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Quand l’agriculture urbaine gagne les toitures

5 novembre 2019
Par Rénald Fortier

Une véritable tendance se dessine en faveur de l’agriculture sur les toitures des immeubles dans les grands centres urbains au Québec. Au plus grand bénéfice de la collectivité.

La densification et l’expansion de l’environnement bâti grugent en continu le couvert végétal des agglomérations urbaines, non sans s’accompagner d’impacts qui ne vont qu’en s’amplifiant : création d’îlots de chaleur, détérioration de la qualité de l’air, accélération de l’écoulement des eaux de pluie vers le réseau d’égout municipal…

Les toitures végétalisées, qui se multiplient ces dernières années sur les bâtiments commerciaux, institutionnels et multirésidentiels, contribuent évidemment à contrebalancer la minéralisation envahissante dans les grandes villes, sinon à l’atténuer. Tout comme c’est le cas pour la pratique de l’agriculture urbaine sur les toits, un phénomène qui est loin d’être anecdotique.

En témoignent les initiatives proposées par un nombre croissant de grandes entreprises du secteur commercial. Comme SSQ Assurance, qui dispose depuis l’été dernier d’un jardin urbain sur le toit de son édifice situé au 2505, boulevard Laurier, à Québec. Dans la foulée de ce projet, réalisé en collaboration avec Les Urbainculteurs, les récoltes de légumes, de fruits et de fines herbes sont remises à un organisme communautaire local.

Un autre exemple ? Le Groupe Dallaire ouvrira les toitures de ses bâtiments dans le nouvel Espace d’innovation Chauveau, à Québec, à l’agriculture urbaine à partir de 2020. Ce projet, qui prévoit la culture de légumes sur pas moins de trois hectares de toiture, sera réalisé en partenariat avec l’entreprise Du toit à la table.

Tendance lourde

Pour Antoine Trottier, président et cofondateur de La ligne verte, il est clair que lorsque des propriétaires de bâtiments commerciaux et des développeurs immobiliers s’engagent dans le verdissement de leurs toits pour y aménager des potagers, cela confirme que la tendance en faveur de l’agriculture urbaine observée ces dernières est appelée à s’accentuer.

Antoine Trottier, Mark Poddubiuk et Éric Duchemin

« Ce qui est intéressant du point de vue environnemental, c’est que les jardins urbains sont non seulement des oasis de verdure, mais aussi des lieux productifs qui contribuent à assurer la sécurité alimentaire d’une ville avec des légumes très frais dont le transport ne génère pas ou peu de gaz à effet de serre. En plus, les toits jardins peuvent devenir des aires de détente au travail, voire de sociabilisation pour les employés d’une organisation », ajoute celui qui est aussi membre du comité de direction du Groupe de travail sur les toitures végétalisées du Conseil du bâtiment durable du Canada – Québec.

Mark Poddubiuk, architecte, professeur à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal, observe que l’agriculture urbaine en toiture est en voie de devenir incontournable dans les grands centres. « Il devient de plus en plus difficile de libérer des terrains dans un contexte urbain pour aménager des potagers, dit-il. L’exploitation des toits pour la production alimentaire s’impose donc d’emblée, d’autant plus que ce sont des espaces sous-utilisés. »

« L’agriculture urbaine sur les toits ne peut évidemment pas contribuer à nourrir tout le monde, mais ça peut aider, de poursuivre celui qui était auparavant associé de la firme d’architecture L’ŒUF, en soulignant que les toits jardins peuvent aussi jouer un rôle éducatif sur le plan de la saine alimentation, en plus de s’accompagner de plusieurs autres bénéfices, comme la réduction des effets d’îlots de chaleur urbains.

Directeur scientifique chez AU/LAB, organisme associé à la Faculté des sciences et à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal, Éric Duchemin fait remarquer de son côté que les projets doivent être assez grands pour avoir un réel impact. « Pour que ce soit rentable, pour que ça puisse vivre comme projet dans une perspective commerciale, précise-t-il, il faut au minimum 2 700 mètres carrés. Parce qu’une ferme urbaine sur toit, il faut du monde pour s’en occuper en permanence, c’est quand même exigeant en termes d’entretien notamment. »

Enjeux et solutions

S’il comporte des bénéfices indéniables, l’aménagement d’une toiture pour la pratique de l’agriculture urbaine n’est pas sans s’accompagner d’enjeux. Plus particulièrement sur les plans de la capacité portante de la structure du bâtiment, de l’accessibilité sécuritaire au toit, de la sécurité incendie et de l’accès à l’eau.

C’est sans oublier qu’il est primordial de veiller à protéger la membrane d’imperméabilisation de la toiture, histoire qu’un coup de pelle ne vienne l’endommager par exemple. Dans le cas d’un système pleine terre s’apparentant à celui des toitures végétalisées, il faut nécessairement mettre en place une couche de protection, comme un panneau de drainage, entre le terreau et la membrane. En plus d’aménager des voies de circulation dans des endroits bien définis.

