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Jouer la carte de la déconstruction

31 janvier 2024
Par Cynthia Bolduc-Guay

Gros plan sur la déconstruction d’une usine désaffectée, à Candiac, dans la foulée d’un projet carboneutre du développeur immobilier Rosefellow.

Parc industriel Montcalm, à Candiac. La carcasse de l’ancienne usine d’Owens Corning se dresse, frêle et vieillissante. Datant des années 1960, laissée vacante et inoccupée depuis sa fermeture définitive en 2007, elle a visiblement perdu le lustre de ses jeunes années. « [Elle] était dans un état de dégradation très avancé », indique d’entrée de jeu Johanie Bouchard, urbaniste à la Ville de Candiac. Au cours des dernières années, le bâtiment, qui connaissait des enjeux de sécurité, a même été le théâtre de plusieurs scènes de vandalisme, affectant la qualité de vie du voisinage. Une situation que la Ville souhaitait changer.

« Le terrain de l’ancienne usine d’Owen Corning est assujetti au plan particulier d’urbanisme pour faire partie du futur centre-ville de Candiac », explique Johanie Bouchard. Dans cette vision, les enjeux environnementaux et la qualité de vie étaient des critères primordiaux. Et la déconstruction de l’ancienne usine afin de revaloriser le plus possible les résidus de construction, de rénovation et de démolition (CRD) s’inscrivait parfaitement dans ces paramètres.

Volonté écologique

Dès son arrivée à la Ville de Candiac, Karine Lehoux, directrice de la transition écologique et de l’innovation, a travaillé à développer un plan climat, qui inclut un plan d'adaptation et un plan de réduction des gaz à effet de serre (GES), visant à assurer la transition écologique de la Ville. Dans cette perspective, elle s’est également intéressée très tôt à la gestion des CRD. « En temps normal, les CRD ne sont pas traités par la Ville », précise-t-elle.

« Ça faisait quelque temps que Candiac se questionnait sur la manière d’encadrer les demandes de démolition des bâtiments en général. Il nous apparaissait donc important de privilégier la déconstruction plutôt que la démolition », renchérit Johanie Bouchard.

Puis, les astres se sont alignés lorsque le développeur immobilier Rosefellow a montré son intérêt pour l’acquisition d’une partie du terrain de l’usine à l’abandon pour y construire un nouveau bâtiment industriel carbone zéro. « On y va vu une opportunité d’en faire un projet-pilote et d’acquérir de nouvelles connaissances en lien avec la déconstruction et la gestion des CRD, et on a tout de suite eu l’entière collaboration du développeur », s’enthousiasme Johanie Bouchard.

Rosefellow construira un bâtiment BCZ-Design sur le site de l'ancienne usine. Image : Rosefellow

Mike Jager, coprésident de Rosefellow, explique que la déconstruction de l’usine d’Owens Corning allait de soi, car elle s’inscrivait dans les initiatives environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) de l’entreprise. « On cherche déjà à réduire le plus possible notre empreinte environnementale, et le projet qu’on propose de construire sur le site s’inspire des critères LEED, en plus de viser la certification Bâtiment à carbone zéro – Design », explique-t-il.

Le projet prévu pour remplacer l’usine est un bâtiment industriel de 491 000 pieds carrés, avec une section bureaux de 30 000 pieds carrés en façade. Une deuxième zone de bureaux est également possible pour un deuxième locataire du côté de la rue transversale. Le nouveau bâtiment disposera de plusieurs panneaux solaires photovoltaïques et utilisera un système de thermopompes pour le chauffage.

De plus, une partie de la toiture sera végétalisée, tandis qu’un bassin de filtration et un bassin de rétention d’eau ont été prévus. Une aire de stationnement écologique, des jardins collectifs et des murs végétaux figurent également dans le design du projet. Rosefellow, au moment d’écrire ces lignes, était même en cours de cession d’un terrain de 10 000 mètres carrés à la Ville de Candiac pour en faire un parc municipal.

