L’intégration du vitrage représente un enjeu important lors de la conception d’un bâtiment performant. D’où l’importance de faire les bons choix.
Double vitrage ou triple vitrage, là n’est pas la question. Plutôt que de les opposer, il vaudrait mieux en cerner les spécificités propres pour en faire un usage optimal. Qu’ils soient triples ou doubles, les vitrages modernes contribuent autant au confort des occupants qu’au rendement énergétique global du bâtiment. Et cette analyse s’avère d’autant plus nécessaire que la tendance à la transparence est de plus en plus répandue en architecture.
En effet, depuis une dizaine d’années, la biophilie fait un retour marqué dans le grand bâtiment, où elle fait référence à une approche conceptuelle qui recrée les conditions d’un environnement naturel, entre autres en maximisant les apports solaires et en multipliant les vues sur l’extérieur. Si cette approche participe au bien-être des occupants et, par ricochet, à leur productivité au travail, elle n’est pas pour autant gage de confort physique.
Une équation complexe
Loin de là, car les ouvertures vont nécessairement influer sur le rendement énergétique global de l’édifice et, de là, sur le confort des occupants. « Les fenêtres dégradent l’enveloppe, parce qu’on y perce des trous, et elles sont de huit à dix fois moins performantes que les murs, note d’entrée de jeu Roland Charneux, directeur, Éconergie chez Pageau Morel. Il faut aussi savoir que plus de 50 % du confort des occupants est dû à la radiation, d’où l’importance de réduire les surfaces froides.
« On va donc choisir des fenêtres qui ont une bonne résistance thermique et dont la température de surface se situe autour de 17 ou 18 degrés, fait valoir l’ingénieur. Et on limitera le rapport murs-fenêtres à 40 %, un rapport qui suffit en général pour satisfaire aux objectifs de lumière naturelle et de vues sur l’extérieur. D’un autre côté, plus il y a de fenêtres, plus les besoins en éclairage artificiel sont réduits et moins la consommation énergétique est grande. »
Mais les gains thermiques s’avèrent aussi plus importants. Et s’ils peuvent être mis à profit en hiver, ils ne sont pas nécessairement les bienvenus en été. Il faudra donc les neutraliser, soit par des équipements de climatisation plus puissants, soit par des dispositifs architecturaux comme des brise-soleil ou des toiles solaires. Et, bien sûr, en spécifiant un vitrage performant et approprié aux conditions du site.
Au siège social de Mountain Equipment Co-op, à Vancouver, Roland Charneux et son équipe ont opté pour un verre triple sur l’ensemble du bâtiment de 10 000 mètres carrés, dont le rapport murs-fenêtres était de 47 %. Cette solution comportait deux avantages appréciables. D’une part, elle réduisait les pertes de chaleur. De l’autre, elle permettait de diminuer la capacité des équipements mécaniques et les coûts d’exploitation qui leur étaient associés.
Un bilan positif
Quel type de verre choisir alors ? Pour Louis Fortin, ingénieur et directeur de projet chez UL CLEB, la réponse est sans équivoque. « Performance pour performance, dit-il, le vitrage triple est plus avantageux que le double. Il faut quand même garder à l’esprit que c’est toujours plus payant de doubler la valeur R du vitrage que de doubler celle du mur. Mais si on regarde seulement l’efficacité énergétique et qu’on compare watt pour watt, on perd moins d’énergie avec un vitrage triple qu’avec un vitrage double. »
Selon ce spécialiste de l’enveloppe du bâtiment, c’est surtout en termes de chauffage que le verre triple influencera le bilan énergétique global. D’autant plus s’il est dit à faible émissivité ou Low-E, c’est-à-dire si une ou plusieurs de ses faces sont couvertes d’une fine couche d’oxyde métallique qui laissera passer la lumière extérieure et retiendra la chaleur à l’intérieur de l’immeuble. En plus d’abaisser les coûts de chauffage, ce verre isolant contribue à diminuer les frais de climatisation en réduisant l’apport en énergie solaire, qui est réfléchie vers l’extérieur.
« Chaque fabricant a ses propres solutions en matière de vitrage Low-E, signale Louis Fortin. Certains vitrages laisseront passer plus de lumière visible, d’autres moins. Même chose pour la réflexivité. Il y a cinq ans, la mode était de transmettre le plus de lumière visible possible, parfois jusqu’à 70 %. Le Low-E coupait les infrarouges, mais ça prenait des stores en faces ouest et sud.
« Aujourd’hui, ajoute-t-il, on essaie de limiter la lumière visible pour éviter l’éblouissement. Il faut balancer la quantité de lumière visible et l’éblouissement potentiel ainsi que l’inconfort dû à de trop grands gains solaires. »
Un potentiel économique
Il reste que, même si le prix du vitrage triple a beaucoup diminué depuis les vingt dernières années, il coûte toujours plus cher que le double. Et ce surcoût est plus long à récupérer au bout du compte, malgré les économies d’énergie générées. « Le verre triple est peut-être plus cher au jour 1, mais il offre une belle valeur résiduelle au bâtiment, note François Cantin, chargé de projet chez Coarchitecture.
