L’enveloppe thermique est appelée à jouer un rôle grandissant dans l’efficacité énergétique des bâtiments. En équilibre avec les systèmes électromécaniques.
Trop souvent encore négligée, la bonne performance de l’enveloppe thermique est pourtant essentielle à l’optimisation éconergétique des bâtiments. Parce qu’elle contribue non seulement à assurer des conditions climatiques intérieures idéales l’année durant, mais aussi à réduire les besoins en chauffage et en climatisation. Et, parallèlement, à rendre plus intéressant encore le recours aux technologies vertes d’un point de vue économique.
Allier enveloppe performante et efficacité énergétique, selon une approche systémique basée sur le cycle de vie : voilà le nouvel équilibre vers lequel les professionnels du bâtiment sont appelés à tendre afin de concevoir des édifices plus économiques à exploiter et plus sobres sur le plan énergétique. Une vision nouvelle pour les concepteurs qui mettaient jusqu’ici l’accent tantôt sur l’une, tantôt sur l’autre, de ces variables.
C’est du moins le constat que pose l’architecte Guylaine Desmarais, chargée de projet chez Patenaude-Trempe. « Ce qu’on observe souvent chez les professionnels, c’est soit qu’ils fassent un bâtiment vert, soit qu’ils fassent une enveloppe performante, comme s’il s’agissait de deux objectifs inconciliables, indique-t-elle. Il n’est pas rare de voir, dans des projets de construction durable, le design architectural et les technologies particulières prendre le pas sur la performance de l’enveloppe. »
Une tendance qui va à l’encontre des principes de la science du bâtiment, dont l’objectif premier est d’améliorer le rendement des immeubles et de réduire leurs coûts d’exploitation, souligne également cette professionnelle agréée LEED CB+C. « L’enveloppe est souvent délaissée au profit d’équipements plus sophistiqués, précise-t-elle, alors qu’elle doit former un ensemble interactif avec la charpente et les systèmes mécaniques et électriques. »
Guylaine Desmarais déplore en outre que ce choix soit trop souvent fondé sur une question de coût. Certains matériaux plus onéreux se retrouvent ainsi sur une voie d’évitement au profit d’autres matériaux ou d’équipements moins durables, une avenue qui peut s’avérer plus dispendieuse au bout du compte. « Il est préférable d’adopter une vision à long terme et de fonder ses choix sur le cycle de vie, suggère-t-elle. Couper sur l’isolation peut générer des économies d’échelle au moment de la construction, c’est vrai, mais le bâtiment n’en sera que plus énergivore pendant toute la durée de son exploitation. »
Les concepteurs doivent donc porter une attention particulière à la résistance thermique des systèmes muraux, tout comme à celle des fenêtres et de la toiture. D’abord en éliminant tous les ponts thermiques, puis en prévenant les pertes de chaleur en optimisant l’étanchéité à l’air. « Même si on met une couche d’isolation de 12 pouces d’épaisseur, s’il y a des ponts thermiques, l’enveloppe ne sera pas performante », insiste la spécialiste de Patenaude-Trempe.
L’ajout d’un pare-air s’avère également essentiel à la conception d’une enveloppe performante. En empêchant la diffusion d’air chaud et humide dans l’enveloppe, il y prévient l’apparition de condensation et, de ce fait, la détérioration de ses composantes. « Si on doit refaire l’enveloppe au bout de cinq ans parce que son isolant est contaminé, illustre Guylaine Desmarais, on favorise le gaspillage, on génère des déchets et on accentue la pression sur les ressources. Bref, on s’éloigne de la durabilité. »
Le maillon le plus faible
Une chaîne n’étant jamais plus solide que son maillon le plus faible, il convient donc de travailler sur les éléments les plus conducteurs de l’enveloppe. Comme miser sur une fenestration éconergétique plutôt que d’augmenter indûment le niveau d’isolation. Et privilégier l’étanchéité à l’air et à l’eau en travaillant sur les portions les plus opaques des murs : les jonctions murs-fenêtres, murs-planchers et murs-toiture.
