La Ville de Québec, en collaboration avec le CHU de Québec-Université Laval, est en voie de réaliser une première au Canada : valoriser la vapeur de son incinérateur pour alimenter en énergie l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.
Il s'agit du premier projet de valorisation de rejets thermiques issu d’un appel de propositions du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN). Piloté par la Ville de Québec, il prévoit un investissement de 43,8 millions de dollars dans la construction d’une conduite en acier souterraine en boucle pour transporter de la vapeur et son condensat sur une distance de 2,2 kilomètres entre l’incinérateur de Québec et le site de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Cela comprend la construction d’une centrale trigénération pour transformer la vapeur en chauffage, en refroidissement et en électricité pour répondre aux besoins des bâtiments sur le site de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, incluant ceux du nouveau complexe hospitalier (NCH) du CHU.
Il est à noter que l’installation de ces deux nouveaux équipements (conduite et centrale trigénération) de la Ville de Québec sera réalisée séparément du projet de près de deux milliards de dollars du NCH présentement en construction.
Selon les deux représentants du CHU, Pierre-André Tremblay et Louis Dorval-Douville, la Ville agira à titre d’exploitant et de fournisseur de la vapeur que l’institution achètera et gèrera selon ses besoins. La centrale trigénération s’ajoutera ainsi à la nouvelle centrale énergétique à la fine pointe de la technologie alimentée au gaz naturel et à l’électricité déjà en opération sur le site de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Toutes deux seront totalement autonomes et redondantes.
Lors d’un récent webinaire de l’ASHRAE Québec, l’ingénieur Patrick Lavoie, qui est responsable de l’équipe de conception de la nouvelle centrale thermique du NCH pour la mécanique et l’électricité au sein du consortium formé de BPA, SNC-Lavalin et Tétra Tech, a démontré que tous les systèmes en place sont redondants. C’est le cas, entre autres, des génératrices à l’huile légère qui, en cas de panne ou de bris, assureront le maintien constant des activités de l’établissement en l’absence de la centrale trigénération.
La genèse du projet
C’est donc un projet fort attendu qui aura fait l’objet de nombreuses études depuis 2005. Selon Manuel Parent, ingénieur rattaché à la Division des projets industriels de la Ville de Québec, « ce n’est qu’à partir de 2015-2016 que la faisabilité théorique du projet est apparue réalisable. Plus précisément, après avoir identifié l’Hôpital de l’Enfant-Jésus comme étant le meilleur client potentiel pour la valorisation de la vapeur de l’incinérateur. »
Il faut dire que le contexte se prête bien dans le cadre du projet du nouveau complexe qui ajoute de nouvelles infrastructures modernes à l’installation hospitalière. D’autant plus qu’il s’inscrit dans les objectifs de lutte contre les changements climatiques et le développement d’une économie verte de la nouvelle politique québécoise du Plan pour une économie verte 2030. De surcroît, au dire de l’ingénieur Parent, « l’incinérateur de Québec ajoutera un troisième client, après les papetières Papiers White Birch et Glassine Canada, pour valoriser une grande partie de sa production de vapeur (40 %) actuellement rejetée en pure perte dans l’atmosphère ». Tout compte fait, ce projet en ferait le plus gros client de l’incinérateur à long terme.
« Les études complémentaires des dernières années ont confirmé la faisabilité, la viabilité du projet ainsi que son impact environnemental positif », soutient Louis Dorval-Douville, ingénieur et chef de service par intérim à la direction des services techniques du CHU. Il est vrai que plusieurs citoyens et groupes de la communauté avoisinante (Limoilou) remettaient en question la pérennité de l’incinérateur vieux de 40 ans et souhaitait son démantèlement d’ici 2024. Mais la Ville de Québec s’est engagée à suivre les recommandations de la Direction de la santé publique de la Capitale-Nationale, assure-t-il.
