Le design durable des espaces commerciaux s’impose plus que jamais pour optimiser le bien-être de leurs occupants.
Ergonomie durable
Huit grands bénéfices
Nouvelle génération de matériaux sains
Buzz pour le design actif
Le progrès n’est pas un long fleuve tranquille. En combinant rendements économique et écologique, la performance des systèmes mécaniques s’est avérée le point focal de la construction commerciale durable ces dernières années. Le bien-être des occupants revient aujourd’hui à l’avant-plan, puisqu’il faut produire des lieux où il fait bon travailler.
Pour Tiiu Poldma[1], professeure titulaire à la Faculté d’aménagement de l’Université de Montréal et designer d’intérieur en pratique privée, la faiblesse de l’approche de conception inspirée par LEED réside dans l’attention insuffisante accordée aux perceptions des occupants. « Tout le monde est ravi des économies d’énergie, observe-t-elle. Mais pour faire un design véritablement durable, il faut absolument tenir compte de l’expérience vécue et trouver des solutions sensibles aux besoins des personnes. »
Marie-Claude Parenteau-Lebeuf[1], directrice générale de l’Association professionnelle des designers d’intérieur du Québec (APDIQ), renchérit : « On ne doit pas négliger l’impact sur la santé mentale du bruit, de la luminosité, de la densité d’occupation. On commence à prendre la mesure des cas de dépressions et maladies chroniques causées par des environnements inadéquats. » Douleurs au dos, dégénérescence musculaire, problèmes cardiaques, diabète et cancer du côlon menacent spécifiquement les travailleurs de bureau, ces grands sédentaires.
« Nos responsabilités incluent la protection de la santé, de la sécurité et du bien-être des occupants », dit-elle. L’adoption bienveillante des bureaux à aire ouverte donnant à tous des vues sur l’extérieur et l’accès à la lumière du jour pose quant à elle de nouveaux défis aux concepteurs. Éblouissement, inconfort acoustique, manque d’intimité et distraction rendent certains nostalgiques du cubicule. « On revient à la notion de concentration; ça prend aussi un endroit pour se retirer et pour parler au téléphone, ajoute Marie-Claude Parenteau-Lebeuf. L’aspect psychologique n’a jamais été abordé comme ça l’est maintenant; on parle de confort et de tranquillité. »
Connaître pour mieux combler
C’est le désir de créer un environnement à la fois productif et conduisant à la rétention des employés qui incite donneurs d’ouvrages et designers à mettre l’humain au centre du projet de conception. Cependant, le nombre d’éléments à considérer est étourdissant : variété des tâches, des physionomies, des préférences, heures d’activité et culture d’entreprise, sans parler de la trajectoire de croissance de l’entreprise. La conception intégrée s’avère le plus sûr moyen d’y arriver.
« Le concepteur va se fier au programme fonctionnel et technique, mais il faut aller plus loin et analyser les services fournis par l’entreprise, le programme organisationnel et les besoins exprimés par les employés. Les représentants des ressources humaines sont trop rarement conviés autour de la table, alors que c’est essentiel pour concevoir des espaces véritablement adaptés », affirme Mélanie Pitre, directrice du développement durable chez Ædifica.
La prévalence des activités collaboratives, des déplacements à l’extérieur du bureau et du télétravail incite aujourd’hui les designers à remettre en question la nécessité d’avoir un poste de travail par employé. De cette réflexion découle le concept de hotelling, la provision de bureaux génériques occupés ponctuellement puis laissés vacants pour un collègue.
En s’affranchissant de l’idée d’un poste par personne, on peut concevoir des propositions qui répondent aux besoins de chacun, tout en ayant une valeur ajoutée. « Quand on fait une économie à un endroit, on peut disposer de plus d’espace et de ressources dans les lieux collaboratifs ou de soutien », souligne Mélanie Pitre. On pense aux salles polyvalentes, zones lounge pour les échanges moins formels, cabines antibruit pour les appels et focus rooms pour un travail sans distractions. Nous voici dans l’ère du bureau flexible.
En plus de répondre aux impératifs organisationnels de notre époque, cette manière d’envisager l’espace comporte des avantages majeurs sur le plan de la santé et du confort. C’est également une stratégie incontournable afin d’obtenir la nouvelle certification WELL, administrée par le Conseil américain du bâtiment durable.
Êtes-vous WELL?
« La norme WELL est destinée à un environnement organisationnel exceptionnel, c’est ce que j’aime, dit Mélanie Pitre. Elle s’avère complète et nous oblige à mettre tout le monde autour de la table. Elle rejoint LEED v4 sur la qualité de l’air et le confort thermique, mais va beaucoup plus loin en ce qui concerne l’ergonomie, la biophilie, le design actif et la conception intégrée. »
Le nouveau système de certification consiste, comme LEED, en une série de mesures, certaines obligatoires et d’autres optionnelles, à cumuler afin d’obtenir un score permettant d’atteindre la certification. Les crédits sont répartis en huit catégories : Eau, Air, Alimentation, Lumière, Forme physique, Confort, Esprit et Innovation. La catégorie Esprit (Mind) comprend des points pour la conception intégrée, les sondages post-occupation, l’apport d’éléments naturels et la provision d’espaces adaptables, incluant des pièces et du mobilier réservés aux siestes!
