Un parement innovant en aluminium bombé

Concevoir un revêtement en aluminium plus efficace et économique : voilà le défi que se sont donné les concepteurs du projet L’Albédo, qui sera livré en 2024 à Québec. La solution : courber le panneau afin d’augmenter sa rigidité, et donc de réduire son épaisseur. Francis Fortin, architecte associé chez Lafond Côté Architectes, et Réjean Boilard, coordonnateur général d’Action-Habitation, sur la démarche ayant mené à cette innovation.

« Ça prend environ trois ans pour développer un nouveau revêtement comme celui-ci », explique Francis Fortin. Il parle ici d’expérience, car Réjean Boilard et lui ont également développé le panneau en aluminium inspiré de la tôle à la canadienne qui recouvre la Maison de Lauberivière, à Québec, un autre projet qui avait aussi pris dix ans jour pour jour à se concrétiser.

Genèse d’un revêtement courbé

Dans le cas de L’Albédo, un immeuble de logements sociaux pour personnes âgées s’élevant sur 12 étages, le défi était de taille. « On voulait utiliser l’aluminium pour son côté vert, c’est à- dire qu’il s’agit d’un produit de chez nous qui en plus est recyclable », précise l’architecte. Réjean Boilard acquiesce. « Dans le domaine du logement social, on essaie aussi d’avoir des enveloppes qui vont demander le moins d’entretien possible et qui vont être le plus durables possible. »

Le défi des concepteurs consistait à trouver une solution plus économique qui permettrait au revêtement d’être à la fois performant et résistant, tout en étant le plus mince possible. C’est à ce moment-là que la forme courbée est apparue. « Normalement, les panneaux de revêtement en aluminium font autour de 3,2 mm d’épaisseur. Avec le panneau de Lauberivière, on avait réussi à réduire jusqu’à 2 mm. Dans le cas de L’Albédo, on n’a que 0,8 mm. En le poussant et en le bombant, on vient lui donner une force de résistance », explique l’architecte. Il fait d’ailleurs remarquer que certains panneaux sont bombés vers l’extérieur, alors que d’autres le sont vers l’intérieur, rendant ainsi ce système très polyvalent.

« En diminuant l’épaisseur du revêtement, on réduit la quantité d’aluminium utilisée, ce qui est non seulement plus économique, mais aussi plus écologique », s’enthousiasme Réjean Boilard.

Autre ingéniosité du revêtement développé : sa pose est extrêmement rapide, ce qui contribue une fois de plus à le rendre plus économique. « On pose un premier panneau, puis le deuxième vient s’insérer dedans par glissement. On a un angle droit pour pouvoir accoter la paume de la main, le pousser en place puis venir le fixer par le côté dans les fourrures métalliques », détaille Francis Fortin. Le revêtement prend ainsi une forme bombée qui le rend très rigide.

Créer un concept de toutes pièces

Penser à la forme courbée n’était que la première d’une longue série d’étapes. Avant de pouvoir produire ce concept en usine, il fallait également trouver des fournisseurs, faire des tests et même développer un nouveau système d’assemblage adapté au revêtement.

Les concepteurs ont finalement cogné à la porte de Moulures Modernes, une entreprise de la Beauce avec laquelle ils avaient développé le revêtement en aluminium de Lauberivière. « La recherche et développement coûte cher, surtout les tests en laboratoire. Ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont prêtes à prendre ce risque financier », fait remarquer Réjean Boilard.

Une fois les croquis réalisés, l’architecte les envoie à Nicolas Boutin, directeur de projet chez Moulures Modernes, qui les analyse puis les commente. Un échantillon de 10 pieds sur 10 pieds du panneau est ensuite construit par l’architecte et M. Boutin au laboratoire d’UL, à Varennes, afin de réaliser différents tests : changements de température, résistance aux vents et aux intempéries, pression positive et négative, etc.

Le développement du système d’assemblage a quant à lui causé bien des nuits blanches à l’architecte. « En faisant faire des simulations informatiques par Serge Pagé, de Mat-Comp, on s’est rendu compte que sous l’effet de la pression négative, le panneau cherchait à sortir dans le bas », explique-t-il. Après plusieurs semaines de réflexion, il a finalement conçu un système de « clips » qui permettait de glisser, puis de « clipser » le panneau, le tenant fermement en place.

Le revêtement de L’Albédo comporte également un système d’agrafes qui fait en sorte que les panneaux vont pouvoir bomber davantage sous l’effet de variations thermiques dues à la chaleur. « Moulures Modernes a réalisé des matrices spécialement pour ce type d’assemblage », souligne Francis Fortin.

Fait intéressant : en plus d’être utilisés comme revêtement, les panneaux bombés serviront aussi comme panneaux d’intimité sur les balcons ainsi que de pare-soleil sur le CPE Mistigri, intégré au projet de L’Albédo. « Le fait d’avoir un panneau qui n’est pas plat fait aussi en sorte que ça diffracte le son, ce qui rend l’environnement moins bruyant », ajoute Francis Fortin, rappelant que le projet de Tramway est prévu pour passer devant.

Un potentiel à exploiter

Francis Fortin et Réjean Boilard n’en étaient pas à leur premier projet avec un revêtement en aluminium, et à les entendre, ce ne sera certainement pas le dernier. Tous deux rêvent déjà à de futures collaborations où ils pourront à nouveau repousser les limites de l’utilisation de ce matériau.

Avec AluQuébec, grappe industrielle qui a pour mission d’accroitre l’utilisation de ce matériau au Québec, et la Stratégie québécoise de développement de l’aluminium à laquelle participe la Société d’Habitation du Québec, les pions sont en place pour aider à faire croitre cette industrie dans le secteur du bâtiment en intégrant des produits novateurs. Réjean Boilard s’enthousiasme que la subvention octroyée par le gouvernement dans le cadre de la Stratégie ait contribué à concevoir un immeuble innovant et de grande qualité pour les plus démunis de la société. « Je crois foncièrement que tout le monde devrait avoir accès à la beauté », précise-t-il.