Pour le CHU, il était incontournable que les installations de l’incinérateur respectent les normes et que la Santé publique donne son aval au projet. La Ville a donc investi cinq millions de dollars par année dans l’incinérateur, notamment en ajoutant des brûleurs au gaz naturel et des filtres au charbon actif pour respecter les normes d’émission du ministère de l’Environnement. Elle assurera aussi le suivi de performance des procédés d’épuration des gaz et contribuera aux efforts de concertation avec son comité de vigilance déjà en place.
L’économie circulaire
Stéphan Gagnon, spécialiste en grands bâtiments et valorisation de rejets thermiques au MERN, confirme le bien-fondé du projet : « Il n’y a rien de paradoxal dans le fait qu’un incinérateur à déchets puisse fournir en énergie un hôpital. De tels projets prospèrent depuis plusieurs années en Europe. » Des réseaux de chaleur alimentés par les rejets thermiques de grandes industries servent en effet à chauffer et à climatiser quantité de logements, de bureaux, d’institutions et de commerces.
Le concept de ce projet de valorisation énergétique va même plus loin en promettant les retombées d’une économie circulaire. Il créera de la valeur à partir des matières résiduelles, en plus d’améliorer la qualité de l’environnement et de contribuer au développement durable.
La Ville de Québec tente non seulement de valoriser cette source d’énergie excédentaire, mais elle anticipe une amélioration de ses performances au plan environnemental. Comment? En ajoutant un projet de biométhanisation des déchets domestiques et en recyclant les boues au lieu de tout incinérer. Ce qui soustrairait environ 30 % des quantités de déchets brûlés, avec pour résultat autant d’émissions de gaz à effet de serre (GES) en moins dans l’atmosphère, en plus de les régénérer en une nouvelle source d’énergie (biogaz).
Du reste, comme l’a démontré une étude de la Chaire éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi, cette autre avenue résultant de la nouvelle stratégie de gestion des matières résiduelles de la Ville de Québec s’avèrerait nettement plus avantageuse que l’option de l’enfouissement des déchets. Elle aurait comme impact de consommer moins d’énergie en brûlant moins de déchets très humides (fruits, légumes, viandes, etc.) pour alimenter les quatre fourneaux de l’incinérateur. Et c’est sans compter l’économie d’eau potable grâce au condensat retourné à l’incinérateur sous forme d’eau déjà déminéralisée, pour être ensuite traitée légèrement et retransformée en vapeur. Et la boucle est bouclée!
Les solutions innovantes
Autre avantage qui résultera d’un tel projet, tient à rappeler Pierre-André Tremblay, directeur des services techniques au CHU, c’est l’économie globale de près de trois millions de dollars par année en électricité et gaz naturel issue des technologies de conversion de la vapeur. Selon les estimations préliminaires, la trigénération de la centrale comblerait les besoins énergétiques du complexe hospitalier à hauteur de 100 % en vapeur, 98 % en chauffage, 95 % en climatisation et 18 % en électricité.
Le concept de trigénération de cette centrale énergétique se distingue particulièrement en comparaison avec le concept de cogénération (bigénération), précise-t-il. Il innove en mettant à profit plusieurs technologies existantes, telles qu’une turbine à contre-pression, des systèmes de pompes, d’échangeurs de chaleur, de refroidisseurs à absorption et autres qui permettent de convertir la vapeur à haute pression et haute température pour alimenter le complexe. Même une partie de la vapeur sera utilisée à des fins de décontamination et de stérilisation des équipements médicaux.
L’effet de synergie
En réalité, la sécurité de l’approvisionnement énergétique du NCH justifierait à lui seul les investissements dans la construction des deux centrales énergétiques autonomes et doublement redondantes. Ses besoins énergétiques seront environ 150 % plus élevés que ceux de l’hôpital actuel en y rapatriant sur le même site tous les services de l’Hôtel-Dieu, tout en y ajoutant plusieurs développements liés aux besoins cliniques de la population de l’Est du Québec.
