La structure de bois de la nouvelle bibliothèque de Mont-Laurier a été pensée pour être entièrement démontée en fin de vie. Un système novateur qui permettra de reconstruire un bâtiment sur un autre site ou de réutiliser les éléments structuraux dans un autre projet.
La Ville de Mont-Laurier souhaitait depuis longtemps revoir son offre de bibliothèque, jusqu’alors divisée en trois succursales. Pour réunir tous ses services sous un même toit, la nouvelle bibliothèque de 1 200 m2, répartis sur deux étages, sera stratégiquement située à l’entrée du centre-ville et offrira une architecture contemporaine en concordance avec les plus récentes normes en matière de bibliothèque publique. Celle-ci viendra d’ailleurs remplacer un bâtiment existant qui abritait déjà la bibliothèque actuelle, mais dont le manque important d’espace et plusieurs problèmes de cohabitation le rendaient obsolète pour les citoyens.
« C’était très clair pour la Ville qu’ils allaient démolir le bâtiment existant et ensuite reconstruire la nouvelle bibliothèque beaucoup plus spacieuse sur le même site, mais entièrement réaménagé, reconfiguré et revégétalisé », explique Ève Beaumont-Cousineau, architecte associée chez Chevalier Morales.
Petit budget, grandes ambitions
De l’aveu de l’architecte, il y avait beaucoup à faire afin d’arrimer la nouvelle bibliothèque de Mont-Laurier aux normes actuelles, que ce soit en matière d’espace, d’équipements, d’aménagement et de luminosité naturelle. Le développement durable était aussi au cœur des ambitions et des préoccupations pour ce projet. « La Ville souhaitait s’inscrire dans une vision de décarbonation des bâtiments et opter pour une solution plus durable », indique Ève Beaumont-Cousineau.
Et la Ville de Mont-Laurier souhaitait également que le bois, un matériau étroitement relié à l’histoire et à l’économie de cette région située au cœur des Hautes-Laurentides, soit très visible dans le projet. « Le plus gros changement qui s’est opéré entre le programme fonctionnel et technique et les plans et devis, c’est vraiment la question de la présence du bois », souligne Ève Beaumont-Cousineau.
Au départ, pour des raisons budgétaires, le projet intégrait surtout des revêtements intérieurs faits à partir de ce matériau. Mais au moment de l’appel d’offres, les ingénieurs de Latéral ont exploré la faisabilité de concevoir une structure en bois innovante, laquelle donnerait accès au Programme d’innovation en construction bois (PIBC) du ministère des Ressources naturelles et des forêts. Une initiative applaudie par la Ville.
Le bois au cœur du projet
« Le projet, c’est vraiment la structure ! », déclare l’architecte en riant. La structure en bois développée par Latéral sera en effet visible de partout, créant une ambiance enveloppante sur les deux niveaux.
Les plafonds de la nouvelle bibliothèque seront formés par des caissons en bois lamellé-collé qui rythment chacun des espaces. « Ça nous a amenés complètement ailleurs. On a eu plein de belles réflexions sur comment on pouvait utiliser cette structure-là pour développer un motif de tuile de plafond dans toute la bibliothèque. On a même développé un appareil d’éclairage sur mesure pour donner l’impression d’une tuile lumineuse qui occupe le caisson carré de la structure de bois », explique Ève Beaumont-Cousineau.
D’ailleurs, la structure en bois sera conçue de façon à intégrer complètement les systèmes mécaniques et électriques du bâtiment, laissant le plafond non obstrué par ces équipements. Un phénomène plutôt rare pour une structure en bois lamellé-collé laissée exposée. La solution : des planchers surélevés pour dissimuler l’entièreté des conduits. « Les services sont donc situés en dessous de nos pieds à chacun des étages », précise l’architecte, une particularité qui faisait partie du concept structural innovant.
Une structure réciproque
Le concept structural consiste en une ossature réciproque (reciprocal frame), qui est en fait un assemblage de plusieurs petites pièces répétitives qui se prennent les unes dans les autres pour ultimement ramener la charge à des colonnes ou aux fondations. « Il n’y a aucun élément de bois qui va d’un mur à un autre ou d’une colonne à une autre : ils sont tous pris les uns dans les autres », explique Thibaut Lefort, ingénieur chez Latéral.
Bien qu’il s’agirait du premier du genre au Canada pour un bâtiment institutionnel, ce système structural ne date pas d’hier. « C’est une très ancienne façon de construire, explique l’ingénieur. Il y a même Léonard de Vinci qui a fait un magnifique croquis d’un ponceau en bois en ossature réciproque. »
« On voulait s’assurer de créer une structure en bois bien intégrée, dans le sens où les services comme la ventilation, les gicleurs et l’électricité sont réfléchis pour ne pas seulement être un ajout », explique Thibaut Lefort. Les ingénieurs ont choisi d’utiliser une trame de 12 pieds sur 12 pieds pour les colonnes, qui pouvait ensuite se subdiviser en une trame de 4 pieds sur 4 pieds ou de 4 pieds sur 8 pieds.
