Bienvenue dans l’univers net positif d’un immeuble de bureaux haute performance issu d’une requalification expérimentale.
Un ancien entrepôt désaffecté dans le Sud-Ouest de Montréal, rue Saint-Jacques. Voilà le point de départ d’une aventure, parce qu’il s’agit bien de cela, qui mènera ces dernières années à la conception et à la réalisation d’un immeuble de bureaux sans nul autre pareil en sol québécois. De savoir qu’il est aujourd’hui frappé des sceaux Bâtiment à carbone zéro – Performance et Fitwel 3 étoiles, et qu’il est en attente d’une certification LEED-NC Platine et est aussi enregistré au Living Building Challenge, suffit vite à en prendre la mesure.
C’est sans compter que cette réalisation accumule déjà les marques de reconnaissance. Comme le Prix d’excellence en bâtiment durable 2020, catégorie Nouvelle construction, du Conseil du bâtiment durable du Canada; le prix Stephen R. Kellert Biophilic Design Award 2019, catégorie Intérieur/rénovation, de l’International Living Future Institute; ou encore le prix Eureka! d’un Québec vert et prospère 2019, catégorie Bâtiment vert et construction, d’Écotech Québec, pour citer ces exemples.
Cet immeuble, le désormais bien nommé Phénix, c’est celui qui loge le siège social de Lemay. Et le hasard n’a rien à voir dans la décision de cette firme de services intégrés de conception de jeter son dévolu sur ce bâtiment qui ne payait vraiment pas de mine, il n’y a pas si longtemps encore, pour réunir sous un même toit ses effectifs montréalais – ils étaient principalement répartis en deux endroits sur l’île.
« Nous voulions absolument minimiser le plus possible l’empreinte carbone de notre projet de relocalisation, et c’est pourquoi nous avons opté pour un bâtiment existant en vue de lui redonner une nouvelle vie », indique Louis T. Lemay, président de Lemay, en soulignant que différents facteurs militaient alors en faveur de l’entrepôt délabré de la rue Saint-Jacques.
C’est que cet immeuble de trois étages offre notamment un accès direct au transport en commun, à commencer par sa proximité avec la station de métro Lionel-Groulx; de grands planchers – 30 000 pieds carrés par étage – et de hauts plafonds laissant libre cours aux aménagements souhaités par Lemay; une grande quantité de luminosité naturelle, puisque le bâtiment est peu profond; et une capacité structurale permettant éventuellement d’y ajouter jusqu’à quatre étages.
Lemay vise initialement à rassembler ses équipes pluridisciplinaires en un seul lieu pour renforcer leur collaboration lorsque leurs membres sont appelés à travailler sur un même projet, tout comme la firme souhaite leur offrir un environnement de travail stimulant et favorisant leur mieux-être. Au fil des réflexions qui s’ensuivent, l’idée de pousser plus avant l’intégration de solutions d’avant-garde et de faire de son nouveau domicile une vitrine sur le bureau du futur fait aussi son chemin…
Vers un projet réplicable
De l’idée au déploiement d’une démarche axée sur l’intégration de stratégies conceptuelles innovantes, il n’y a qu’un pas que Lemay franchit d’un trait. Mais non sans viser à ce que son projet de requalification soit réplicable à grande échelle. « Nous voulions également démontrer qu’il était possible de réaliser un tel bâtiment à haute performance environnementale sans qu’il en coûte plus cher que pour un immeuble standard comparable, explique Louis Lemay.
« Dès lors, ajoute l’architecte montréalais, nous étions bien conscients qu’il fallait nous engager dans une démarche qui s’accompagnerait inévitablement d’essais et d’erreurs, qu’il faudrait parfois corriger le tir et que nous serions en quelque sorte des cobayes dans notre propre laboratoire. Mais le jeu en valait certainement le coup. »
Laboratoire. Voilà le mot clé est lâché. Car le processus de conception du Phénix sera teinté de bout en bout par la quête et l’expérimentation de solutions avancées ainsi que par la recherche constante d’un équilibre entre les interactions de chacune des stratégies à imbriquer au design du projet. L’équipe intégrée de Lemay réunie autour de la table est notamment formée de spécialistes de l’architecture, du design d’intérieur, de l’architecture du paysage et du développement durable. Elle bénéficie aussi de l’expertise en modélisation et en transition énergétique de Martin Roy, président de la firme de génie électromécanique Martin Roy et associés.
