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Cap sur l’optimisation de la résilience de l’enveloppe du bâtiment

25 juin 2024
Par Cynthia Bolduc-Guay

Un projet de recherche appliquée qui vise à rendre l’enveloppe du bâtiment plus résiliente en revisitant un concept millénaire : l’inertie thermique.

La genèse de ce projet mené par l’architecte Richard Trempe, en collaboration avec l’Université Laval et la firme Partie 5, remonte à décembre 2022 alors que, quelque part sur une terre boisée de la région de Portneuf, l’initiateur de cette recherche voit soudainement les lumières autour de lui s’éteindre, de même que tous les autres appareils électriques. Panne de courant. Celle-ci durera… six jours. Un délai très long en ce début d’hiver québécois. « C’est là que je me suis mis à réfléchir à comment optimiser nos enveloppes pour emmagasiner la chaleur », se souvient-il.

Isolation et inertie thermique

Au Québec, le Code de l’énergie encourage l’isolation afin de retarder la perte de chaleur. Cette philosophie mène parfois à la super isolation, donc à utiliser encore plus de matériaux. Une vision qui a ses effets pervers selon Richard Trempe. « Plus on utilise de matériaux, plus on génère de GES », déplore-t-il.

Son approche : tenir compte des facteurs isolants tout en considérant davantage l’application de stratégies bioclimatiques. Il s’intéresse ainsi aux gains solaires, à l’orientation, à la configuration des bâtiments ainsi qu’à l’inertie thermique. Cette dernière fait référence à la capacité d’un système constructif à emmagasiner la chaleur et à la restituer dans le temps.

Le défi consiste à trouver le bon dosage entre isolation et inertie thermique, explique Richard Trempe. Photo : Richard Trempe

« Je n’invente pas ça : ça fait des millénaires que ça existe, surtout dans le climat méditerranéen », souligne l’architecte. Dans ces pays, de grandes masses de béton, de pierre ou de briques permettent d’accumuler la chaleur pendant le jour, évitant ainsi qu’elle ne traverse à l’intérieur. Durant la nuit, le processus est inversé, si bien que la chaleur est lentement restituée vers l’extérieur. Ce phénomène, que l’on appelle aussi « déphasage thermique », permet de créer des espaces intérieurs confortables et où la température ambiante reste relativement la même, et ce, même si les conditions extérieures changent. Une telle approche était aussi utilisée dans nos bâtiments ancestraux en pierre massive au Québec afin d’emmagasiner la chaleur dans les murs.

En contexte québécois, on a besoin de conserver la chaleur à l’intérieur, ce qui rend le tout plus complexe, nuance l’architecte. « Le paradoxe, c’est qu’un isolant isole parce qu’il y a de l’air et qu’il est léger, alors que pour faire de l’inertie thermique, ça prend de la densité et du poids. Mais plus les matériaux sont lourds, et moins ils sont isolants », explique Richard Trempe. Le défi consiste donc à trouver le bon dosage entre isolation et inertie thermique.

Expérimentation in situ

Il faut dire qu’il ne s’agit pas de la première expérience de Richard Trempe avec le développement d’enveloppes innovantes à haute efficacité énergétique et à plus faible empreinte carbone. Sur la terre qu’il a acquise dans Portneuf, trois autres bâtiments expérimentaux conçus par l’architecte se dressent déjà fièrement. Ceux-ci constituent le projet d’Auvergne Laboratoire vivant. Sur les trois déjà construits, deux sont identiques en termes d’orientation, d’exposition au soleil, de volumétrie et d’espaces, seule l’enveloppe est différente. Le bâtiment qui s’ajoutera cette année aura lui aussi les mêmes caractéristiques que les deux précédents. Ces derniers ont d’abord été simulés, puis construits et analysés post-construction. « On a des capteurs partout dans les murs et la toiture et on regarde ce qui se passe. On fait aussi une analyse comparative de la performance de l’enveloppe pour chacun des bâtiments », ajoute l’architecte.

Le premier des « triplets » est isolé complètement du côté extérieur avec des mousses plastiques, selon le principe que l’on surnomme « le mur parfait », car il est très résistant aux transferts de chaleur. Le deuxième bâtiment, quant à lui, commençait déjà à intégrer certains principes de l’inertie thermique. « J’avais alors intégré du chanvre, qui présente un déphasage thermique intéressant, mais sans résultat », précise Richard Trempe, en raison du positionnement de l’isolant dans l’assemblage. Cette expérience lui a ainsi fait réaliser que les matériaux à forte inertie thermique devaient être placés le plus possible du côté intérieur afin d’éviter que la chaleur accumulée dans les murs ne soit redistribuée vers l’extérieur en hiver.

Le but de la phase trois consiste donc à tester la performance en service d’une enveloppe à forte inertie thermique dans des conditions québécoises et à comparer les résultats avec les deux autres bâtiments à l’apparence identique. La volonté de l’architecte est également de privilégier le plus possible les matériaux biosourcés tout en limitant les surcoûts de sa solution à 4 %. « Parce que si on construit des enveloppes qui sont super intéressantes, mais qui coûtent 25 % plus cher, ça reste théorique », soutient Richard Trempe, qui souhaite créer un concept à la fois simple, efficace et réplicable. C’est également pour cette raison qu’il a fait le choix de ne pas recourir aux services d’un entrepreneur spécialisé en construction durable et de plutôt se tourner vers le marché de la construction standard.