« On arrive là à des dimensions constructives nord-américaines qui sont idéales », fait remarquer l’ingénieur, précisant qu’il est alors possible de travailler avec des matériaux de petite taille, et ce, de façon économique et sans engendrer de perte. Cette subdivision en plus petites trames est également ce qui crée l’effet de caisson. « On en voit souvent en béton, mais en bois, c’est plus difficile à faire », explique Thibaut Lefort.
Plus précisément, toutes les poutres utilisées auront une longueur de 8 pieds et se croiseront pour former des caissons de 4 pieds sur 4 pieds. Toutes les poutres seront donc identiques, à l’exception de celles situées au-dessus des colonnes d’acier, qui présenteront des assemblages différents. Les poutres se croiseront et s’assembleront l’une à l’autre pour former un grillage de plancher bidirectionnel qui répartira les charges uniformément sur l’ensemble de la structure.
Une première au Canada
L’avantage d’utiliser un système structural avec de petites pièces répétitives est qu’il peut être plus facilement conçu pour être entièrement démontable et réutilisable en fin de vie du bâtiment pour un autre projet. Selon les concepteurs, il s’agirait d’ailleurs du premier bâtiment institutionnel en bois au Canada à être conçu selon cette approche, qui va plus loin que le Design for Deconstruction (DfD) en considérant également la réutilisation des matériaux.
« C’est une des difficultés de la construction en bois : c’est plus difficile de recycler que d’autres matériaux », explique Thibaut Lefort, d’où la motivation de créer une structure pouvant être déconstruite facilement sans endommager les différents éléments structuraux. L’idée est de conserver le carbone séquestré dans le bois le plus longtemps possible.
Lorsque le temps sera venu de déconstruire le bâtiment, la Ville de Mont-Laurier aura déjà en mains l’inventaire de toutes les pièces qui le composent, incluant les assemblages. « Dans 50 ans, un ingénieur pourra prendre toutes ces informations-là et reconcevoir un bâtiment qui peut être complètement différent, mais basé sur la même trame de 4 pieds sur 4 pieds », s’enthousiasme Thibaut Lefort, précisant que plusieurs possibilités de configurations s’offriront alors aux futurs concepteurs en raison des éléments structuraux tous identiques. L’inventaire contiendra aussi les paramètres de calcul de conception.
L’ingénieur explique que dans l’approche DfD, surtout en structure de bois, on veut que les connexions soient exposées le plus possible et accessibles pour pouvoir démonter facilement la structure. C’est pour cette raison que les assemblages seront faits avec des goujons laissés apparents. Seule la fente située sous les assemblages poutres-colonnes sera camouflée par de petits blocages de bois vissés. « On s’est aussi assuré que la ligne de goujons était toujours 200 mm par rapport à l’axe et non par rapport à la face de la poutre, parce que les poutres de l’étage sont plus grosses que les poutres du toit », ajoute Thibaut Lefort.
Autour de l’arbre
L’omniprésence du bois dans la structure, le mobilier et les revêtements du projet a permis à celui-ci de se développer autour de l’arbre, au sens propre comme au figuré. Non seulement le contraste entre le revêtement extérieur en bois prévieilli et du bois pâle à l’intérieur n’est pas sans rappeler un arbre et son écorce, mais aussi un bouleau traversera littéralement la bibliothèque sur toute la hauteur du bâtiment, créant une cour intérieure qui contribuera à faire entrer la lumière naturelle et la nature au cœur de la bibliothèque.
« Dès qu’on monte l’escalier, c’est la première chose qu’on va voir à notre droite », précise Ève Beaumont-Cousineau. Un creux similaire a été prévu dans la zone jeunesse, laissant un petit arbre entrer dans l’espace au rez-de-chaussée. L’architecte ajoute que la structure réciproque a permis de poursuivre facilement la trame afin de créer un ponceau de longue portée qui encadrera le bouleau, permettant aux usagers de la bibliothèque d’en faire le tour. Une belle façon de rendre hommage au matériau à l’honneur dans ce projet.
Client : Ville de Mont-Laurier
Architecture : Chevalier Morales
Génie structural : Latéral
Génie civil : Équipe Laurence
Génie électromécanique : Pageau Morel
Entrepreneur général : ED Brunet
Fournisseur de la structure en bois : Charpentes Montmorency
Consultant en ergonomie : Intergo
Consultant en scénographie : Trizart
Consultant en acoustique : WSP
Les avantages d’une structure réciproque en bois
- Utilisation d’une ressource locale
- Réduction des pertes de matériau
- Réduction du volume de la structure
- Réduction des émissions de GES
- Utilisation d’une trame flexible
- Applications multiples, dont à de grandes charges