« Dans le cas des toits jardins utilisant des bacs ou sacs ou des sacs en géotextile, indique Antoine Trottier, nous allons installer au moins un panneau de drainage sous ces contenants de culture. Là où il y a beaucoup de circulation, nous allons aussi apposer une seconde membrane d’étanchéité pour protéger celle du dessous. »

Les toits pleine terre sont plus courants dans les bâtiments neufs, puisque la capacité structurale requise pour supporter entre 8 et 16 pouces de terreau peut être prévue lors de la conception du projet. « Les bacs et les sacs, note le président de La ligne verte, on peut les disposer là où ils peuvent être soutenus par la toiture. C’est souvent pour pallier le fait qu’on ne peut pas avoir de toits verts qu’ils sont beaucoup utilisés. »

Approche conceptuelle

Aux yeux de Mark Poddubiuk, il faut aborder un projet d’agriculture en toiture de la même façon qu’on le ferait dans le cas d’un niveau additionnel. « On a souvent tendance à sous-évaluer la difficulté de faire de tels toits. Et j’ai réalisé, il y a quelques années, qu’on doit traiter un toit jardin comme si on ajoutait un étage au bâtiment en se demandant notamment comment on va le construire, comment on va y accéder. C’est une approche qui facilite beaucoup la conception. »

Pour lui, il ne fait pas de doute que l’implantation de l’agriculture en toiture devrait toujours être considérée, tout comme celle d’un toit végétalisé d’ailleurs, au moment de concevoir un bâtiment en milieu urbain. « Il y a tellement d’avantages associés à l’intégration de telles solutions durables, non seulement pour les propriétaires des bâtiments, mais aussi pour toute la collectivité. C’est beaucoup plus simple lorsqu’on peut prévoir dès le départ les aménagements requis, indique-t-il. Dans le cas des bâtiments existants, c’est évidemment plus complexe et plus coûteux, surtout quand un renforcement structural est nécessaire. Mais c’est loin d’être impossible. »

Les bénéfices de l’agriculture urbaine
  • Réduction des îlots de chaleur urbains
  • Rétention des eaux de pluie au toit
  • Amélioration de la qualité de l’air ambiant
  • Augmentation de la biodiversité
  • Optimisation de l’isolation thermique du bâtiment (surtout dans le cas de systèmes pleine terre)
  • Production de nourriture saine
  • Réduction du transport et d’émissions de gaz à effet de serre
  • Création d’aires de détente et de sociabilisation pour les employés

 

Vitrine expérimentale

Les toits du Palais des congrès de Montréal accueillent le plus grand laboratoire d’agriculture urbaine au Québec. Photo : Palais des congrès de Montréal

Les toits du Palais des congrès de Montréal accueillent le plus grand laboratoire d’agriculture urbaine au Québec depuis le lancement du projet VERTical en 2016, en collaboration avec AU/LAB.

Ce projet novateur d’agriculture s’est traduit par la mise en place de structures autoportantes sur échafaudage, au sol et à la verticale, pourvues de différents types de toiles naturelles et synthétiques. Ce système permet de densifier l’espace de production, de sorte qu’un pied carré permet un espace de deux à trois pieds cultivables.

« On teste beaucoup de techniques, souligne Éric Duchemin, directeur scientifique chez AU/LAB. On travaille notamment à la création de terreaux à partir uniquement de ressources urbaines, comme du compost ou des copeaux de bois. Car l’un des défis que pose l’agriculture urbaine vient du fait que les terreaux utilisés proviennent généralement de sols périurbains ou du milieu rural, ce qui s’accompagne donc d’un impact environnemental. »

Le laboratoire du Palais des congrès inclut aussi notamment Culti-vert, projet de vitrine technologique de toitures végétalisées et de jardins en bacs déployé depuis le printemps 2011.

Les légumes cultivés sur les toits du Palais des congrès sont acheminés au traiteur de l’institution. Une partie des récoltes est aussi remise à la Maison du Père, organisme qui vient en aide aux itinérants.

 

Du toit au supermarché

L’IGA extra de la Famille Duchemin, à Saint-Laurent, vend des légumes biologiques poussant sur son toit. Photo : La Ligne verte/IGA Duchemin

À l’été 2017, l’IGA extra de la Famille Duchemin, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, est devenu non seulement le tout premier marchand d’alimentation canadien à vendre des légumes biologiques poussant sur son toit, mais aussi à posséder le plus grand potager aménagé en toiture. Une trentaine de variétés de fruits et légumes y sont cultivées sur une surface de 25 000 pieds carrés, dont des salades, des piments, des tomates et des fines herbes.

La réalisation de projet, mené de concert avec La ligne verte, incluait également l’intégration d’un système d’irrigation alimenté par la récupération de l’eau du système de déshumidification du supermarché.