L’industrie du béton mise sur une utilisation judicieuse de ses matériaux pour réduire le gaspillage.
À l’heure où l’environnement est sur tous les fronts, il va de soi que l’industrie du béton accentue ses efforts pour lutter contre les changements climatiques. En plus du verdissement de ses pratiques, elle mise notamment sur une utilisation judicieuse de ses matériaux, tout d’abord en évitant le gaspillage, pour réduire l’empreinte environnementale des constructions en béton.
Ainsi, pour dresser un état des lieux de la situation, des experts en la matière jettent une lumière nouvelle sur la façon dont l’industrie bétonnière propose de renforcer son action dans une perspective de gestion optimale des matières résiduelles alors même que son impact environnemental pose question, notamment parce que l’une des principales composantes du béton, le ciment, est responsable d’environ 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Réduction des matériaux utilisés
Afin d’obtenir une meilleure gestion environnementale, plusieurs solutions sont envisageables grâce au béton. Dans une perspective de durabilité, la hiérarchie des 3RV-E, c’est-à-dire, la réduction à la source des matériaux utilisés, le réemploi, le recyclage, la valorisation et l’élimination, peut constituer la clé du succès. Mais le message véhiculé de réduction à la source ne semble pas toujours bien compris, avance d’entrée de jeu Luc Bédard, directeur général de l’Association béton Québec. Il explique : « Le vieil adage trop fort casse pas, faisant ici référence à la surqualité, a bien des disciples. Cependant, dans le langage des gestionnaires de la qualité, la surqualité équivaut à du gaspillage, ce qui va à l’encontre des grands préceptes du bâtiment durable. »
Selon lui, il faut éviter d’introduire un béton à haute performance dans le cadre d’un projet où un béton courant pourrait suffire. Les émissions liées à une utilisation trop grande de ciment s’en verront ainsi réduites. « Les choix des matériaux ont un impact incontestable sur le moyen et long terme. Par exemple, les fumées de silice donnent des bétons à très hautes performances, mais a-t-on besoin de ce type de béton pour faire des trottoirs? », fait-il remarquer.
En revanche, le béton à haute performance tient la route pour ce qui est de l’optimisation de la conception dans l’optique de réduction à la source, car il permet la construction des éléments moins massifs, améliorant du même coup l’empreinte environnementale. Des chercheurs ont démontré que l’utilisation d’un béton à haute performance pouvait réduire significativement la taille des structures, ayant pour résultat l’obtention d’une superficie habitable plus grande et d’avoir ainsi plus de pieds carrés par équivalent CO2 émis.
Dans le même ordre d’idées, le béton préfabriqué offre aussi des solutions concrètes visant la réduction des matériaux. Stéphane Martel, ingénieur sénior, Développement de solutions structurales chez Bétons préfabriqués du Lac (BPDL), souligne que le béton préfabriqué utilisé pour la fabrication de la structure et pour la conception de l’enveloppe est un produit à la fois récupérable et durable qui met à disposition des possibilités non négligeables dans sa contribution à l’amélioration de l’empreinte environnementale.
Chez BPDL, précise-t-il, il existe une gamme de produits en béton préfabriqué dans la catégorie d’éléments architecturaux qui servent à la conception d’enveloppes dont la combinaison de béton avec une structure d’acier léger permet l’obtention d’un panneau qui ne fera que 65 mm d’épaisseur. « En utilisant ce type d’enveloppe, il est possible de réduire la grosseur des colonnes et des fondations. Par exemple, illustre-t-il, les grandes portées comme les planchers en béton préfabriqué précontraint favorisent l’optimisation des structures et ne requièrent pas autant l’ajout de colonnes dans le bâtiment. Il sera aussi plus facile de le reconvertir par la suite. »
Le réemploi
Le déchet qui pollue le moins est celui qu’on ne produit pas. Peut-être faut-il entendre avec une acuité renouvelée cet adage qui prend un tout autre relief dans le contexte de conversion des bâtiments en béton existants. « L’une des meilleures pratiques environnementales qui soient est le réemploi des structures déjà en place lorsqu’il est possible de le faire », indique Luc Bédard. Elle figure en tête de liste en matière d’efficacité pour ce qui est des ouvrages de béton, sachant que ce qui a été construit sur le plan industriel au cours du siècle dernier consistait majoritairement en des bâtiments et des structures qui sont toujours très adéquats et fonctionnels.
« Bien entendu, lance-t-il du même souffle, une adaptation devra être réalisée afin de donner une nouvelle vocation au bâtiment, mais il est essentiel de sortir du carré de sable pour réaliser tout le potentiel qu’une ancienne structure est en mesure d’apporter. Certains seront tentés de faire table rase, ce qui non seulement risque d’avoir un impact fâcheux sur l’environnement, mais qui plus est, ne saurait être rentable pour le projet, l’expérience ayant démontré qu’il est plus avantageux de faire de la récupération de masse que de récupérer élément par élément. Mais il sera toujours recommandé d’évaluer l’usage et la fonctionnalité avant de passer à la démolition. »
Le recyclage
La bonne nouvelle, c’est que le béton est un matériau pratiquement réutilisable à 100 %. La moins bonne, c’est qu’au Québec, à l’heure actuelle, on utilise peu ou pas le béton recyclé dans la fabrication de nouveau béton. Comme l’explique Yves Dénommé, directeur technique de l’Association béton Québec, la raison principale tient au fait que les normes canadiennes sont plutôt sévères relativement aux performances des granulats.
