Zoom sur un projet pilote de tri à la source de résidus de construction, rénovation et démolition (CRD). À la recherche d’une solution gagnante.
À Bromont, un projet pilote de tri à la source de matériaux CRD est appelé à faire école en permettant de détourner une portion importante de ces résidus de l’enfouissement, favorisant ainsi leur réemploi, leur recyclage et leur valorisation. Il faut savoir que chaque année, environ 3,5 millions de tonnes de résidus de CRD sont générées sur les chantiers du Québec. De ce nombre, près de la moitié, soit 1,7 million de tonnes, sont directement éliminées. C’est dire.
C’est cet impact énorme de l’enfouissement qu’a rapidement réalisé Louis Désourdy, propriétaire de Transport Désourdy, lorsqu’il a commencé à offrir la location de conteneurs à ses clients il y a de cela trois ans. « Ça n’avait pas de bon sens. J’ouvrais la porte du conteneur et je voyais tous ces résidus… Il y en avait tellement ! », s’étonnait l’entrepreneur qui avait de la difficulté à croire qu’aucun débouché n’existait pour revaloriser ces produits.
Lui-même père de cinq enfants, il avait toujours eu le souci de trouver des solutions afin de récupérer le plus possible les résidus de CRD dans le cadre de ses autres entreprises, dont une d’excavation. Pas tant en raison de l’environnement, mais surtout, parce que c’était selon lui une question de gros bon sens. Ainsi, au lieu de brûler ou de jeter une souche, il cherchait des moyens de la revaloriser.
« Avant, je ne générais presque pas de CRD. Mais là, d’en voir autant, j’ai eu une énorme prise de conscience », se souvient-il. Il était pour lui évident que quelque chose devait être fait en amont afin d’éviter l’enfouissement d’autant de matériaux et favoriser leur récupération.
Trier à la source
Quelques semaines après avoir acheminé son premier conteneur au site d’enfouissement, il a contacté Anne Joncas, une consultante en gestion de projet, afin de l’aider à implanter son idée. « Il voulait au départ mettre sur pied un petit centre de tri pour ses résidus de construction », explique-t-elle. L’idée l’a tellement emballée qu’elle a aussitôt entamé des recherches pour voir ce qui se faisait ailleurs dans le monde.
« À la suite de ça, je lui ai dit que si on construisait seulement un centre de tri, on serait 15 ans en arrière. En ce moment, on a beau avoir de beaux centres de tri hautement mécanisés, ils n’arrivent pas à atteindre les cibles de valorisation en raison du haut taux de contamination des matières », précise-t-elle.
De fil en aiguille, le projet s’est peaufiné. Louis Désourdy voyait plus loin : il souhaitait créer une véritable économie circulaire en ouvrant également un magasin de matériaux usagés afin d’écouler les résidus de CRD. Une idée qu’il n’a pas attendu longtemps avant de mettre en place. « On a profité des nombreux projets de rénovation que nécessite la station de ski Bromont chaque année pour commencer à alimenter un magasin en collaboration avec Pleins Rayons, un organisme d’intégration de jeunes adultes avec des limitations fonctionnelles », souligne Anne Joncas.
Si trier les matériaux directement sur le chantier s’est avéré simple et rapide dans le cas de la station de ski de Bromont, créer un véritable centre de tri était d’une tout autre envergure, demandant davantage de temps et d’investissements. C’est ainsi qu’en cherchant des aides financières, Anne Joncas a identifié une subvention offerte par RECYC-QUÉBEC. « Le problème, c’est qu’elle s’adressait à des centres de tri hautement mécanisés, ce qui n’était pas notre cas. On a donc proposé de démontrer qu’on était capables de détourner 70 % des CRD de l’enfouissement sans mécanisation importante en triant directement les matériaux à la source », relate-t-elle.
C’est ainsi qu’est née l’idée du projet pilote Écotri sur chantier, qui visait à trier les matériaux directement sur le chantier et à effectuer un tri secondaire dans un centre de tri temporaire mis sur pied par Transport Désourdy. En tout, 14 entreprises de Bromont y ont participé, récupérant les résidus de CRD de 29 chantiers. La majorité des chantiers consistaient en des projets de construction résidentielle, mais on comptait également deux projets commerciaux ainsi que trois projets industriels. Comme le centre de tri n’était pas encore construit, un dôme gonflable temporaire a été aménagé pour accueillir les conteneurs de résidus de CRD du projet pilote, qui s’est échelonné de juin 2022 à janvier 2023.
Le nerf de la guerre
L’intérêt du tri sur chantier est qu’il permet d’éviter le mélange des matériaux, bref la contamination. « Sur un chantier, les conteneurs sont souvent vus et utilisés comme des poubelles, observe Anne Joncas. On y jette tout et n’importe quoi : les matériaux de construction, les lunchs… On a donc eu l’idée de demander à la Ville de fournir des bacs bleus, bruns et noirs pour les différents déchets afin d’éviter que ceux-ci ne se retrouvent dans les conteneurs de matériaux de CRD. » Une approche qui a eu un réel impact, selon elle.