Une seule certification WELL a été attribuée à ce jour, soit au siège social de la Banque TD, à Toronto. « L’obtention d’une certification axée sur le bien-être va devenir attrayante pour les compagnies qui embauchent des travailleurs hautement qualifiés, estime Anna Westlund[1], designer et associée chez Provencher_Roy. Fournir des lieux de travail sains et "supportants" est une bonne manière de les attirer et de les retenir. »
Provencher_Roy a conçu les nouveaux bureaux montréalais de Vigilant dans cet esprit. Tous les postes de travail ont l’option assis/debout, des murs flexibles permettent de reconfigurer les aires collaboratives, et on peut passer un appel en toute confidentialité dans des « cabines téléphoniques ». « La lumière naturelle est très importante et tous les employés y ont accès, même dans les laboratoires et les archives », indique Anna Westlund. Et c’est sans parler des déjeuners et dîners sains servis quotidiennement aux employés…
Même si la certification WELL n’est pas à la portée d’une majorité d’employeurs, tous gagnent à fournir des environnements sains. La main-d’œuvre constitue souvent plus de la moitié des dépenses d’une entreprise. Selon l’Association canadienne de la santé mentale, les maladies mentales coûtent des milliards de dollars aux compagnies canadiennes, car elles occasionnent des pertes de productivité, la prise de congés et le présentéisme, soit la présence au travail alors qu’on n’est pas en mesure d’effectuer ses tâches adéquatement. Incidemment, la dépression touche principalement les gens en âge de travailler, c’est-à-dire de 24 à 44 ans.
À ce jour, les intérieurs mal conçus n’étaient pas considérés comme une cause de préjudices moraux ou physiques. Cependant, on sait aujourd’hui qu’ils peuvent contribuer à une variété de maux et de conditions délétères ayant de profondes répercussions sur la population. « WELL expose le lien entre la cause et l’effet et fait la démonstration que les environnements de travail doivent être sains et sécuritaires, sans quoi la santé des employés va se détériorer, conclut Marie-Claude Parenteau-Lebeuf. Avoir recours aux spécialistes du bien-être, c’est un investissement. »
Selon Patrick Vincent, président de Vincent Ergonomie, la première fonction de l’ergonome est d’assurer la santé et le bien-être des travailleurs tout en assurant la productivité. « Nous avons connu ces dernières années un changement de paradigme; plusieurs solutions mécaniques et techniques sont maintenant envisagées en soutien à la santé des occupants plutôt qu’en fonction des performances du bâtiment, se réjouit-il. Dans cet esprit, l’ergonomie a plus que jamais sa place. »
Les ergonomes agissent sur la fluidité des circulations, le positionnement des équipements partagés et le confort acoustique et visuel. Ils interviennent aussi pour élaborer des postes de travail « types », selon le profil professionnel. Le mobilier est sélectionné et positionné en fonction des caractéristiques physiques des travailleurs et de leurs tâches spécifiques. « Nous sommes également présents lors de la mise en service pour expliquer le choix des équipements et leur fonctionnement. Les gens découvrent souvent combien leur chaise peut être confortable une fois ajustée! »
De ces services garants de bien-être et de productivité, quelle est la valeur ajoutée sur le plan environnemental? « Le fait de bien concevoir les espaces et les équipements du premier coup évite l’impact écologique de tout remplacer lorsque ça ne convient pas », répond tout de go Patrick Vincent.
- Meilleure qualité de l’air
- Confort acoustique
- Respect du rythme circadien et confort visuel
- Contrôle personnalisé des conditions ambiantes
- Postures de travail appropriées et ajustables
- Environnement facilitant la concentration
- Espaces optimisés pour différentes tâches
- Déplacements actifs et alimentation saine facilités
La pression exercée sur les fabricants a beaucoup amélioré l’offre de produits de finition et de mobilier sans composés organiques volatils (COV). L’avènement de LEED v4 et de WELL rehaussera encore les attentes relatives à l’innocuité des matériaux en réclamant plus de transparence dans la divulgation des intrants et des procédés de fabrication.
L’approche LEED v4 exige de soumettre des déclarations environnementales de produits (DEP) validées par une institution approuvée pour 20 matériaux installés de manière permanente, ou 50 % du coût des matériaux. Du côté de WELL, plusieurs substances sont carrément proscrites et un crédit est associé à l’intégration de 25 % de matériaux répondant aux critères de tiers partis rigoureux dont Living Product Challenge, Cradle to Cradle ou GreenScreen.
« L’offre de produits qui répondent à ces normes est encore limitée, mais avec LEED v4 et WELL, le marché va se réadapter. Ça pousse les designers, mais aussi les fabricants à sortir de leur zone de confort », observe Guillaume Martel, coordonnateur en développement durable chez Provencher_Roy. On pense par exemple à l’entreprise de couvre-planchers Mohawk qui vient de commercialiser une première collection de tapis portant l’appellation Living Building Product, certifiant que le produit a un impact positif sur l’environnement.
Selon Anna Westlund, designer associée chez Provencher_Roy, la tendance du « design actif » profite actuellement d’un buzz. L’idée est de combattre l’aspect sédentaire du travail de bureau par le design et l’organisation spatiale.
Elle précise : « Il s’agit de voir les opportunités d’encourager le mouvement; en mettant les escaliers en valeur ou en positionnant stratégiquement les distributrices d’eau, par exemple. Tout le monde adore avoir l’option d’un poste de travail sit-stand et on voit de plus en plus de gens qui travaillent debout sur des tapis roulants ou même des appareils elliptiques. »
La catégorie Fitness de la certification WELL prévoit aussi des mesures incitatives pour le transport actif, l’accès à une salle d’exercice et des séances d’entraînement sur les lieux de travail.