La tâche s’avère loin d’être mince. Surtout qu’il est déjà établi que le projet sera réalisé dans une perspective hautement durable, avec comme cible LEED-NC Platine, et qu’il visera l’atteinte d’une consommation énergétique nette zéro. Si la barre est déjà haute, elle n’en sera pas moins relevée davantage au moment de la conception, voire de beaucoup même…
Objectif net positif
« Net zéro, c’était dans les objectifs initiaux, mais il y a de nouveaux objectifs qui ont émergé en cours de route, raconte Hugo Lafrance, directeur, Stratégies durables chez Lemay. Parce que nous avons décidé de cibler une certification qui n’est alors pas encore officiellement lancée, celle du Bâtiment à carbone zéro du Conseil du bâtiment durable du Canada, de façon non seulement à minimiser le carbone opérationnel, soit celui relié à l’énergie, mais aussi le carbone intrinsèque lié à l’utilisation des matériaux.
« La conception du Phénix, poursuit-il du même élan, nous offrait aussi l’occasion de pousser plus avant et de peaufiner l’application de notre approche nette positive qui se déploie autour de trois axes : la santé des occupants; la protection de l’environnement; et la réduction des émissions de carbone. »
C’est dans cette foulée que l’obtention d’une certification Fitwel s’ajoute aussi aux objectifs guidant le design du projet. Ce standard, soulignons-le, comprend plus de 55 stratégies de conception et d’opération s’articulant autour du bien-être des occupants, au premier chef leur santé. Elles sont réparties dans 12 sections, dont l’emplacement, l’accès au bâtiment, les espaces extérieurs, l’environnement intérieur et les espaces de travail.
Dans l’intervalle, l’équipe de design continue de cheminer. Et elle démontre que l’atteinte de la consommation énergétique nette zéro est à portée de main sans engager de coûts additionnels. L’ingénieur Martin Roy explique. « Nous avons commencé par modéliser le bâtiment de façon passive, sans chauffage ni climatisation, pour voir à combien se situerait la température à l’intérieur. Puis en y ajoutant de l’isolation ou pas, en y intégrant du verre écoénergétique ou pas… Nous avons pu conclure que c’était possible et que ça pouvait être rentable. »
Lemay décide donc d’aller de l’avant et de se doter d’un bâtiment qui produira plus d’énergie qu’il en consomme. Mais avant même de penser à produire de l’électricité au moyen de capteurs photovoltaïques (PV), encore faut-il minimiser le plus possible la consommation d’énergie du bâtiment pour éviter de surdimensionner les systèmes électromécaniques et ainsi respecter le cadre budgétaire établi.
Décarbonisation avancée
Comme l’ancien entrepôt est un bâtiment massif en béton et en brique dont les murs ne peuvent être isolés ni de l’extérieur ni de l’intérieur, l’équipe de conception se concentre sur le renforcement du maillon le plus faible de l’enveloppe, la fenestration, avec le recours à du verre triple du côté nord. De l’isolation est également ajoutée au toit.
Il s’ensuit l’intégration au design du projet d’une batterie de stratégies qui s’enchevêtreront pour concourir à l’optimisation écoénergétique du bâtiment. Comme le recours à la luminosité naturelle, l’apport de gains solaires passifs en hiver, l’intégration de fenêtres ouvrantes, la mise en place d’un système de ventilation par déplacement ou encore la dissociation des systèmes de ventilation et de climatisation pour limiter au maximum le fonctionnement des ventilateurs, pour couper court à une énumération qui pourrait se décliner encore longtemps.
