Place aux sources d’énergie renouvelables, et au premier chef l’électricité, pour chauffer les bâtiments au Québec. Chronique d’une décarbonation annoncée.
Décarbonation. Voilà un mot que les propriétaires et gestionnaires d’immeubles, tout comme les professionnels du bâtiment, ont tout intérêt à intégrer à leur vocabulaire courant. Parce que bien qu’il mette principalement l’accent sur l’électrification des transports, le Plan pour une économie verte 2030 (PEV 2030) du Québec n’en fixe pas moins à 50 % l’objectif de réduction des émissions de réduction des gaz à effet de serre (GES) liées au chauffage des bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels d’ici la prochaine décennie.
Le déploiement du PEV dans le milieu du bâtiment se dessinera autour de différents axes, soit : la conversion des systèmes de chauffage au mazout vers l’électricité; l’utilisation du gaz naturel renouvelable et d’autres sources d’énergie verte; l’efficacité énergétique; l’établissement d’une complémentarité des réseaux électrique et gazier ainsi que le recours à la biénergie.
La décarbonation du chauffage des immeubles sera soutenue par des investissements gouvernementaux totalisant quelque 500 millions de dollars. Dans la foulée de la prolongation jusqu’en 2026 du Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques 2018-2023, ce sont plus de 307 millions qui seront consacrés à l’efficacité énergétique et à la consommation responsable des bâtiments au cours des cinq prochaines années.
Une enveloppe de 75 millions, soulignons-le, servira à soutenir la réalisation de projets mettant à profit la récupération et la valorisation des rejets thermiques, qui seraient autrement perdus, pour répondre aux besoins en chauffage de bâtiments. Comme dans le cas du projet qui permettra au nouveau complexe hospitalier du CHU de Québec-Université Laval de valoriser la vapeur excédentaire actuellement rejetée par l’incinérateur de la Vieille Capitale.
« Il s’agit de l’une des mesures phares du PEV 2030 en faveur de la décarbonation des bâtiments commerciaux et institutionnels, et je crois que c’est actuellement la solution offrant le plus grand potentiel pour réduire à la fois les coûts énergétiques et les émissions de GES des immeubles », indique Stéphan Gagnon, spécialiste en grands bâtiments et valorisation de rejets thermiques au Secteur de la transition énergétique du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.
« En ajoutant la somme allouée par le gouvernement du Québec aux 200 millions de dollars qui avaient déjà été consentis par le fédéral, précise-t-il, nous disposons maintenant d’une enveloppe de 275 millions pour favoriser l’émergence de projets permettant de valoriser des rejets de chaleur provenant d’industries, d’incinérateurs, de centres de données ou d’eaux usées, par exemple. C’est vraiment prometteur. »
Enjeu de pointe
Si le PEV 2030 ouvre plus grande la porte à de tels projets innovants, il en est de même pour l’électrification des bâtiments des secteurs commercial et institutionnel, soit en recourant à des chaudières électriques ou encore à des solutions comme la géothermie ou l’aérothermie. Une telle démarche n’est toutefois pas sans s’accompagner d’un enjeu sur le plan de l’appel de puissance durant les pointes hivernales d’Hydro-Québec, particulièrement au sein du parc immobilier existant.
« L’appel de puissance demeure notre principal enjeu, convient Etienne St-Cyr, chef – Expertise énergétique chez Hydro-Québec. C’est pourquoi nous sommes à établir avec Énergir une complémentarité pour offrir une solution biénergie permettant aux bâtiments chauffés à l’électricité d’utiliser jusqu’à 30 % de gaz naturel pour répondre aux besoins requis lors de nos pointes. »
Comme ce l’est pour un bâtiment tout électrique, fait-il remarquer, il existe diverses autres avenues vers lesquelles il est possible de se tourner pour réduire l’appel de puissance électrique d’un bâtiment, par exemple des technologies d’accumulation thermique. Ou encore le stockage d’énergie dans des planchers radiants durant la nuit.
