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Valorisation des rejets thermiques : des kWh qui en valent deux

18 septembre 2024
Par Jean Garon

Les projets d’efficience et de décarbonation des bâtiments peuvent maintenant bénéficier de la valorisation des rejets thermiques sur mesure. Explications.

Depuis mars 2023, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) s’affaire à convaincre les gens d’affaires et les propriétaires d’immeubles du bien-fondé de ses stratégies énergétiques et climatiques avec son Programme de valorisation des rejets thermiques (VRT).

Ce programme, rappelons-le, offre de l’accompagnement et de l’aide financière aux entreprises et organisations qui souhaitent réduire leur facture de consommation d’énergie et leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Stéphan Gagnon, coordonnateur de la valorisation thermique au MELCCFP, rappelle qu’une étude du potentiel de valorisation de rejets thermiques au Québec a déjà chiffré à 80 térawattheures la quantité d’énergie thermique rejetée en pure perte dans l’environnement. Cela équivaut à 10 fois la production d’électricité du complexe hydroélectrique La Romaine, sur la Côte-Nord.

« Actuellement, renchérit pour sa part Jean-François Pelletier, vice-président, Expertise technique, et ingénieur associé chez la firme de consultants Akonovia, on est au tout début d’une stratégie de valorisation des rejets thermiques. »

« Nous sommes de fervents supporteurs des boucles énergétiques de quartier, indique-t-il, en considérant leur impact positif sur la décarbonation des bâtiments et sur la sollicitation du réseau électrique. Mais il est tout de même possible de faire de la VRT en n’étant pas raccordé à une boucle énergétique de quartier. En fait, le plus petit projet de VRT entre une source de rejets de chaleur et un utilisateur qui en récupère l’énergie correspond aussi à la définition d’une boucle énergétique. »

Le spécialiste mentionne qu’il existe peu de solutions permettant à la fois de décarboner un bâtiment et de réduire la consommation énergétique à faible coût. La VRT en est une, mais elle dépend de l’accessibilité de la source de chaleur à valoriser. La VRT d’un centre de données décentralisé est, à son avis, la plus simple à mettre en place et dont les coûts sont les plus faibles. Ce qui importe, c’est que le centre de données soit dimensionné en fonction des besoins de chauffage du client.

« Au Québec, on arrive à couvrir 80 % des besoins de chauffage avec un système dimensionné entre 50 et 60 % de la charge de pointe. Au-delà de cette capacité, les économies du client chutent drastiquement. C’est que l’usage du bâtiment et ses horaires d’occupation, explique-t-il, peuvent modifier ces paramètres selon les saisons. »

Quant aux limites applicables au développement de projets de VRT, Jean-François Pelletier indique que ça dépend de la disponibilité de la puissance électrique. Dans les bâtiments existants, il faut évidemment tenir compte de leur entrée électrique et de leur capacité d’alimentation excédentaire. Pour les nouvelles constructions, conseille-t-il, vaut mieux en faire la planification très tôt lors de la conception afin de bien assurer l’arrimage de la VRT avec les systèmes électromécaniques à mettre en place.

Dans le cas d’un centre de traitement ou de calcul de données valorisant ses rejets thermiques avec le projet d’un promoteur désirant décarboner un bâtiment neuf ou existant, ça lui apparaît comme un exemple parfait d’entente gagnant-gagnant. Le promoteur obtient de la chaleur gratuite pour chauffer son bâtiment en échange d’un espace pour l’installation du centre de données branché à son réseau électrique.

Changement de mentalité

Le problème qui se pose au Québec, c’est le chauffage des bâtiments à l’électricité en saison froide qui accentue la sollicitation du réseau électrique. « Lors du lancement du programme en 2023, précise Stéphan Gagnon, on visait d’abord la réduction des émissions de GES (équivalent CO2) en offrant une aide financière correspondant à 125 dollars la tonne. Mais depuis, on a constaté qu’il n’y aurait pas assez d’électricité pour remplacer toute la combustion de gaz naturel au Québec. » D’autant plus si l’on ajoute l’électrification des transports.

Carte des rejets et besoins thermiques au Québec.	Image : Gouvernement du Québec

Il est alors apparu intéressant de financer aussi la réduction de la consommation d’énergie renouvelable comme l’électricité, le gaz naturel renouvelable et la biomasse forestière résiduelle. C’est ce qui a incité les autorités à bonifier le programme en février 2024 en offrant une aide financière équivalente à 8 dollars le gigajoule sur la réduction de la consommation d’énergie renouvelable.