Durant les démarches d’obtention du permis de démolition, la Ville, accompagnée par RECYC-QUÉBEC, a convenu avec Rosefellow d’un plan préliminaire de gestion des matières résiduelles du chantier de déconstruction et de démolition afin de récupérer les matériaux et les produits pouvant être réutilisés ou recyclés et ainsi en détourner le plus possible de l’enfouissement. L’objectif déterminé par la Ville était ambitieux : recycler 50 % des débris secs et 98 % de l’acier, du béton et de la brique.

Intervention de RECYC-QUÉBEC

Rapidement, la Ville de Candiac a réalisé qu’elle avait besoin d’être guidée dans ce processus complexe, dont elle n’avait aucune expérience préalable. « On ne savait comment faire. Qu’est-ce qu’on exige ? Quel est le marché ? Qu’est-ce qu’on peut recycler ? C’était un domaine nouveau pour nous », se rappelle Karine Lehoux.

Johanie Bouchard et Karine Lehoux

C’est ainsi qu’au printemps 2022, elle a entamé des démarches avec RECYC-QUÉBEC pour chercher des réponses à de telles questions et encadrer du mieux possible le processus. Même si RECYC-QUÉBEC n’offrait pas de programme d’accompagnement du genre à l’époque, les connaissances de l’organisme allaient être très utiles pour guider Candiac dans ses démarches. « On a travaillé en coulisses afin d’aider la Ville à utiliser les bons mots et valider certaines informations », confirme Nicolas Bellerose, conseiller en environnement chez RECYC-QUÉBEC.

C’est que la terminologie s’est en effet avérée un enjeu majeur dans le projet de déconstruction de l’usine d’Owens Corning. « On s’est rendu compte qu’il n’y a pas de langage standardisé », explique Johanie Bouchard, tout en précisant qu’il est important de bien comprendre le langage afin d’assurer une bonne communication avec les centres de tri. « On ne savait pas non plus à quel point on pouvait leur demander du sur-mesure », ajoute Karine Lehoux.

Par exemple, la Ville a demandé au centre de tri de fournir des bons de pesée pour les différentes matières résiduelles pour assurer leur traçabilité. Le résultat a été loin d’être aussi simple et limpide qu’anticipé. « C’était assez fastidieux, se souvient Nicolas Bellerose. Les rapports étaient trop volumineux et les libellés portaient à confusion ». La Ville a ainsi dû appeler le centre de tri afin d’obtenir plus de précisions.

Établir de bonnes pratiques

La déconstruction, débutée en avril 2023, aura duré en tout 12 semaines, et l’heure est maintenant au bilan. Un rapport final est en cours d’analyse par la Ville de Candiac et RECYC-QUÉBEC dans le but d’évaluer les quantités de matériaux récupérés. Les résultats devraient être rendus publics d’ici la fin de l’année ou au début de 2024. La construction du nouveau bâtiment a même déjà débuté sur le site de l’ancienne usine.

Entretemps, les défis rencontrés auront permis tant à Candiac qu’à RECYC-QUÉBEC de réaliser une série de bonnes pratiques à mettre en place afin d’éviter le risque de confusion pour d’autres projets à l’avenir. « Premièrement, la Ville doit s’assurer avec l’entrepreneur d’avoir un plan de gestion des matières résiduelles. Elle peut aussi établir des cibles de récupération à atteindre », suggère Nicolas Bellerose. Il souligne également l’importance d’instaurer un mécanisme de suivi des travaux, pour les rendre plus efficaces et fluides, ce qui nécessite la désignation d’une personne ressource à l’interne à la Ville et chez l’entrepreneur.

Nicolas Bellerose

Fort de cette expérience, RECYC-QUÉBEC travaille même à la production d’une trousse d’aide qui pourra donner les lignes directrices aux municipalités souhaitant réaliser un projet de déconstruction similaire. Cet outil devrait être rendu disponible en 2024.