Évidemment, il ne faut pas perdre de vue le facteur humain, prévient l’architecte Anik Shooner, associée chez Menkès Shooner Dagenais LeTourneux. Cela signifie un apport important de lumière naturelle et de nombreuses vues sur l’extérieur. La Loi sur l’économie d’énergie dans les bâtiments, qui limite pour une simple unité scellée double avec verre clair non traité et sans argon, la fenestration à 40 % de la superficie d’un immeuble, permet de l’augmenter à 50 % lorsqu’un vitrage double à haut rendement est utilisé.
« Par contre, plus on augmente la fenestration, plus on s’expose aux gains de chaleur, fait-elle valoir. Il faut donc prévoir des protections solaires et apprendre aux occupants à les utiliser de façon adéquate. Parce que si la pièce est orientée vers l’ouest et qu’on attend –en après-midi pour baisser les stores, il est déjà trop tard. On devra climatiser davantage pour rétablir le confort et, du coup, on augmentera la dépense d’énergie. »
Spécialiste des sciences de la terre converti à la science du bâtiment, Louis-Martin Guénette partage cette vision. Aujourd’hui à la direction du Maintien des actifs immobiliers pour Planifika, une filiale du Groupe Régis Côté, il avance que le temps est venu pour les concepteurs d’intervenir en amont du projet. « Pour faire un bâtiment vraiment durable, il faut privilégier une approche holistique, assure ce spécialiste de l’enveloppe. Pour ça, il faut que les professionnels s’assoient ensemble dès le départ. »
Il fait remarquer que dans les grands projets de construction, le traitement réservé à l’enveloppe est encore trop souvent conceptuel. Les matériaux y sont considérés comme des éléments indépendants, sans tenir compte de leurs propriétés physiques ni de leurs possibles interactions. C’est sans compter, relève-t-il également, que le responsable du rendement énergétique du bâtiment est bien souvent encore un ingénieur en mécanique.
Pour lui, il importe de toujours garder à l’esprit que l’enveloppe fait corps avec le bâtiment, lequel constitue un ensemble dont les composants interagissent les unes avec les autres. Par exemple, une fenestration abondante et performante permettra de réduire le chauffage périmétrique et, parfois, les besoins de climatisation.
Une synergie durable
La conception d’un bâtiment durable suppose donc une synergie entre les systèmes mécaniques, son utilisation par les occupants et l’enveloppe. Idéalement, cette conception intégrée devrait aussi prendre en compte les conditions d’implantation, comme l’ensoleillement ou un corridor de vent. Mais le plus souvent, souligne Ronald Gagnon, le président de Concept-R, une firme spécialisée en mécanique du bâtiment, l’efficacité énergétique se résume à une chasse aux points.
« La mode est incontestablement aux certifications environnementales et à l’efficacité énergétique, observe-t-il. Sauf qu’un système d’évaluation comme LEED, pour prendre cet exemple, c’est avant tout un système de pointage. On fait la course aux technologies pour accumuler des points, mais on perd de vue que construire, ce n'est pas un travail à la chaîne. Le taylorisme, c’est bon pour un gadget qui ne requiert aucune conception. Ce n’est pas applicable au bâtiment. »
Selon ce spécialiste de l’efficacité énergétique, la multiplication des technologies comme la géothermie ou le solaire actif ne promet rien de plus qu’une apparence de performance si on n’intègre pas ces solutions au design du bâtiment et que l’on ne mise pas sur une bonne enveloppe. « On ne bénéficiera pas des effets croisés de la conception intégrée, dit-il. En plus, c’est abusivement cher, alors qu’un bâtiment vert ne coûte pas nécessairement plus cher à construire qu’un immeuble standard. »
Il soutient par ailleurs que plus la conception tend vers la performance ultime, moins les coûts de construction et d’exploitation du bâtiment seront élevés. Par exemple, lorsque architectes et ingénieurs en mécanique du bâtiment décident ensemble de l’emplacement des blocs sanitaires, il y a fort à parier que les conduites d’eaux potables et usées seront moins nombreuses et les besoins d’isolation moindres, tout comme l’énergie nécessaire au chauffage de l’eau.
Même chose si les architectes optent pour des teintes claires pour habiller les murs : les sources d’éclairage seront moins nombreuses et leur puissance installée, moins élevée. Comme ces appareils généreront moins de chaleur, leur influence sur le climat intérieur sera minime. En poussant cette logique jusqu’au bout, les installations mécaniques verront leurs dimensions s’amenuiser et leurs coûts initiaux diminuer, ceci sans dépenser un sou de plus.