Formule gagnante

La conception d’une enveloppe à forte inertie thermique aura nécessité plusieurs étapes de réflexion, de simulations et de tests avant la construction. Pour l’aider dans sa démarche, l’architecte a approché la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB) de l’Université Laval, où plusieurs projets de recherche s’intéressent au développement de différents types d’isolants biosourcés. Là-bas, Leonardo Delgadillo Buenrostro, étudiant au doctorat en génie mécanique à l’Université Laval, a réalisé la simulation de cinq scénarios de composition d’enveloppes développées par Richard Trempe afin de comparer leur performance avec celle du mur Novoclimat. Deux éléments ont été comparés et mesurés : l’inertie thermique et l’humidité relative. Une autre étudiante, Zahra Hosseini, a évalué l’empreinte environnementale. « J’ai simulé une panne d’électricité du côté intérieur, avec une température d’environ 20 degrés Celsius, alors qu’à l’extérieur, on avait recréé les conditions hivernales du 17 au 23 décembre 2022 afin de voir lequel des scénarios se refroidissait le plus lentement », précise Léonardo Delgadillo Buenrostro.

Fait intéressant : l’épaisseur de l’isolant ainsi que son emplacement dans le mur sont les éléments qui ont eu le plus grand impact sur la performance de l’enveloppe. « Le mur Novoclimat, qui est plus mince, est celui qui s’est refroidi le plus rapidement », confirme Leonardo Delgadillo Buenrostro. Les résultats ont montré une variation de sept degrés dans les dix premières heures entre ce mur et les autres compositions plus performantes.

« Les résultats des simulations numériques ont démontré que l’on est capable de déplacer le temps de déphasage de deux jours et demi à presque cinq jours », s’enthousiasme Richard Trempe. En d’autres mots, les murs à plus forte inertie thermique ont permis de maintenir des conditions ambiantes très intéressantes sur trois ou quatre jours en cas de panne de courant pendant la saison hivernale. Et ça, c’est sans compter l’influence de la présence humaine. « Évidemment, on dégage beaucoup de chaleur, donc on va avoir un gain thermique encore plus intéressant », croit-il.

Tests menés en chambre climatique. Photo : Luigi Darret. Université Laval

Le concept retenu comprend un isolant hydrophobe en laine de roche placé du côté extérieur, puis de la laine de chanvre entre les montants à ossature légère en bois, avec de part et d’autre des panneaux épais structuraux en fibre de bois dense. Une finition deux rangs de gypse du côté intérieur et un revêtement en bois du côté extérieur viennent compléter l’ensemble. « J’aurais aimé utiliser un béton de chanvre comme finition intérieure dans ce cas-ci, mais malheureusement, la technologie n’était pas encore assez avancée », ajoute l’architecte.

Les murs qui ont le mieux performé lors de la simulation numérique faite par Partie 5 sont également perspirants, c’està- dire qu’ils respirent. Ils utilisent du côté intérieur une membrane hygrovariable, ou « membrane intelligente », un produit encore récent au Québec. « Au lieu de mettre un pare-vapeur qui va couper l’humidité en tout temps, on va mettre un matériau qui va couper l’humidité l’hiver lorsque l’humidité relative dans les matériaux est basse, mais qui va la laisser passer à d’autres périodes de l’année, ce qui permet aux murs de s’assécher », explique Richard Trempe, qui ajoute avoir également utilisé cette technologie pour ces deux bâtiments expérimentaux précédents. Ce transfert d’humidité permet d’optimiser la résistance thermique des matériaux et d’en assurer leur durabilité. De plus, les matériaux biosourcés ont l’avantage d’absorber l’humidité, à la manière d’une grosse éponge, et de la redistribuer de façon plus homogène. « Encore une fois, il s’agit de systèmes qui existaient auparavant, mais qu’on a délaissés », déplore-t-il.

Bancs d’essais

Parmi les meilleures compositions de murs identifiées à l’aide de la simulation numérique, une des propositions a été sélectionnée et modifiée en fonction des matériaux disponibles sur le marché afin d’être testée dans une chambre bioclimatique. L’entrepreneur en construction a même été consulté afin de connaître son avis. « Une fois modifié, on a refait la simulation pour le nouveau mur, et il est maintenant dans notre unité climatique pour valider les observations numériques. C’est Luigiano Duarte, étudiant à la maîtrise, qui se charge de mesurer les variations de températures », précise Pierre Blanchet, titulaire de la chaire industrielle de recherche du CRSNG sur la construction écoresponsable en bois à l’Université Laval. Cette étape permettra de valider la performance de l’enveloppe avant la construction du bâtiment, qui devrait débuter en avril.

« À terme, on va être capable de comparer les résultats obtenus lors des simulations numériques, en chambre climatique et dans la construction réelle », conclut Richard Trempe.

 

Inertie thermique

L’inertie thermique est la capacité d’un système constructif à emmagasiner la chaleur et à la restituer. Ce phénomène appliqué à l’enveloppe du bâtiment peut permettre de :

  • réguler la température intérieure;
  • diminuer les surchauffes;
  • accumuler de la chaleur dans les murs;
  • améliorer le confort en augmentant la température de surface;
  • réduire la consommatique d’énergie;
  • conserver la chaleur plus longtemps en cas de panne prolongée en saison hivernale;
  • réduire la demande en électricité pour le chauffage en période de pointe hivernale.
De la recherche à la réalisation

Le développement d’une enveloppe à forte inertie thermique a nécessité plusieurs étapes :

  • élaboration de différentes compositions d’enveloppe et choix des matériaux;
  • simulation numérique et sélection des meilleures compositions;
  • modifications selon les matériaux disponibles sur le marché;
  • tests en chambre climatique;
  • évaluation des coûts;
  • construction et mise en service;
  • monitoring et comparaison.