certification LEED chez Martin Roy et Associés. Selon Josée Lupien, de Vertima, l'outil est prometteur, mais difficile à appliquer pour l'instant. « Nous en sommes à l'étape de décortiquer les composantes d'un produit et pas encore à évaluer sa performance globale. Il manque toujours de l’information pour faire une analyse du cycle de vie complète ».

Cinq pièges à éviter
  1. Le fabricant qui inclut ses rebuts internes dans le calcul du pourcentage de contenu recyclé
  2. Le fabricant qui utilise LEED comme un argument de vente. Il n'existe pas de produits LEED !
  3. Le fabricant qui n'a pas de documents à l'appui pour ses produits. Ne pas se fier uniquement à ce qu'il dit
  4. Les faux écolabels, c'est-à-dire ceux qui ne sont reconnus par aucune autre instance que le fabricant lui-même.
  5. La notion de provenance des matériaux inclut également, dans LEED, le lieu d'extraction de la matière première et non seulement celui de l'usine d'où sort le produit
La fiche Vertima

Les professionnels du bâtiment disposent désormais d’un nouvel outil pour les guider dans la sélection de produits et matériaux écologiques : la fiche Vertima, disponible en exclusivité sur le portail voirvert.ca.
Développée et produite par la firme québécoise Vertima, spécialiste de la certification LEED et du bâtiment durable, cette fiche est destinée aux architectes, aux designers d’intérieur, aux ingénieurs, aux entrepreneurs généraux et spécialisés ainsi qu’aux gestionnaires immobiliers.
« La fiche a été développée en adéquation avec les besoins exprimés des nombreux professionnels du bâtiment que nous avons consultés, indique la présidente de Vertima, Josée Lupien. Elle offre donc un portrait environnemental d’un matériau ou d’un produit qui a été décortiqué, analysé, validé et documenté, preuves à l’appui. C’est clair, net et précis. »
C’est ainsi que la fiche Vertima fournit de l’information essentielle à qui veut s’assurer de la valeur écologique d’un produit ou d’un matériau : composition, contenu recyclé, teneur en COV, provenance des composantes, durée de vie prévue, certification par une tierce ou une seconde partie, identification des crédits LEED auxquels le produit peut contribuer, etc. Sans compter qu’elle s’accompagne d’une fiche qui trace l’empreinte corporative du manufacturier.
Les premières fiches produites par Vertima peuvent déjà être consultées dans la section Éco-411 de voirvert.ca. Plusieurs s’y ajouteront au cours des prochains mois.