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La récupération de briques, une révolution en maçonnerie

10 août 2022
Par Denise Proulx

Brique Recyc veut secouer le secteur de la construction en facilitant la réutilisation de briques autrement destinées à l’enfouissement.

Curieux, audacieux, à l’esprit inventif, l’entrepreneur Tommy Bouillon, président de Maçonnerie Gratton, rêve de révolutionner le secteur de la construction. Il est sur la bonne voie. Sa machine Brique Recyc, qui permet de restaurer les briques, est tellement en demande que même des entreprises étrangères lorgnent sa commercialisation.

Secouer le secteur

C’est un emploi d’été auprès d’un entrepreneur en maçonnerie qui a changé la vie de Tommy Bouillon. Il y découvre avec stupéfaction que son chantier de construction gaspille plein de briques qui pourraient encore servir.

Cette expérience a été l’élément déclencheur pour Tommy Bouillon. « J’ai osé changer les choses en voulant devenir un leader dans l’industrie de la maçonnerie. Je considère que modifier les pratiques est une de mes responsabilités au sujet de l’environnement. »

Du gaspillage à la tonne

Il est vrai que le domaine de la construction, de la rénovation et de la démolition (CRD) est encore lent à prendre pleinement en considération la réalité des changements climatiques et de la réutilisation.

Les CRD génèrent énormément de déchets. Selon des statistiques récentes du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC), ces résidus représentaient près de 28 % des matières envoyées à l’enfouissement en 2019.

Le seul secteur du bâtiment élimine deux millions de tonnes de matières résiduelles par année. Ce volume est dorénavant considéré comme un gaspillage de ressources et un désastre écologique qui pourrait être évité si les entreprises pratiquaient l’économie circulaire.

Une vraie catastrophe

Au fil des jours, des mois et des années, le jeune entrepreneur n’en pouvait plus de voir des briques en bon état se retrouver dans un conteneur. Le problème provient de l’ancrage qui tient la brique à la structure de la maison et qui se dégrade avec les années.

Les entrepreneurs évaluent souvent que cela leur coute moins cher en heures travaillées et en matériaux de jeter les briques plutôt que de les récupérer et de les nettoyer.

« C’est incroyable la quantité de conteneurs de briques qui sont jetées. C’est une vraie catastrophe. » Son malaise était d’autant plus grand que dans son entreprise, tous les efforts sont faits pour récupérer et réutiliser les briques.

Description et crédit

Cette volonté de se démarquer pour éviter ce gaspillage s’arrime bien avec deux réalités nouvelles : la décision de certaines villes de protéger leur patrimoine et la forte augmentation des prix des matériaux causée par la pandémie et la rupture des chaines d’approvisionnement.

Préservation du patrimoine

Dans certains arrondissements de Montréal et de Vancouver, par exemple, des réglementations exigent dorénavant de conserver la brique d’origine sur un bâtiment en rénovation. Et comme le Québec ne produit plus de briques, il doit tout importer. Souvent, la manutention est inadéquate et près de 50 % des matériaux arrivent sur les chantiers en mauvais état.

En 2022, estime l’entrepreneur, l’utilisation de sa technologie unique en Amérique du Nord est tout aussi rentable que de reconstruire un mur avec du neuf. Le cout des matériaux et de l’élimination des déchets en hausse de même que les retards de livraison changent la donne.

320 heures de travail en moins

Selon des données de PME MTL, à titre comparatif, un mur de 1000 pi2 (92 m2) nécessiterait 760 heures de travail pour en recycler les briques une à une à la main et 600 heures si on les jetait pour briqueler à neuf. Avec la méthode de Maçonnerie Gratton, cette durée chute à 440 heures. « On voyait la vague venir, notre innovation arrive juste à point pour résoudre des problèmes sur les chantiers », se réjouit Tommy Bouillon.