Nouveau mode d'affaires

Il existe un bon potentiel de VRT avec les grands centres de données informatiques existants, convient Stéphan Gagnon. Mais il n’est pas toujours possible de trouver à proximité assez de clients pour utiliser leurs immenses rejets thermiques. Et cela explique le développement d’un nouveau modèle d’affaires depuis le lancement du programme de VRT en mars 2023. En plus de chercher à valoriser les rejets thermiques en installant de gros clients utilisateurs à proximité de ces rejets (ex. : des serres ou des projets immobiliers commerciaux ou résidentiels), les responsables du programme proposent l’installation d’un petit centre de traitement de données comme source de chaleur sur mesure à même le site du client utilisateur des rejets thermiques.

À titre d’exemple, un stationnement souterrain d’un hôpital ou des locaux inutilisés d’un immeuble existant peuvent intégrer un centre de données décentralisé pour devenir en quelque sorte la « chaudière » d’alimentation en chaleur du bâtiment. Une telle intégration a pour effet de diminuer les coûts d’infrastructures, dont ceux d’installation de conduites externes coûteuses. Ça permet ainsi de cibler un centre de données dimensionné en fonction du besoin de chauffage du bâtiment qui l’héberge. De cette façon, en période de grand froid, chaque kWh utilisé une première fois pour le calcul ou le traitement informatique du centre de données décentralisé sert une deuxième fois pour le chauffage du bâtiment. Bref, des kWh qui en valent deux.

Stéphan Gagnon mentionne le projet d’écoquartier Humano District à Sherbrooke comme exemple concret de cette approche. Ce dernier bénéficie d’une aide financière d’un million de dollars du programme VRT pour la récupération et l’utilisation des rejets de chaleur d’un centre de calcul décentralisé. À chaque phase du projet immobilier s’ajoutera une nouvelle phase de développement du centre de traitement de données en optimisant ainsi la capacité de valorisation des rejets thermiques.

Le projet d’écoquartier Humano, à Sherbrooke, valorisera les rejets thermiques d’un centre de calcul décentralisé. Crédit : GMAD

Cette nouvelle approche synergique offre de nouvelles perspectives pour le chauffage et la décarbonation des bâtiments. Au lieu d’installer une chaudière électrique chaque fois qu’un propriétaire ou un promoteur veut décarboner un bâtiment, neuf ou existant, il pourra faire appel à un centre de données décentralisé pour en exploiter la chaleur.

Aide financière payante

Le coordonnateur du programme de valorisation des rejets thermiques au MELCCFP estime qu’il peut être très payant de développer des projets de valorisation de rejets thermiques. « Nous, on finance 75 % du coût des études de faisabilité jusqu’à 150 000 dollars. Pour le volet implantation, on finance aussi jusqu’à 75 % des dépenses admissibles jusqu’à 40 millions de dollars. » Ça tient compte à la fois du calcul de la réduction de GES et de la réduction de la consommation en gigajoule d’une énergie renouvelable.

« Depuis mars 2023, on a un programme très efficace, assure Stéphan Gagnon. On compte déjà 16 demandes pour une étude de faisabilité et quatre demandes pour le volet implantation, dont deux sont déjà approuvées, la première étant celle du projet Humano ». La deuxième était à la veille d’être annoncée au moment d’écrire ces lignes.

« On offre aussi un accompagnement très important dans la réalisation des projets, conclut-il. On fait ce que j’appelle du tinder énergétique, en mettant en contact des gens qui ont des rejets thermiques à offrir avec d’autres qui ont des besoins thermiques pour se chauffer. »

Bonification du programme

En plus de financer les réductions d’émissions de GES résultantes du remplacement de la combustion d’énergies fossiles par des rejets thermiques, le programme VRT finance maintenant les réductions de consommation d’énergies renouvelables, comme l’électricité, résultantes de leur remplacement par des rejets thermiques.

Avantages de la VRT bonifiée
  • Permet plus rapidement la décarbonation des bâtiments
  • Réduit substantiellement les coûts en énergie
  • Offre une aide financière majorée plus facilement accessible
  • Tient compte de la réduction des GES et de la consommation d’énergie