« En efficacité énergétique, on applique la théorie des trois R, soit réduire, récupérer et renouveler, résume Ronald Gagnon. Cela veut dire que l’on commence d’abord par augmenter la résistance thermique de l’enveloppe, puis on récupère les rejets de chaleur et, en dernier lieu, on se tourne vers les énergies renouvelables. Parce qu’on n’installe pas un système de géothermie, par exemple, sur une passoire. »
Au bout du compte, le bâtiment consommera une quantité d’énergie minimale, parce que les effets croisés des différentes mesures auront été optimisés. « Même un bâtiment standard profitera d’une conception intégrée, insiste-t-il. Il coûtera moins cher à construire et à exploiter et ce sera un meilleur bâtiment. »
C’est que la performance d’un bâtiment ne se mesure pas uniquement à sa consommation énergétique ; c’est également une question d’entretien et d’exploitation. Le design doit ainsi faciliter la réhabilitation des différents composants. Quant à la mission du bâtiment, elle doit être relayée dans le temps, tant auprès des gestionnaires que des occupants, afin d’en assurer la pérennité. Si chacun y va de ses modifications, c’est tout l’équilibre du bâtiment qui risque d’être compromis.
Il reste que pour qu’un bâtiment soit vraiment éconergétique, son enveloppe doit être sans faille. « La clé, c’est vraiment l’étanchéité à l’air, rappelle Anik Shooner. Si cette condition n’est pas prise en compte, le bâtiment, aussi bien conçu soit-il, ne sera pas efficace. Il faut aussi que les détails architecturaux soient faciles à réaliser lors de la construction, parce que c’est aussi une question d’assemblage. Difficile pour un ouvrier de faire l’étanchéité derrière une colonne… »
Histoire de s’assurer que les travaux soient réalisés selon les règles de l’art, elle suggère qu’une surveillance assidue soit exercée par un professionnel du bâtiment pendant toute la durée des travaux. Puis que des tests, de thermographie notamment, soient effectués sur l’ensemble de la construction pour déceler les fuites d’air et les ponts thermiques en vue d’apporter les correctifs nécessaires.
Vision du futur
Une enveloppe performante est également une condition essentielle à l’avènement de l’édifice de demain. Celui-ci, au dire de Diane Bastien, doctorante en génie du bâtiment à l’Université Concordia, générera autant d’électricité qu’il en utilisera, c’est-à-dire qu’il profitera d’une conception à énergie nette zéro. Et que son enveloppe deviendra un élément incontournable dans son bilan énergétique, tant en ce qui concerne l’optimisation du transfert thermique entre l’intérieur et l’extérieur que la production décentralisée d’énergie.
« On pousse la recherche pour réduire la consommation énergétique globale des bâtiments et, ultimement, leur consommation d’énergies fossiles, mentionne-t-elle. Bien sûr, on mise sur des méthodes passives, comme une isolation accrue ou en jouant avec la masse thermique. On travaille aussi sur la récupération de la chaleur émise par les systèmes mécaniques et le solaire actif, qu’il soit thermique ou photovoltaïque. Considérant que le coût de production du watt décroît rapidement, d’ici une quinzaine d’années, le photovoltaïque sera à parité avec les autres sources d’énergie, il faut y penser maintenant. »
Pour Ken Ruest, chercheur à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), l’enveloppe demeure à la base de la conception sensée d’un bâtiment éconergétique, surtout dans le résidentiel, où il considère que les technologies d’avant-garde devraient être envisagées uniquement lorsque la demande énergétique du bâtiment a été réduite au minimum. Il met d’ailleurs en garde les concepteurs contre la tentation de miser en premier lieu sur les systèmes mécaniques et d’énergie renouvelable, car l’optimisation de l’enveloppe se fera difficilement par la suite.