La maçonnerie est un métier qui se pratique en hauteur, dans des endroits difficiles d’accès. Tommy Bouillon a réfléchi à une solution pour récupérer les briques là où elles se trouvent, donc sans avoir à les descendre au sol. Il voulait une machine qui s’adapte aux mouvements des ouvriers sur une même plateforme et à la grosseur du chantier.

Une usine portative

Tommy Bouillon, président de Maçonnerie Gratton, avec son appareil permettant de recycler la brique. Crédit : Caroline Perron | Photographies

Il en a déduit qu’au lieu de gérer une méga-usine où les briques seraient transportées pour être nettoyées, il fallait équiper le chantier de la quantité d’appareils portatifs dont il avait besoin.

L’appareil est facile à manipuler pour être monté vers l’échafaudage avec le treuil qui fait déjà partie de l’équipement du maçon et qui facilite en même temps le travail de récupération.

« L’objectif était de trouver une méthode pour enlever la brique, la nettoyer et la réinstaller sur place avec seulement du mortier. Le travail de nettoyage se fait en trois secondes », lance-t- il avec fierté.

L’entrepreneur et son associé, David Dufour, ont consacré énormément d’heures à cette idée et y ont investi beaucoup. Ils ont également travaillé avec le spécialiste en mécanique Hugo Cartier, de la compagnie Alco-TMI, afin de peaufiner le procédé et de fabriquer une machine sur mesure.

Puis, il a reçu l’aide de PME MTL, qui lui a fourni l’accompagnement d’une commissaire au développement. « Grâce à leur soutien, j’ai obtenu beaucoup de bonnes idées, de subventions, de contacts et de ressources », dit-il reconnaissant.

Tommy Bouillon ne cache pas que cette démarche a exigé de l’audace et de la détermination. « Parfois, je me demandais pourquoi je persistais. Mais j’étais rendu assez loin dans le développement, je ne pouvais plus lâcher. »

Surprise et intérêt

L’invention de Tommy Bouillon a surpris le monde de la construction. Brique Recyc n’a pas de concurrent connu en Amérique du Nord. Toutefois, c’est en France, où la récupération dans le secteur du bâtiment est une pratique bien ancrée, qu’il songe maintenant à exporter son idée.

« Au départ, c’est la Ville de Vancouver qui a été la première à s’intéresser à notre procédé. Nous travaillons dorénavant sur les deux fronts, le Québec et l’international. Je suis en train de finaliser une marque de commerce mondiale », annonce Tommy Bouillon.

Actuellement, la technologie de récupération des briques est principalement utilisée sur les chantiers de Maçonnerie Gratton. Mais plusieurs autres acheteurs sont intéressés. Outre les entrepreneurs en construction, des municipalités la veulent aussi pour leurs projets de rénovation, de même que des entrepreneurs spécialisés.

Face à cette demande forte, Tommy Bouillon déplore des complications d’approvisionnement en pièces électroniques, ce qui freine l’expansion de Brique Recyc. « Nous réfléchissons à une manière d’en utiliser moins en préférant l’interface technologique existante pour optimiser le travail. »

Vers l’international

L'entrepreneur dans la jeune quarantaine détient un brevet du United States Patent and Trademark Office ainsi qu’une certification de Développement durable Niveau 1 octroyée par ÉcoCert Canada. Il estime que cela rendra la technologie de Brique Recyc très difficile à copier. Il rêve maintenant à une expansion internationale.

« Notre innovation peut changer l’industrie mondialement. Depuis les deux à trois derniers mois, on note un engouement important, y compris de la part d’une grande compagnie américaine. On ne pensait pas se rendre là en moins d’un an. » D’ici cinq ans, Tommy Bouillon se voit-il vendre sa technologie à une entreprise étrangère ? S’associer avec un distributeur américain ou français  ? « Pourquoi pas, répond-il. Mais je vois surtout une entreprise en innovation qui s’étendra partout sur la planète au profit de l’environnement. »