Les concepteurs voient également à optimiser la récupération de chaleur sous toutes ses formes dans le bâtiment. Ils intègrent aussi un grand mur-rideau sur la façade sud qui contribuera non seulement à ouvrir le bâtiment sur l’extérieur, du côté d’un parc linéaire longeant une voie ferrée, mais aussi à produire de l’énergie thermique. « Le mur-rideau a été devancé un peu en projection de quelques pouces, créant ainsi un interstice dans lequel l’air chauffé par le soleil circule puis est ensuite récupéré et mis à profit pour le chauffage du bâtiment », souligne l’architecte Bryan Marchand, chargé de conception chez Lemay.
« Nous avons envisagé l’insertion de panneaux PV à la place des tympans, ce qui aurait permis de produire à la fois de l’énergie thermique et électrique, mais il aurait été beaucoup trop onéreux de faire fabriquer les modules PV sur mesure », ajoute Martin Roy, en soulignant qu’au final, la consommation d’électricité annuelle du bâtiment avait été réduite à 52 kWh par mètre carré.
La production d’électricité, elle, sera assurée au moyen de quelque 300 capteurs PV bifaciaux installés en toiture ainsi que de quelques-uns de type monofacial sur le mur sud-ouest du bâtiment. « Ce système est couplé à un système d’accumulation électrique, constitué de batteries au lithium-ion, qui permet d’aplanir les pointes et de maintenir une demande constante à 100 kW », précise Martin Roy, non sans ajouter qu’un système d’accumulation thermique a aussi été mis en place pour pourvoir aux besoins en chauffage lorsque ce sera requis.
Mieux-être des occupants
Si beaucoup d’efforts sont déployés au moment de la conception pour faire du Phénix un bâtiment haute performance sur le plan énergétique, l’aménagement des espaces intérieurs n’est pas en reste, loin de là même. Dès les premiers coups de crayon, l’équipe de conception veille à limiter les interventions dans le bâtiment et à réduire l’utilisation de finis architecturaux, en plus de faire une large place au design actif et au déploiement de stratégies biophiliques.
Ce milieu de vie est axé sur la flexibilité et la mobilité dans les espaces ainsi que le mieux-être des occupants. Conçu pour favoriser la collaboration, il comprend sur chaque étage une grande aire réunissant des stations de travail ergonomiques, dont plusieurs peuvent être mises en position debout, ainsi qu’une multitude de salles de conférence, de salles de rencontre pour des équipes réduites et de zones de travail informelles. Sans oublier qu’il est pourvu d’une agora, d’une capacité de quelque 175 personnes, qui peut accueillir des conférences internes et des événements ouverts au public.
Intégrée à l’architecture, à l’aménagement intérieur et au choix des matériaux, l’orientation biophilique de la conception se traduit par la présence de plantes et d’un vaste mur végétalisé, par une abondance de lumière naturelle ainsi que par des vues sur les arbres et la végétation du parc linéaire qui borde le flanc sud du bâtiment. À cela s’ajoutent notamment de nombreuses œuvres d’art et une offre d’aliments sains.
« En mai 2019, indique Hugo Lafrance, le Phénix a obtenu la cote 3 étoiles de Fitwel avec 131 points, soit le plus haut score au monde dans sa catégorie. » C’est dire tout le chemin parcouru depuis l’amorce du processus visant à revitaliser le vieil entrepôt du Sud-Ouest. Et ce n’est pas fini…
Architecture, design d’intérieur, aménagement paysager, stratégies durables : Lemay
Mise en service, simulation énergétique et transition énergétique : Martin Roy et associés
Génie électromécanique : Dupras Ledoux Ingénieurs
Génie structural : ELEMA
Construction : TEQ
Gestion immobilière : Groupe Mach
L’atteinte de la cible zéro carbone du Phénix s’accompagne notamment des faits saillants suivants :
- bâtiment conçu en fonction d’un plan de transition énergétique pour opérer 100 % à l’électricité;
- émissions indirectes des gaz à effet de serre (GES) générées annuellement par la consommation électrique réduites à 7,2 tonnes d’éq. CO2;
- production d’électricité photovoltaïque permettant d’éviter l’émission de 4 tonnes d’éq. CO2 par an;
- bilan net annuel du Phénix permettant d’éviter la production de 815 tonnes d’éq. CO2 par rapport au bâtiment de référence;
- électricité photovoltaïque représentant environ 36 % (simulation) des besoins énergétiques annuels;
- gestion de l’appel de puissance effectuée au moyen d’un réservoir de stockage d’énergie thermique et d’un système de stockage d’énergie électrique;
- production d’énergie photovoltaïque de plus de 250 000 kWh annuellement;
- recyclage d’un entrepôt désaffecté ayant permis d’éviter l’émission de plus de 2 000 tonnes de carbone (côté matériaux);
- achat de crédits carbone certifiés Green-e pour compenser les émissions de GES annuelles.