L’expert de la SCHL se désole également de la confusion et des inefficacités qui découlent de la combinaison de certains concepts et de systèmes. « Certains misent sur la masse thermique d’un plancher de béton pour emmagasiner les gains solaires le jour dans les maisons passives et c’est très bien, dit-il. Sauf si on y intègre un chauffage radiant. Ces deux concepts ne fonctionneront pas comme prévu puisque le béton du plancher chauffant sera déjà plus chaud que l’air ambiant et, par conséquent, ne pourra pas absorber le rayonnement solaire le jour et en stocker la chaleur. »
Pourquoi ? Simplement parce qu’il y aura surchauffe le jour et, de ce fait, très peu de chaleur sera absorbée par la dalle qui ne pourra ainsi la rediffuser la nuit venue. « Il faut faire preuve de jugement, prévient-il. Ce qui s’applique dans le bâtiment commercial ne vaut pas nécessairement pour le petit bâtiment résidentiel. En plus, il faut que ça reste facile à gérer pour le propriétaire, si on veut que la technologie soit exploitée de façon optimale. »
Selon lui, les murs de l’habitation du futur auront un niveau d’isolation supérieur, seront simples à assembler et très étanches. Il croit cependant que la surveillance en cours de construction devra être resserrée afin de prévenir des défaillances inhérentes aux conditions de chantier. Diane Bastien va encore plus en suggérant qu’il serait beaucoup plus productif de miser sur la certification du bâtiment, par exemple au moyen d’un test d’infiltrométrie et d’une inspection visuelle. Bref, en lui apposant une cote, calculée en comparant sa consommation d’énergie avec celle de bâtiments comparables.
Pour Mario D. Gonçalves, président du Conseil de l’enveloppe du bâtiment du Québec, il va sans dire que pour que les bâtiments de demain atteignent des niveaux de performance supérieure, la dernière version du Code national de l’énergie pour les bâtiments (2011) devra d’abord être adoptée par l’ensemble des provinces et territoires canadiens. « Un des changements majeurs du nouveau Code à l’égard de l’enveloppe, indique-t-il, c’est que les exigences quant à la performance thermique ne sont plus seulement fondées sur la source d’énergie.
Celui qui est aussi président de Patenaude-Trempe précise qu’elles s’appuient maintenant sur le concept qu’un mur, c’est un mur, un toit, c’est un toit et une fenêtre, c’est une fenêtre. Cela signifie donc un niveau de performance pour la mise en œuvre des murs, un pour l’assemblage du toit et un autre pour les fenêtres, peu importe le type d’ossature ou la méthode de construction.
« Une toiture avec comble est maintenant visée par les mêmes exigences que les toits plats, donne-t-il en exemple en concluant. Le nouveau Code établit en outre de nouvelles cibles en ce qui a trait à l’étanchéité à l’air ainsi qu’en ce qui concerne la performance thermique, désormais exprimée en termes de transmission thermique globale (facteur U). »
- Négliger le confort des occupants
- Faire des compromis sur les détails, les systèmes et les matériaux
- Travailler avec un budget insuffisant pour l’envergure du projet
- Escamoter la conception intégrée
- Opter pour une conception intégrée
- Opter pour une fenestration à haute résistance thermique
- Éliminer les ponts thermiques
- Miser sur une isolation performante
- Porter une attention particulière aux jonctions de l’enveloppe
- Choisir un pare-air performant
- Penser en fonction de certaines apparences ou de certaines technologies
- Ne pas tenir compte des conditions de terrain et de l’implantation
- Magasiner des points plutôt que de tenir compte des conditions spécifiques
- Utiliser un matériau ou un produit vert non adapté aux conditions d’utilisation
- Ne pas effectuer de contrôle de la qualité en cours de réalisation
Importante l’enveloppe dans une démarche d’efficacité énergétique ? Assurément aux yeux du Programme Bâtiments d’Hydro-Québec, géré par ÉnerCible. Même qu’il s’agit du premier critère qui sera considéré au moment d’appuyer financièrement un projet ; les deux autres en importance étant l’éclairage et la récupération de chaleur.
Marc-Antoine Roberge, directeur de la commercialisation chez ÉnerCible, explique : « Plus l’enveloppe va être performante, plus on va diminuer le chauffage associé aux espaces et plus on va réduire la dimensions des systèmes électromécaniques, tout comme les coûts d’entretien sur le long terme.
« C’est sans compter, ajoute-t-il, que l’on va ainsi favoriser le recours à la géothermie, par exemple, puisqu’il ne sera pas nécessaire de la surdimensionner. Comme le coût du système sera moindre, la période de rentabilité de l'investissement s’en trouvera d’autant écourtée. »