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Une vitrine sur le réemploi et les matériaux biosourcés

4 septembre 2024
Par Cynthia Bolduc-Guay

Une réalisation mettant en vitrine l’intégration de matériaux réemployés, recyclés et biosourcés.

Acteur de la gestion des matières résiduelles, Stratzer a prêché d’exemple en choisissant d’aménager son nouveau siège social de Montréal en cohérence avec ses valeurs et sa mission. Résultat : des bureaux au design moderne, intégrant intelligemment de nombreux matériaux récupérés et biosourcés.

Quand on entre dans les bureaux de Stratzer au design de style industriel mariant le béton et le bois, difficile de penser que plusieurs des matériaux et du mobilier utilisés sont le résultat d’un réemploi ou constituent la démonstration de nouveaux produits biosourcés. Car au-delà des certifications et des normes, Stratzer souhaitait mettre en valeur un domaine qu’elle connaît bien : l’économie circulaire. L’entreprise caressait déjà ce rêve en acquérant le bâtiment qui allait accueillir ses nouveaux locaux, en 2021. « Un des enjeux avec le recyclage, c’est le manque de débouchés locaux pour les matières recyclées, affirme Francis Fortin, copropriétaire et président-directeur général de Stratzer. Il y a peu de matériaux faits de matières recyclées et commercialisés localement. »

Peu à peu, le rêve a pris forme de non seulement revaloriser des matériaux, mais aussi d’aider à la commercialisation de produits innovants provenant de start up dans le domaine de l’économie circulaire.

Deux phases, deux approches

L’aménagement des nouveaux bureaux s’est fait en deux phases : une première en 2022, qui s’attardait davantage au rez-de-chaussée, et une deuxième couvrant l’étage. « Pendant les travaux de la phase 1, on se demandait ‘‘Est-ce qu’on doit garder ou pas ?’’ », explique Francis Fortin. C’est ainsi que beaucoup de matériaux ont été récupérés de la démolition, tellement qu’ils ont pu être réutilisés également dans la phase 2. Dans cette deuxième phase, l’approche préconisée était un peu différente, l’équipe de projet ayant appris des erreurs commises durant la phase 1. « À l’étage, on a défait les murs sans nécessairement tout garder. On a même ajouté plusieurs nouveaux matériaux, mais en s’assurant que ceux-ci étaient locaux ou biosourcés le plus possible », ajoute Francis Fortin.

Exemples de réemploi

On le dit souvent : le matériau le plus écologique est celui que l’on a déjà sous la main. Pour les nouveaux bureaux de Stratzer, Francis Fortin et le designer Daniel Finkelstein, fondateur de Finkel’, ont tous deux mis la main à la pâte afin de trouver des articles et matériaux de seconde main. « On a passé plusieurs heures sur différentes plateformes de type Kijiji », confirme Daniel Finkelstein. Ils ont aussi couru les encans et les déménagements d’entreprises, où plusieurs pièces de mobilier étaient mises en vente.

Francis Fortin et Daniel Finkelstein

Des organismes comme RÉCO, Synergie Montréal et Écoscéno, qui recycle des restes de théâtres dans le secteur Hochelaga-Maisonneuve, ont aussi permis de faire de belles trouvailles. « On a trouvé de vieux rideaux de scène qu’on a utilisés pour recouvrir des banquettes dans la salle à manger », donne comme exemple Daniel Finkelstein. D’ailleurs, cette même banquette récupère des montants en acier déconstruits dans la seconde phase.

Un autre avantage de la récupération : pouvoir profiter de matériaux ou d’articles haut de gamme à prix réduit. C’est le cas notamment des portes de bois massif qui ont été récupérées de la phase initiale. Dans le neuf, Stratzer aurait probablement opté pour un produit plus standard.

Malgré les économies réalisées, le temps investi, lui, ne se compte plus. « Récupérer des matériaux requiert plus d’énergie que d’acheter du neuf », observe Francis Fortin. Pour récupérer des blocs de béton de la phase 1, il a dû passer plusieurs heures à les nettoyer par lui-même. Francis et Daniel ont également passé quatre mois à chercher une porte-patio de seconde main, pour finalement devoir se résigner à se tourner vers le neuf. « La difficulté était de trouver une porte aux bonnes dimensions, mais aussi, elles étaient souvent trop usées pour être réutilisées », explique le pdg de Stratzer.

Photo : Stratzer

« Dans certains cas, on n’a pas le choix d’utiliser du neuf », renchérit Daniel Finkelstein. Il donne comme exemple les matériaux composant le circuit électrique, qui était à refaire en neuf afin d’être conforme au Code du bâtiment

Faire pousser ses matériaux

« Dans le cas où on ne pouvait pas utiliser de matériaux récupérés, on privilégiait alors les matériaux locaux ou biosourcés », précise le designer. Ils ont, par exemple, utilisé du bois de pruche d’une scierie locale pour concevoir des parois de mur, ou encore du bois canadien Purebond pour recréer un fini de merisier russe. Du bois de frêne – qui a dû être coupé par la Ville en raison de l’agrile du frêne – a également servi à créer des bureaux et des comptoirs. L’insonorisation d’un des bureaux a également été réalisée à partir de panneaux de chanvre local provenant de Val-des-Sources, offrant ainsi une belle vitrine au vendeur qui souhaitait commercialiser ce nouveau produit.