La consommation énergétique du Phénix a été réduite de 53 % – 63 % de réduction en termes de coûts – par rapport à la référence de l’ASHRAE 90.1-2007. De nombreuses stratégies concourent à l’atteinte de cette performance, dont :
- le renforcement de l’enveloppe thermique par l’utilisation de verre triple et l’optimisation de l’isolation de la toiture;
- l’apport abondant de luminosité naturelle et, aussi, de gains solaires passifs en hiver – ils sont occultés partiellement par le feuillage d’arbres s’élevant devant le mur-rideau en été, de même qu’au moyen de toiles solaires lorsque cela est requis;
- le maintien des températures intérieures hors des standards de confort habituels : jusqu’à 26 degrés Celsius en été; 19-20 degrés Celsius en hiver;
- l’utilisation d’un éclairage DEL contrôlé au moyen de détecteurs d’occupation, de mouvement et de luminosité extérieure (pour optimiser l’utilisation de la lumière naturelle dans ce dernier cas);
- le recours à un système de contrôle des plus avancés afin d’assurer la synergie et la performance de l’ensemble des systèmes CVAC et d’éclairage;
- la dissociation des systèmes de ventilation et de climatisation permettant de ne pas brasser un grand volume d’air en tout temps pour amener de l’air neuf et de laisser les ventilateurs à l’arrêt sauf quand il faut climatiser les espaces;
- la distribution de l’air neuf par déplacement par le biais de diffuseurs localisés au bas de certaines colonnes structurales;
- le recours à des détecteurs de CO2 permettant de moduler le volume d’air neuf introduit dans le bâtiment;
- la récupération de la chaleur derrière le mur-rideau, côté sud, pour optimiser le coefficient de performance des thermopompes servant au chauffage du bâtiment en alimentant un réseau hydronique à basse température couplé à des radiateurs disposés au périmètre;
- la récupération de l’énergie sur l’air évacué au moyen de roues thermiques – une sur chaque étage – pour préchauffer l’air neuf;
- la récupération de chaleur dans la salle des serveurs;
- l’accumulation d’énergie dans des réservoirs chauffés avec des surplus d’électricité produite par les capteurs photovoltaïques pour chauffer le bâtiment;
- l’établissement de consignes pour limiter la consommation d’énergie des ordinateurs;
- et (plusieurs) autres.
D’une capacité de 180 MWh annuellement, le système de génération d’énergie renouvelable du Phénix s’articule autour de l’utilisation de modules photovoltaïques (PV) bifaciaux, une technologie qui permet également de bénéficier des réflexions solaires provenant de la toiture blanche du bâtiment et, également, de la neige. Ses concepteurs, Rematek Énergie et ses partenaires Prosolaire et Opsun, ont en outre vu à optimiser la génération d’énergie sur un toit plat.
« L’utilisation de panneaux bifaciaux permet de générer de 15 à 25 % plus d’énergie pour une surface donnée, et les modules viennent avec une garantie de performance de 30 ans », précise Mike Perrault, président de Rematek, en soulignant que le système PV conçu pour le Phénix présente la particularité d’être couplé à un système de stockage d’énergie électrique.
Pourvu d’une batterie – constituée de plusieurs batteries branchées en série – de 137 kWh, ce système a une capacité de 66 kW comme charge de pointe.