Gros plan sur le design de l’hôtel de ville de La Pêche, premier projet institutionnel à viser l’obtention d’une certification Passivhaus au Québec.
À La Pêche, un hôtel de ville unique en son genre intègre des solutions énergétiques passives à coût nul, le tout abrité par une structure en bois innovante. Bref, un projet qui ose viser plus haut en matière d’efficacité énergétique et de carboneutralité.
Quand Dominique Laroche, architecte sénior principal chez BGLA architecture + design urbain, a suivi un cours intensif sur les principes de design Passivhaus en 2016, il était alors loin de se douter qu’il allait y faire une rencontre déterminante pour les années à venir. Soucieux de trouver des solutions pour mieux consommer l’énergie dans les bâtiments, il fait la connaissance de Malcom Isaacs, un consultant Passivhaus qui a également cofondé le Canadian Passivhaus Institute.
Trois ans plus tard, ce dernier le recontacte pour l’informer d’un projet d’hôtel de ville à La Pêche, sur lequel BGLA décide de soumissionner en 2020. « Ce qui était intéressant, c’est que la Municipalité souhaitait dès l’appel d’offres diminuer de 25 % sa consommation énergétique et s’inspirer du net zéro et du Passivhaus », explique Dominique Laroche.
Petite municipalité, grande ambition
Nichée dans les collines de l’Outaouais, La Pêche mûrit de grandes ambitions en matière de développement durable. Il n’a donc pas été difficile de convaincre la Municipalité de jouer le tout pour le tout et de concevoir l’hôtel de ville selon les principes Passivhaus. « C’était avant les changements au code en 2021, mais à l’époque, nous visions à diminuer de 85 à 90 % la consommation énergétique du bâtiment comparativement au bâtiment de référence du Code national de l’énergie pour les bâtiments. Aujourd’hui, on est plutôt à 65 % de diminution comparativement à la nouvelle référence », relativise l’architecte.
C’est d’ailleurs Malcom Isaacs, mais aussi l’entrepreneur Jim Iredale, qui ont aidé la firme d’architecture à concevoir les compositions d’enveloppe pour ce projet afin de répondre le plus possible aux critères de bâtiment passif.
« Au début, la Municipalité souhaitait seulement s’inspirer des principes Passivhaus, mais nous l’avons finalement convaincue de demander la certification allemande pour ce projet », s’enthousiasme Dominique Laroche, visiblement fier que la Municipalité ait choisi d’investir temps et argent afin de faire reconnaître les efforts déployés par l’équipe de projet.
Une question d’implantation
Un aspect primordial dans un design passif consiste en l’orientation du bâtiment. Cet élément a d’ailleurs été au cœur des rencontres de conception intégrée avec le reste de l’équipe de projet. « On a dû expliquer en quoi consistait la norme Passivhaus, mais surtout, on a passé beaucoup de temps à travailler sur l’implantation des différents éléments du projet dans la plateforme Miro. En comprenant mieux les principes Passivhaus, ils ont vite compris qu’il y avait une logique derrière nos interventions », précise l’architecte.
Dans un concept passif, la principale source d’énergie pour le chauffage est celle provenant du rayonnement solaire direct. C’est pourquoi les espaces fenestrés sont concentrés en direction sud pour maximiser l’apport de chaleur, qui est ensuite déployée à travers le bâtiment par le système de ventilation. Selon la même logique, le nombre de fenêtres est limité en direction nord pour éviter les pertes de chaleur. Le positionnement des arbres joue aussi un rôle majeur. « Pour limiter l’apport de chaleur en été, on place généralement des feuillus au sud, puis pour limiter le froid en hiver, on place des conifères du côté nord », ajoute Dominique Laroche, qui précise avoir opté pour un brise-soleil au sud dans le cas de l’hôtel de ville de La Pêche.
L’orientation de grandes fenêtres au sud était d’autant plus logique que cet emplacement offrait des vues saisissantes sur les montagnes du parc de la Gatineau ainsi que sur le pont couvert du chemin du Lac-Philippe en contrebas.