Mais le produit le plus surprenant est sans doute celui utilisé en guise de séparateur de bureaux dans les aires ouvertes. Derrière son apparence similaire à l’ardoise se cache un matériau inusité composé de champignons. « Ce sont des panneaux de champignons de l’entreprise Mycélium Remédium Mycotechnologies. Ils sont créés à partir de sciure de bois et de marc de café, dont les champignons se nourrissent pour pousser et former des panneaux », explique Francis Fortin, précisant que ce produit n’est pas encore commercialisé.

Photo : Stratzer

Pas pour tout le monde

Même si les bureaux de Stratzer sont la preuve qu’il est possible de maximiser l’utilisation de matériaux récupérés et biosourcés, force est malheureusement de constater que cette approche ne peut pas s’appliquer facilement à tout le monde. « Ce ne sont pas tous les entrepreneurs qui veulent se lancer dans un projet qui implique beaucoup de récupération », explique Francis Fortin, qui a lui-même été très impliqué. Il a notamment enlevé lui-même le mortier de blocs de béton de la phase 1, lesquels il souhaitait récupérer dans des applications non structurales. « Un avantage que Finkel’ avait dans ce genre de projet, c’est qu’en plus de faire du design, on fait aussi beaucoup de fabrication », renchérit Daniel Finkelstein.

Avoir un espace pour entreposer les matériaux récupérés est également essentiel dans un tel projet. « On a parfois acheté quelque chose, puis réalisé qu’on ne l’avait finalement pas utilisé », explique Francis Fortin, qui précise que Stratzer avait un entrepôt où les matériaux ont pu être entreposés durant toute la durée des travaux. Ce surplus sera bien évidemment remis à des organismes de réemploi, recyclés ou encore mis en vente sur des plateformes de vente en ligne.

Francis Fortin ajoute également que ce ne sont pas tous les organismes de récupération qui disposent de camions pour transporter les matériaux, ce qui ajoute parfois à la complexité de la tâche. « Heureusement, nous avions déjà des camions, donc ce n’était pas un problème pour nous », nuance-t-il.

Tout est aussi une question de disponibilité et de timing. « Par exemple, si Desjardins quitte ses bureaux tel jour, il faut que tu sois là à ce moment-là si tu veux récupérer des choses », explique Francis Fortin. Idem pour les encans. « Parfois, Francis m’appelait et me disait avoir trouvé telle ou telle chose, et on devait valider rapidement si ça pouvait s’intégrer au design », ajoute Daniel Finkelstein. Beaucoup de décisions devaient donc être prises sur le vif, d’où l’importance dans un tel projet d’avoir une personne-ressource qui comprend bien la vision et agit comme pivot entre les différents professionnels impliqués.

Parce que le nerf de la guerre, c’est aussi de faire en sorte que tous les matériaux mis ensemble répondent à la vision globale du projet. « On voulait que les bureaux aient l’air moderne, et non pas donner l’impression d’entrer chez un antiquaire », précise le designer. D’où l’importance d’avoir un fil conducteur, ici dicté par les matériaux comme le bois et le béton apparent, mais aussi la couleur verte. Il avoue toutefois que certains compromis ont dû être faits en matière d’agencement des couleurs. «  Ce n’est pas toujours parfait, mais c’est subtil. »

Photo : Stratzer

La récupération de matériaux a également été facilitée par les autres chantiers de Finkel’, le designer pouvant faire des liens entre les besoins du projet de Stratzer et ce dont certains de ses autres clients se départissaient.

Une question de fierté

Malgré les difficultés rencontrées, Francis Fortin et Daniel Finkelstein sont très fiers des efforts déployés dans ce projet et des résultats. « On a testé jusqu’où pouvait aller le réemploi dans la rénovation d’espaces de bureaux, si bien qu’on peut partager notre expérience dans nos autres projets. On a la preuve, on l’a fait », s’enthousiasme Francis Fortin. Il ajoute même avoir calculé que le nettoyage des blocs de béton récupérés de la phase 1 a permis de réaliser des économies non négligeables, et ce, même s’il y a consacré plusieurs heures. « Même à 100 dollars de l’heure, ça revenait à moitié prix, et on a sauvé 400 blocs », précise-t-il.


Principales initiatives
  • Récupération des luminaires de plafonds suspendus (en enlevant les ballasts et en changeant les ampoules de néon pour des ampoules DEL)
  • Panneaux d’isolants en chanvre de HECO Innovation Chanvre
  • Panneaux de champignons de Mycélium Remédium Mycotechnologies
  • Bureaux de béton de Simax faits à partir de polystyrène issu de la collecte collective
  • Récupération de bois de frêne en collaboration avec Bois Public
  • Lambris en pruche d’une scierie locale
  • Caissons de cuisine Purebond sans formaldéhyde en remplacement du merisier russe
  • Récupération de rideaux de scène en fin de vie pour recouvrir une banquette et en tant qu’absorbant sonore
  • Récupération de portes en bois et en acier
Marche à suivre
  1. Bien établir les objectifs de départ et les présenter à toutes les parties impliquées dans le projet (ne négliger aucun sous-traitant)
  2. Nommer une personne-ressource qui comprend bien la vision et qui agit comme pivot entre les différents professionnels impliqués
  3. Rédiger un plan de gestion des résidus de construction avec l’aide d’experts dont :
    1. Analyser les besoins et valider la disponibilité des différents matériaux
    2. Déterminer ce qui peut être récupéré (où, quand, comment) et ce qui ne peut l’être
  4. Faire preuve de flexibilité dans la prise de décisions pour que le chantier suive son cours.