Pour l’instant, le comportement au cycle de gel/dégel et le fait de l’abrasion ne respectent pas vraiment les exigences actuelles envers un granulat naturel, ce qui limite l’utilisation du granulat recyclé. Des études sont en cours ici, et dans des universités à travers le monde, où des essais s’effectuent avec des granulats recyclés qui obtiennent un certain succès, mais avec notre climat rigoureux, cela pose problème pour le moment. « Toutefois, poursuit-il, des infrastructures de béton peuvent être transformées sous forme granulaire et pourront être réutilisées comme matériaux de fondation de base pour des routes, évitant ainsi l’emploi de matériaux vierges provenant de nos carrières. »
L’industrie bétonnière sort vraisemblablement de l’ornière et fait de grands bonds vers l’avant grâce à des procédés innovateurs dans sa visée de réemployer les granulats. Yves Dénommé indique qu’il existe aussi un type d’usine appelé « recycleur » qui lave l’intérieur des bétonnières, puis récupère les granulats toujours vierges puisqu’ils n’ont été mélangés que très peu de temps, conservant ainsi toutes leurs propriétés. « Le béton n’est pas récupéré dans son entier, mais ses granulats peuvent être réutilisés soit pour des fondations ou encore dans la fabrication de nouveaux bétons », précise-t-il.
Le béton préfabriqué n’est pas en reste, relativement à la réutilisation et au recyclage, car, comme le souligne Stéphane Martel de chez BPDL, lorsqu’une structure est parvenue au terme de son cycle de vie, il est possible de réutiliser les éléments en béton préfabriqué. « Les panneaux pourront être légèrement modifiés, mais la réutilisation est possible. Des éléments complets, comme des dalles de planchers, pourront être récupérés, ce qui se révèle particulièrement avantageux pour des projets de plus petite envergure. »
La valorisation et l’élimination
L’ABQ n’omet pas de porter à sa juste valeur le travail accompli par l’industrie du béton, considérant qu’elle peut s’enorgueillir d’être une championne en termes de valorisation de sous-produits. Qu’il s’agisse de cendres volantes, de laitier de haut-fourneau ou de fumées de silice condensées, tous ces sous-produits peuvent être valorisés comme ajouts cimentaires, que ce soit pour le béton, mais aussi pour la fabrication du ciment. Ainsi, il n’y a pas ou peu de déchets de production. Si l’on travaille bien, le béton constitue l’un des seuls matériaux à produire peu ou pas de rejets et ceux-ci pourront être facilement valorisés ou recyclés. « La valorisation du béton, indique Luc Bédard, tient donc à sa façon de se réinventer. »
- La réutilisation permet d’éviter l’utilisation de matériaux vierges. Ce qui aide à réduire l’impact environnemental relié au ciment et prolonge la durée de vie de nos carrières et nos sablières, dont les matières premières ne sont pas infinies.
- Avantages intrinsèques du béton lors de la mise à profit de sa masse thermique. Voilà qui limitera les périodes de chauffage et de climatisation en saison. Le béton accumulera sa chaleur le jour et la dissipera pendant la nuit.
- La réduction des gaz à effet de serre. La réutilisation fait en sorte qu’on n’aura pas à émettre des équivalents CO2 pour une nouvelle structure. Qui plus est, l’ancienne structure de béton peut être convertie avec un minimum de travaux pour la rendre réutilisable.
- Le béton peut aussi être utilisé comme matériau de finition en soi. Cela permet de minimiser les revêtements de plancher et de plafond.
- Une mauvaise utilisation du béton. Les matières premières devraient être utilisées plus rationnellement pour les ouvrages qui en ont vraiment de besoin.
- Une coordination inadéquate. Le béton est un matériau complexe qui fait intervenir plus de quatre à cinq quarts de métier. L’entrepreneur général ou maître d’œuvre devra connaître le processus de bétonnage pour s’assurer que l’ensemble des activités est conforme afin de ne pas perdre les gains acquis lors de la conception.
- Veiller à l’utilisation rationnelle des ajouts cimentaires si le devis en exige. Souvent, des ajouts cimentaires seront utilisés pour pouvoir réduire les quantités de ciment, mais il faut faire attention, car les ceux-ci ne sont pas tous égaux et n’offrent pas tous la même performance, comme les poudres de verre postconsommation. Il faudra alors surdoser, ce qui compromettra inévitablement le bilan environnemental.
- Prendre garde aux ponts thermiques en portant l’attention à l’efficacité énergétique. Le béton peut favoriser les ponts thermiques, mais, de façon générale, tous les matériaux mal utilisés peuvent en faire autant.
Exécutées dans les règles de l’art, les structures de béton sont les moins vulnérables en présence de tous types de revêtements extérieurs, ce qui accommodera le remplacement, à moyen et à long terme, d’un nouveau recouvrement extérieur dans la deuxième vie d’un bâtiment. « Dans une perspective durable, nous devons garder en tête la première et la deuxième rénovation du bâtiment, d’où l’importance d’utiliser, dès le départ, des matériaux garantissant une longévité accrue », précise Luc Bédard. Notre culture quant à la construction en béton est plutôt restreinte si on la compare avec celle des Asiatiques et des Européens, dont le réflexe est de construire en béton et de faire l’ornementation en bois, rappelle-t-il. À cent lieues de l’aspect rude et anguleux de l’architecture brutaliste des années 50 à 70, le béton reprend du galon, avec les bétons fibrés de hautes performances, et se décline de plus en plus sous des formes de grande délicatesse rappelant davantage la dentelle.