Parmi les autres aspects importants à considérer dans un design passif : la forme et la superficie du bâtiment. La géométrie privilégiée pour l’hôtel de ville de 1 417 m2 est ainsi simple et rectangulaire, ponctuée d’une toiture en dents de scie. « Je réalise souvent dans mes projets que les clients ont tendance à vouloir plus de mètres carrés que leurs besoins réels, confie Dominique Laroche. C’est pourquoi je cherche toujours à optimiser l’espace, d’autant plus qu’en réduisant la superficie du bâtiment, on vient économiser sur les coûts du projet. »
Efficacité passive
Pour répondre à la norme Passivhaus, les ingénieurs ont dû respecter en tous points les exigences en matière d’efficacité énergétique de cette dernière. Parmi celles-ci, l’utilisation d’unités certifiées Passivhaus. « Pour les systèmes de ventilation pour l’air frais, nous avions besoin de 75 % de récupération totale minimale », explique Sébastien Geoffroy, ingénieur associé chez Pageau Morel.
Pour y arriver, le système de ventilation choisi est composé de poutrelles climatiques actives qui assurent la climatisation des espaces, alors que la déshumidification est prise en charge par l’unité de ventilation principale. Il sera également possible aux occupants d’ouvrir les fenêtres en saison estivale. « Chaque fenêtre a un capteur de position pour éviter que la ventilation de cette pièce-là fonctionne si la fenêtre est ouverte », précise l’ingénieur, ajoutant que cette stratégie vise à protéger le système de ventilation d’une humidité excessive.
Le chauffage du bâtiment se fait à basse température avec l’aérothermie. Des serpentins électriques d’appoint sont présents dans le système d’alimentation en air frais pour compenser la baisse d’efficacité de l’aérothermie par grands froids. Une dalle radiante au plancher complète le système de chauffage. « L’emmagasinage thermique se fait au niveau du rez-de-chaussée, là où il y a la grande aire ouverte », ajoute Sébastien Geoffroy.
Une toiture unique en son genre
Inspirée des ponts couverts de la région, la structure en bois de ce projet est unique en son genre. Composée de panneaux en bois lamellé-croisé (CLT) disposés en angle, elle permet de tirer le maximum des capacités bidirectionnelles de ce matériau, offrant des portées libres de 18 m. Une solution qui permettait de dégager encore plus les vues vers le sud en éliminant le besoin de colonnes au deuxième étage.
« On aurait même pu atteindre d’encore plus longues portées, mais ce n’était pas nécessaire dans ce cas-ci », précise Thibaut Lefort, ingénieur et fondateur de Latéral, qui a travaillé sur le concept structural du projet. Il ajoute que ce concept n’est pas sans rappeler les voiles en béton utilisés dans la première moitié du 20e siècle pour obtenir de longues portées libres, mais il s’agirait de la première fois que du CLT est utilisé de cette façon en Amérique du Nord.
Il était d’ailleurs clair dès le départ qu’une structure en bois serait utilisée dans ce projet, car il s’agissait d’un des souhaits de la Municipalité qui avait inscrit ce critère dans l’appel d’offres. Au grand bonheur de l’architecte, qui avait déjà expérimenté avec le CLT dans la construction de son propre chalet. « C’est extraordinaire comme matériau ! J’ai pu l’expérimenter à la fois comme plancher et comme mur/poutre. Je savais donc qu’il pouvait offrir d’excellentes capacités en matière de porte-à-faux horizontal », mentionne Dominique Laroche.
Mais qui dit innovation dit également recherche et étude. Dans le cas de la structure de l’hôtel de ville de La Pêche, Latéral a dû prendre le temps de modéliser une solution afin de s’assurer que les efforts fonctionnent, mais aussi les transferts sismiques. « La conception des assemblages a été tout un défi, notamment dans le bas des vallées et là où le CLT vient se déposer sur les poutres périmétriques en bois lamellé-collé », mentionne Thibaut Lefort, qui précise avoir travaillé en étroite collaboration avec Ambiance Bois, le fournisseur de la structure. Heureusement, l’équipe de projet a pu profiter d’une subvention du Programme d’innovation en construction bois de la part du ministère des Ressources naturelles et des Forêts pour développer cette structure innovante.