Chaque chantier a également demandé un travail de réflexion et de planification en amont afin d’optimiser le tri des matériaux pour chacun d’eux. « On a rempli des fiches avec les différents entrepreneurs afin de décrire leur projet et les matériaux qui pouvaient être récupérés », explique Anne Joncas. Ensuite, les conteneurs étaient divisés en trois compartiments dont le contenu était déterminé en fonction de chaque chantier, avec un compartiment de matériaux mixtes qui allait demander un tri additionnel au centre de tri temporaire. Tout était clairement identifié afin de faciliter la tâche des travailleurs sur le chantier. « C’était un véritable service clés en main pour les entrepreneurs. On a fait produire des affiches aimantées sur lesquelles on indiquait les matériaux acceptés et les matériaux refusés pour chaque compartiment. On a même offert une formation avant et à la livraison des équipements, mis en place une ligne SOS tri pour répondre aux questions en plus de fournir des affiches informatives sur le projet et la procédure de tri », énumère Anne Joncas.
Tout a été documenté, pesé et analysé tout au long du processus. Cette rigueur a permis de récolter énormément de données. Une étudiante à la maîtrise du Centre d'études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC) s’est également intéressée aux différents outils utilisés tout au long de ce projet et à leur efficacité.
Défis et solutions
Même s’ils se sont inspirés de projets similaires réalisés en Europe et en Colombie-Britannique, Louis Désourdy et Anne Joncas ont eu leur lot d’embûches dans l’implantation de leur projet. La lourdeur administrative leur a plus d’une fois donné envie d’abandonner. « Mais on était convaincus du bien-fondé de notre démarche. Et de voir les partenaires sur le terrain embarquer avec nous, c’était très encourageant », se remémore Louis Désourdy.
« Par exemple, juste au plan de la terminologie, RECYC-QUÉBEC parle des CRD comme d’une ressource, alors qu’au ministère de l’Environnement, ce sont des matières résiduelles, même s’ils sont recyclés. Ils ne sont donc pas traités ni vus de la même façon, ce qui complique nos demandes d’autorisation », déplore Anne Joncas. Elle croit que les différents paliers de gouvernement gagneraient également à revoir leur réglementation afin de simplifier le déploiement d’initiatives similaires. « Les municipalités pourraient, par exemple, obliger la déconstruction, le passage obligatoire des résidus de CRD par un centre de tri, ou même instaurer une pénalité financière à l’enfouissement », suggère-t-elle.
Un succès réplicable
En tout, 75 % des résidus de CRD ont été détournés de l’enfouissement dans le cadre du projet pilote. En favorisant la récupération des matériaux, c’est l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 17 voitures qui ont ainsi été évitées. Des résultats encourageants pour RECYC-QUÉBEC, partenaire financier du projet, qui espère que d’autres initiatives similaires verront le jour ailleurs au Québec.
« Le tri sur chantier fait partie d’un ensemble de mesures envisagées par les membres du comité d’experts sur la gestion des résidus de CRD, qui cherche à déterminer des moyens concrets et à brève échéance pour détourner de l’enfouissement une plus grande proportion des débris de CRD », explique Luc Morneau, conseiller en environnement chez RECYC-QUÉBEC.
Ce projet pilote est d’autant plus intéressant qu’il répond à la préoccupation grandissante du ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) envers l’enfouissement des résidus de CRD, qui génèrent d’importantes quantités de GES. Le comité d’experts piloté par RECYC-QUÉBEC joue d’ailleurs un rôle de premier plan dans ce dossier.
« Il est chargé de recueillir l’information sur le terrain afin de faire des recommandations au ministre de ce qui peut être implanté ou non », précise Luc Morneau. Par ailleurs, RECYC-QUÉBEC travaille actuellement à développer différents outils pour aider les acteurs de l’industrie de la construction qui souhaiteraient trier les résidus de CRD à la source, comme des capsules de formation, de la signalisation ou des registres de suivi.
Louis Désourdy est convaincu que le succès du projet de tri sur chantier est dû à la volonté de tous les acteurs impliqués. « Les gens sont sensibles à ça et veulent faire leur part. Tout le monde veut trouver des solutions. Quand j’ai demandé à mes clients s’ils voulaient contribuer, ils ont tout de suite accepté. C’est valorisant », estime l’entrepreneur. Chaque entreprise participante s’est d’ailleurs fait remettre un certificat de performance à la fin du projet pilote, renforçant leur sentiment d’appartenance à cette initiative.
« Elles ont même demandé la prolongation du service de tri après la fin du projet pilote d’ici à l’ouverture du véritable centre de tri », s’enthousiasme Anne Joncas, tout en soulignant que les entrepreneurs qui ont goûté au tri sur chantier ne veulent plus revenir en arrière. « C’est même devenu un argument de vente pour certains », ajoute-t-elle.
Déjà, le projet pilote a piqué la curiosité de nombreux acteurs du milieu municipal et de la construction, incitant les instigateurs à organiser des visites de chantier afin de présenter la démarche et montrer comment tout était orchestré sur le terrain. Cet engouement démontre la pertinence de déployer des initiatives similaires ailleurs au Québec. « Pour ce faire, l’implication de tous les acteurs, à tous les niveaux, sera cependant nécessaire. Travailler tous ensemble, c’est ça la solution », conclut Louis Désourdy.
- Évite la contamination et le mélange des matériaux
- Favorise le réemploi et la récupération des ressources
- Amène une valeur ajoutée pour les entrepreneurs DES
- Croire au projet
- Bien informer les participants de la démarche
- Offrir aux entrepreneurs une solution clés en main qui inclut les équipements, la formation, et l’accompagnement
- Fournir une signalisation claire
- Générer un sentiment de fierté chez les participants
- Suivre et documenter les matières récupérées
- Effectuer une rétroaction