La nouvelle centrale d’énergie actuellement en opération sur le site de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, qui est alimentée au gaz naturel et à l’électricité et sécurisée par des génératrices, a tout ce qu’il faut pour fonctionner de façon sécuritaire et efficace avec des équipements performants, et ce, avec ou sans l’ajout de la future centrale trigénération. « Mais quand cette dernière prendra le relai, explique Pierre-André Tremblay, la centrale d’énergie de base demeurera sur le ‘’throttle’’. On va la maintenir chaude et prête à entrer en opération à tout moment, en cas d’interruption des activités de la centrale trigénération ou faute d’approvisionnement en vapeur de l’incinérateur. » Une solution qui, selon lui, aura aussi pour effet de prolonger significativement la durée de vie utile de ses équipements.
Tout ça fera en sorte que le nouvel hôpital sera considéré carboneutre, ou presque. Pour le site de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, le projet de valorisation de vapeur représente une diminution de 10 000 tonnes de CO2 et une réduction de sa consommation d’eau potable d’environ 60 millions de litres par année. Et ce sera le cas tant et aussi longtemps qu’il pourra compter sur la vapeur de l’incinérateur pour subvenir à ses trois besoins vitaux (quatre, si on ajoute la vapeur de stérilisation) sans recourir à des sources d’énergie fossile.
- La Ville de Québec, à titre de maître d’œuvre et propriétaire de l’incinérateur, des futures conduites de la boucle de vapeur et de la centrale trigénération.
- Le CHU de Québec-Université Laval, à titre de gestionnaire de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus et futur opérateur de la centrale trigénération.
- Les gouvernements du Canada (16,9 M$) et du Québec (14,1 M$), pour leur soutien financier dans le cadre de l’Entente bilatérale intégrée visant le financement d’infrastructures vertes.
Dans son plan d’affaires préliminaire, la Ville de Québec anticipe un retour sur son investissement sur une période de six ans. Celui-ci est basé sur les coûts évités d’environ trois millions de dollars par année répartis comme suit :
- plus de deux millions de dollars en coûts énergétiques épargnés sur le site de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus du CHU de Québec-Université Laval;
- environ un million de dollars en économie à la Ville pour le traitement de l’eau potable, les frais de pompage et les redevances.
- Économies sur les coûts d’énergie qui seront réinjectées dans les soins de santé et les projets de développement durable.
- Réduction de 95 % des émissions de GES ou 10 000 tonnes de CO2 par année, équivalant au retrait de 2 500 voitures.
- Réduction de la consommation d’eau potable de 60 millions de litres par année, équivalant à 2 000 piscines hors-terre de 18 pieds.
- Amélioration de la redondance et de la sécurité des installations d’alimentation énergétique de toutes les installations sur le site de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.
- Amélioration de la qualité de l’air dans les secteurs environnants du complexe hospitalier et de l’incinérateur.
- Développement de projets d’économie circulaire en créant de la valeur à partir de la combustion de déchets (récupération des boues et des matières organiques pour leur biométhanisation).
- Rendre socialement acceptable le projet de valorisation des rejets thermiques de l’incinérateur de Québec.
- Construire en milieu urbain deux conduites souterraines et une vingtaine de boucles de dilatation pour les protéger contre les variations thermiques, et ce, en évitant toutes les infrastructures et obstacles existants.
- Assurer la redondance de l’approvisionnement énergétique du complexe hospitalier par la construction de deux centrales d’énergie autonomes et d’un vaste réseau électromécanique interconnecté pour alimenter l’ensemble des installations du site de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.
Un fonds de 200 millions de dollars a été avancé par le gouvernement fédéral en 2019, dans le cadre de l’Entente bilatérale intégrée (EBI) avec le gouvernement du Québec. Le Plan pour une économie verte du Québec ajoute désormais 75 millions de dollars pour soutenir la réalisation de projets visant la récupération et la valorisation des rejets thermiques. Selon les paramètres de l’appel de propositions du MERN, l’aide financière qui serait fournie par les deux gouvernements couvrirait 73,33 % du coût de réalisation, soit 40 % par le fédéral et 33,33 % par le provincial.