Un autre aspect innovant de la toiture : tous les systèmes mécaniques et électriques ont été camouflés à même la structure en CLT, mettant davantage en valeur la beauté du matériau bois. D’ailleurs, elle présente des avantages intéressants en ce qui concerne l’acoustique, car le son se dissipe dans les plis. Un détail non négligeable considérant que le deuxième étage comprend des aires ouvertes.
En plus de la structure visible, la fondation privilégiée est elle aussi peu utilisée au Québec. « On a fait un radier coulé dans un coffrage isolant autour de la dalle de béton pour éviter les ponts thermiques », précise Thibaut Lefort.
Des économies énergétiques qui en valent la chandelle
Même s’il s’agissait du premier projet Passivhaus de BGLA, Dominique Laroche est convaincu qu’il est tout à fait possible de réaliser un projet passif à coût nul, comme c’est le cas ici. D’abord en réduisant la superficie du bâtiment et en l’optimisant, mais aussi en raison des économies d’énergie qu’un tel design permet d’obtenir.
« Aux États-Unis et en Europe, on construit des logements abordables Passivhaus. Donc il est faux de croire que c’est plus cher », fait valoir l’architecte, ajoutant que les soumissions obtenues pour l’hôtel de ville présentaient des coûts au mètre carré comparables à ceux des soumissions obtenues pour des projets d’école.
Selon la simulation des cibles énergétiques, qui comptabilise absolument tout, jusqu’au grille-pain dans la salle des employés, l’hôtel de ville de La Pêche devrait consommer annuellement environ 9 500 dollars d’électricité, comparativement à 26 000 dollars s’il avait été conçu de façon conventionnelle, donc une économie de 16 900 dollars par année.
Du côté des ingénieurs, il est également évident que la toiture en CLT du projet s’avère une façon économique d’obtenir de très grandes portées libres.
Dominique Laroche croit d’ailleurs que plus les performances Passivhaus seront exigées, notamment par le biais de l’exemplarité de l’État, plus il sera facile de concevoir des bâtiments passifs. « L’Institut Passivhaus est très exigeant concernant la certification des composantes, et il peut donc être difficile au Québec de trouver des produits adaptés », précise l’architecte. Il donne comme exemple les fenêtres, qu’il voulait en bois et aluminium afin de respecter le concept du projet où le bois est omniprésent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et qu’il a dû faire venir d’Europe.
« Il est important de diffuser que ça peut se faire à coût nul. Il n’y a que des avantages », estime-t-il.
Client : Municipalité de La Pêche
Architecture : BGLA
Génie structural : Latéral
Génie électromécanique : Pageau Morel
Consultation Passivhaus : Landmark Passivhaus et Construction Maison Passive
Certification Passivhaus : Peel Passive House
Construction : Ed Brunet et associés
Fourniture de la structure : Ambiance Bois (avec les produits de Nordic Structures)
- Toiture et planchers en panneaux en bois lamellé-croisé (CLT)
- Colonnes et poutres en bois lamellé-collé
- Isolation en cellulose soufflée
- Panneaux isolants en bois
- Revêtement en cèdre de l’Est
- Fenêtres en bois et aluminium certifiées Passivhaus
Passivhaus, ou « maison passive », est une norme énergétique qui a vu le jour en Allemagne. Depuis 30 ans, elle encourage la construction de bâtiments à la consommation énergétique pratiquement nulle, soit jusqu’à 90 % de moins. Une conception Passivhaus doit répondre à des exigences sévères en matière d’isolation thermique et d’étanchéité à l’air de l’enveloppe du bâtiment. Cela nécessite de porter une attention particulière à l’orientation du bâtiment, à l’apport solaire, à la ventilation, à la récupération de la chaleur ainsi qu’au choix des matériaux et des appareils ménagers.