Les changements climatiques appellent une révision des normes de conception et de construction des bâtiments au Canada.
Le dernier Rapport sur le climat changeant du Canada publié par Environnement et Changement climatique Canada en 2019 le confirme : le réchauffement du climat est en moyenne deux fois plus important ici qu’ailleurs sur le reste de la planète. Pire, ses effets généralisés dans plusieurs régions risquent de s’intensifier dans l’avenir. D’où un certain branle-bas de combat sur le plan normatif et réglementaire pour adapter en conséquence les pratiques de conception et de construction des bâtiments.
C’est ainsi que le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) a notamment entrepris un projet visant à intégrer la résilience climatique dans les guides de conception, les codes et les documents connexes qui serviront de fondement aux futurs travaux de construction de bâtiments et d’infrastructures. Dans le rapport de ses travaux de 2018-2019, l’Initiative sur les immeubles résilients aux changements climatiques et les infrastructures publiques de base met la table pour que plusieurs normes de conception et de réhabilitation des bâtiments au pays soient modifiées en tenant compte des changements climatiques.
Selon la gestionnaire responsable du projet au CNRC, Marianne Armstrong, cet exercice de réflexion et de révision des façons de faire repose sur des données climatiques canadiennes historiques et fiables colligées au fil des années, notamment sur les changements de température, l’intensité des précipitations et la force des vents. Plus de 150 collaborateurs et experts ont contribué au projet de recherche. Selon elle, le Canada est l’un des premiers pays qui compilent de telles données dans le but de concevoir des codes qui permettront d’améliorer la construction des bâtiments de manière à mieux résister aux changements climatiques.
« Ce rapport contient plusieurs propositions qui sont présentement en consultation publique afin de déterminer lesquelles seront intégrées dans la prochaine version du Code national du bâtiment (CNB) de 2020 », précise Marianne Armstrong.
Cette version comprendra notamment des données de calcul à jour sur les vents. Une ébauche de données climatiques de calcul orientées vers l’avenir, qui incorporent les répercussions des changements climatiques, a été élaborée et sera probablement rendue publique vers la fin de 2019. De même, des indications générales sur la façon d’utiliser ces données sont en préparation afin d’alimenter les discussions des comités relativement à l’inclusion des données dans les éditions futures des codes.
Plusieurs lignes directrices ont aussi été élaborées ou sont en préparation en ce qui a trait à la résistance des bâtiments aux inondations, la conception durable de l’enveloppe, la prévention de la surchauffe dans les bâtiments et la certification de la résilience des toits soumis à des événements météorologiques extrêmes. Une nouvelle norme CSA A123.26 est par ailleurs en préparation concernant les exigences de performance pour les systèmes de couverture à membrane de toits en pente faible résilients aux changements climatiques.
La norme CSA A123.5 relative aux bardeaux bitumés a aussi été révisée pour inclure une classification des vents forts (150 mi/h) et sera incorporée par renvoi dans la partie 5 et la partie 9 du CNB de 2020. Il est également question d’y incorporer la norme modifiée CSA S478 se rapportant à la durabilité des matériaux et des systèmes.
Des impacts bien réels
Les événements climatiques extrêmes étant de plus en plus fréquents, que ce soit avec des températures plus élevées en été et plus froides en hiver, des précipitations plus abondantes ou des vents plus violents, il devient impératif de limiter les impacts sur le confort, la salubrité et la sécurité des bâtiments.
Geneviève Lussier, présidente et associée principale de la firme de génie-conseil Eequinox, donne en exemple certains types de bâtiments plus à risque d’être touchés par les changements climatiques. « Les hôpitaux, les centres d’hébergement pour personnes âgées, les musées, les réserves muséales ou les animaleries destinées à la recherche sont des lieux que l’on peut qualifier de critiques. Si les systèmes mécaniques en place ne réussissent pas à maintenir des conditions de température intérieure constantes, cela peut notamment provoquer des inconforts pour les occupants de bâtiments mal chauffés, non climatisés ou qui ne sont pas conçus pour s’ajuster aux variations extrêmes des températures. »
Cependant, ce ne sont pas tous les bâtiments existants qui doivent être adaptés aux changements climatiques. À tout le moins en ce qui concerne la mécanique, car les systèmes sont souvent conçus ici avec beaucoup de capacité et de facteurs de sécurité. Ils peuvent donc être ajustés en conséquence.
En ce qui a trait à la conception d’un nouveau bâtiment, il peut s’avérer pertinent de se référer aux conditions de design des manuels de conception publiés par l’ASHRAE, lesquelles sont basées sur les 25 années antérieures de données climatiques pour certaines villes.
Intervenir en amont
En chauffage, Geneviève Lussier n’appréhende pas de problèmes particuliers. En climatisation, par contre, il peut y avoir des impacts sur les couts d’infrastructures et d’opération des équipements. En particulier dans les grands bâtiments qui doivent être munis de gros refroidisseurs et de tours d’eau pour le traitement des rejets de chaleur. « Si les équipements ne sont pas conçus pour les écarts extrêmes de température, précise-t-elle, cela peut entrainer une diminution de l’efficacité et une augmentation des couts. »
Quant à l’enveloppe des bâtiments, il y a des adaptations à faire, selon elle, en matière de conception. « Si un bâtiment est conçu avec beaucoup de fenêtres, un système mécanique efficace sera nécessaire pour réguler la température en raison des pertes et des gains de chaleur plus importants en hiver et en été, indique Geneviève Lussier. Il existe des stratégies, par exemple, lors du choix des fenêtres et de leur emplacement, pour assurer le confort des occupants ainsi que la réduction des couts d’équipements mécaniques et de consommation d’énergie pendant la durée de vie du bâtiment. »
Une bonne solution, selon elle, consiste à impliquer les professionnels responsables de l’énergie et de la mécanique dès les premiers traits de crayon, car cela évitera d’avoir à adapter une mécanique inefficace découlant d’une mauvaise conception du bâtiment.
Des normes à actualiser
Il est évident que les architectes et les ingénieurs sont concernés et préoccupés par les changements climatiques. Leurs travaux de conception sont déterminants quant à la qualité de construction des bâtiments, à la résistance de ceux-ci aux intempéries, à leur performance énergétique et à leur durabilité. « C’est précisément pour ça qu’on travaille avec eux, pour comprendre leurs besoins et leur apporter des réponses », souligne Marianne Armstrong. Impliquée dans l’ASHRAE Montréal depuis plusieurs années, Geneviève Lussier estime pour sa part que les standards développés par l’organisme sont toujours un pas en avance, comparativement aux codes nationaux dont l’approbation d’une version demande dix ans.
Il est difficile d'intégrer les pratiques au niveau gouvernemental, même si les professionnels lèvent des drapeaux depuis longtemps. Elle ne cache pas cependant que, dans son domaine de pratique, ce sont les standards de l’ASHRAE qui guident les professionnels et servent de références. « Quelles que soient les études, leurs conclusions démontrent qu’il y a bel et bien des changements climatiques. Il y a plein de théories pour en expliquer les causes, mais l’évidence est là, sans savoir combien de temps ça va durer. En tant que concepteurs, conclut-elle, nous avons néanmoins les outils pour contrer leurs effets néfastes. Il suffit de les utiliser à bon escient. »
Cet article est tiré supplément thématique Bâtiment 2019 publié par Constructo