De plus, afin de vérifier les informations des centres de tri, qui ne sont pas toujours mises à jour, ainsi que le taux de tri, Nicolas Bellerose avance que RECYC-QUÉBEC pourrait possiblement jouer ce rôle de vérificateur à l’avenir. « Les urbanistes sont une nouvelle clientèle cible pour nous, car habituellement, on travaille plutôt avec les services d’environnement des municipalités », précise-t-il.

La Ville de Candiac, quant à elle, insiste sur la nécessité d’être accompagnée d’un expert dans un tel processus et d’oser demander de l’aide, notamment afin de valider les acteurs impliqués et les matières pouvant être triées. « Le marché change beaucoup : c’est difficile de suivre et de s’adapter », a constaté Karine Lehoux. Elle fait remarquer également que ce projet-pilote a amené la Ville à réfléchir présentement à de futures modifications du règlement de démolition pour encadrer les travaux de déconstruction sur son territoire.

De son côté, le promoteur mentionne la bonne collaboration avec la Ville tout au long du projet. « On a eu un an de discussions avec la Ville afin de s’assurer de ce qu’elle voulait et répondre à ses exigences, mais aussi répondre aux inquiétudes des citoyens », explique Mike Jager. Outre le haut taux de matériaux à recycler visé par la Ville, la déconstruction devait aussi être réalisée par section en minimisant au maximum les entraves à la circulation. Une attention particulière a été accordée au contrôle de la poussière dans le but de diminuer l’impact sur les citoyens et les usines environnants.

« On a rencontré les citoyens lors d’une assemblée de bon voisinage tenue en octobre dernier et ils se sont montrés très contents du processus, notamment de la vitesse à laquelle se sont déroulés les travaux. On n’a eu aucune plainte », se ravit le coprésident.

Rosefellow n’en était d’ailleurs pas à ses premières armes avec la déconstruction de bâtiments, en ayant réalisé deux autres à Laval et à Pointe-Claire. Il s’agissait toutefois du premier d’une telle envergure. Julian Nini, directeur, Construction chez Rosefellow, précise que l’état délabré du bâtiment et les nombreuses extensions réalisées au fil des ans leur ont également réservé pas mal de surprises.

Reconnaissance internationale

Fin octobre, la Ville de Candiac a eu l’honneur de remporter le 3e prix des Trophées de l’Innovation des Territoires Médians dans la catégorie International 10 000 à 10 0000 habitants dans le cadre du Sommet international de l'innovation en villes médianes (SIIViM) pour le projet de déconstruction responsable de l’ancienne usine d’Owens Corning. Ce concours récompense les plus belles stratégies d’innovations locales des collectivités françaises et de l’international. « On est tellement fiers de cette belle réalisation qui témoigne de la volonté de la Ville d’innover et de mettre de l’avant le développement durable », s’enthousiasme Johanie Bouchard.

« Ce sont de petits pas qui donnent de grosses victoires », renchérit sa collègue Karine Lehoux.

Équipe de projet
  • Client : Ville de Candiac
  • Promoteur : Rosefellow
  • Entrepreneur/déconstruction : Delsan-A.I.M.
  • Entrepreneur général : Divco
  • Architecture : GKC architectes
  • Architecture de paysage : Projet Paysage
  • Génie civil : Équipe Laurence
  • Génie structural : Les conseillers BCA
  • Génie mécanique Ventilation : G.R.
  • Génie électrique : Milanco Groupe
  • Consultant en efficacité énergétique : Martin Roy et associés
Déconstruction : les bénéfices
  • Récupération de 50 % des débris secs
  • Récupération de 98 % de l’acier, du béton et de la brique
  • En concordance avec la transition écologique de la Ville
  • Impact moindre pour le voisinage (bruit, poussière)