L’ingénieur en mécanique Maxime Boisclair, directeur, Développement durable chez GBi, est bien placé pour en témoigner : il était de l’équipe qui a laissé son empreinte sur l’école Curé-Paquin, à Saint-Eustache, un bâtiment conçu pour fonctionner à 100 % à l’électricité dont le chauffage des espaces est généré, pour 97 % des besoins annuels, par un système géothermique. « Plutôt que j’ajouter des puits qui auraient seulement été utilisés épisodiquement lors des pointes et qui auraient coûté très cher, précise-t-il, nous avons plutôt décidé de gérer l’appel de puissance au moyen d’un réservoir d’énergie et d’un accumulateur thermique électrique. »
Accumulation thermique
Aux yeux de Stéphan Gagnon, il est clair que l’accumulation thermique demeure une solution toute désignée, notamment parce qu’elle est éprouvée, pour écrêter les pointes en chauffage de bâtiments entièrement électriques. Et il souligne au passage que la réussite d’un projet d’électrification sous-tend de s’engager préalablement dans une démarche d’efficacité visant à réduire le plus possible les besoins énergétiques d’un bâtiment, à commencer par son recommissioning.
Il indique qu’il faut aussi voir à récupérer toute l’énergie des zones internes et sur les équipements, pour ensuite la transférer vers les zones périphériques ayant des besoins en chauffage. Et dans la mesure du possible, améliorer l’enveloppe thermique des bâtiments, de façon à réduire la pointe de puissance et à faciliter l’intégration de mesures pour l’aplanir.
La résistance thermique de l’enveloppe se pose évidemment comme un enjeu de moindre échelle dans les nouveaux bâtiments, du moins ceux dont le design est optimisé dans une perspective éconergétique. Cela est d’autant plus vrai en raison des exigences relevées à cet égard de la nouvelle réglementation sur l’efficacité énergétique des bâtiments.
« Il est certain que plus on a une bonne enveloppe, notamment avec l’utilisation de verre triple, plus on coupe dans les besoins en chauffage d’un bâtiment et plus il devient facile de recourir à l’électricité ou une autre source d’énergie renouvelable pour y répondre en tout ou en grande partie, indique Guillaume Martel, architecte chez Provencher_Roy. En plus, dans un bâtiment neuf, on peut aussi intégrer des stratégies passives concourant en équilibre avec les systèmes électromécaniques pour en optimiser la performance. »
- Le programme ÉcoPerformance, administré par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN), disposera de 113 millions pour appuyer notamment des projets de conversion et d’efficacité énergétiques dans les bâtiments commerciaux et institutionnels.
- Une somme additionnelle de 75 millions de dollars sera disponible pour soutenir la mise en œuvre de projets de récupération et de valorisation de rejets thermiques.
- Hydro-Québec, qui a bonifié son programme Solutions efficaces l’an dernier, doublera pour sa part son objectif en matière d’efficacité énergétique en le portant à 800 gigawattheures par an dès 2021.
Si la décarbonation des bâtiments commerciaux et institutionnels au Québec s’accompagnera invariablement d’une réduction de la consommation de gaz naturel, Énergir ne regardera pas tout simplement passer la parade. Loin de là même.
Animé par la volonté de faire partie de la solution, non pas du problème, le distributeur gazier vise notamment à faire du gaz naturel renouvelable (GNR) un important levier de développement en augmentant à 10 %, d’ici 2030, la proportion de GNR issu de la valorisation de déchets tels que des résidus domestiques ou agricoles qui, autrement, émettraient en outre du méthane dans l’atmosphère.
Énergir compte également accentuer ses efforts pour aider ses clients à réduire leur consommation d’énergie. Catherine Houde, conseillère principale aux communications et affaires publiques de l’entreprise, explique : « Depuis 2001, le déploiement de nos programmes d’efficacité énergétique s’est accompagné d’une réduction d’émissions de gaz à effet de serre de plus d’un million de tonnes équivalentes. Et on va bonifier nos programmes pour aller chercher un autre million de tonnes d’ici 2030. »
Sans compter qu’Énergir planche avec Hydro-Québec sur la complémentarité des réseaux gazier et électrique pour mettre de l’avant une offre biénergie . « La prémisse de base, précise Catherine Houde, c’est qu’on doit réduire la consommation de gaz naturel pour avoir un impact positif sur l’environnement.
« Mais si on convertit tout à l’électricité, ajoute-t-elle, le réseau d’Hydro-Québec ne pourra pas le prendre, particulièrement l’appel de puissance, ce qui fait que la biénergie est la solution à laquelle on est arrivé. »