« En plus, il est parfois possible de le financer à même le projet, à condition de travailler de concert avec les ingénieurs en mécanique pour trouver des stratégies qui permettront de récupérer de l’argent ailleurs, signale ce spécialiste en éclairage naturel et en environnement de travail. Dans les rares cas où le client a le budget nécessaire, on en profite pour mettre du verre triple partout. Mais c’est encore mieux lorsque la solution s’intègre avec l’ensemble du bâtiment. »
Pour l’édifice Creaform, à Lévis, Coarchitecture et LGT, firme qui a vu au volet électromécanique, ont imaginé un concept misant non seulement sur l’éclairage naturel et les vues extérieures, mais également sur le confort des occupants et l’efficacité énergétique. Le choix d’une fenestration à triple vitrage a notamment permis de densifier l’aménagement des espaces intérieurs. Le verre triple aidant à minimiser les risques d’asymétrie thermique, il a été possible d’installer des occupants à proximité des fenêtres sans craindre pour leur confort. D’autre part, le recours au verre triple a permis d’éliminer les plinthes chauffantes au bas des murs extérieurs. Le confort thermique au sein des espaces de travail est assuré par un système de chauffage et de climatisation périmétrique par le plafond.
Une solution adaptée
Il faut toutefois éviter de mettre le même type de verre sur toutes les façades. À l’est et à l’ouest, où le soleil est plus bas sur l’horizon, l’éclairage naturel sera plus difficile à maîtriser et les risques de surchauffe seront plus grands. Un vitrage moins permissif aux gains solaires sera indiqué, y compris en face sud. Au nord, le verre peut être plus permissif, puisque cette orientation est moins exposée au rayonnement solaire. Comme à Creaform, où l’équipe de Coarchitecture a spécifié pour la façade nord un vitrage triple laissant passer 66 % de la lumière visible, une valeur qui aurait été difficile d’atteinte avec un verre dont le rôle premier aurait été le contrôle du gain solaire.
« Le verre, c’est un des éléments qui permettent de faire le pont entre l’architecte et l’ingénieur, souligne François Cantin. Il influence le confort des occupants et la stratégie mécanique, sans compter le potentiel d’économie associé à l’éclairage naturel. Le verre triple est sans doute une meilleure solution, mais il faut éviter les recettes toutes faites. Chez Creafom, on a utilisé des verres qu’on n’aurait pas nécessairement utilisés dans d’autres projets. Après tout, chaque projet est un prototype. »
De tous les matériaux de construction, le verre est celui qui a le plus évolué au cours des trente dernières années. Si les fabricants recherchent toujours la performance thermique en multipliant les couches d’oxyde métallique pour atteindre la plus faible émissivité possible – les vitrages Low-E de dernière génération alternent jusqu’à trois films d’argent entre les couches d’oxyde métallique –, la maîtrise du rayonnement solaire est aujourd’hui au cœur de leurs préoccupations. Tandis que le verre se fait plus clair et plus transparent, le vitrage sérigraphié est de plus en plus recherché pour son pouvoir réfléchissant. Ce verre, sur lequel est appliqué un enduit de céramique frittée couvrant de 20 à 60 pour cent de sa surface, réfléchit une partie de l’énergie solaire et, de ce fait, laisse entrer moins de lumière à l’intérieur.
L’intégration optimale du verre dans un bâtiment éconergétique passe nécessairement par le processus de conception intégrée (PCI). Le PCI propose en effet une approche globale de la conception comparativement à l’approche habituelle où un architecte et son client conviennent d’un concept, pour ensuite mandater les autres professionnels afin qu’ils suggèrent les systèmes requis pour sa réalisation. Le PCI, pour sa part, mise sur les compétences multidisciplinaires d’une équipe tout au long de la conception et intègre des mesures de conservation d’énergie, établies à la suite de simulations. Le processus se solde par une intégration optimale des systèmes et une réduction des coûts de construction et d’exploitation, tout en atteignant des objectifs éconergétiques élevés.
Bien que la sélection d’un vitrage dépende de plusieurs facteurs, le choix d’un verre triple serait une solution plus avantageuse, du moins à long terme. « On construit actuellement des bâtiments dont la durée de vie approximative est de 50 à 70 ans, indique Roland Charneux. Il faut se projeter dans le futur pour voir ce qui se fera dans trente ans. « Selon moi, le vitrage triple devrait être aujourd’hui la norme, poursuit-il. Parce que, contrairement à la mécanique, dont la durée de vie est très courte et qui se remplace très facilement, les travaux d’enveloppe sont complexes et, surtout, très coûteux. »