Regard sur l’intégration de systèmes végétalisés en tant que composantes vivantes des bâtiments. Bénéfices et mode d’emploi.
C’est notamment le cas de Toronto, qui devient en 2009 la première ville d’Amérique du Nord à imposer la toiture végétale à toutes les nouvelles constructions de son territoire. Elle est bientôt imitée par Chicago et New York, qui offrent des crédits d’impôts et des congés de taxes aux propriétaires qui coiffent leurs édifices de tels toits. À Montréal, les arrondissements du Sud-Ouest et de Rosemont–La Petite-Patrie exigent depuis peu une toiture écologique, blanche ou verte, pour toute construction ou réfection majeure de toiture.
Même si ces initiatives sont louables, c’est encore trop peu pour l’architecte Owen Rose. « D’un côté, les villes veulent encourager la densité humaine, mais plus elles approchent de leur but, moins elles disposent d’espaces verts, note le fondateur de Rose Architecture. De l’autre, le changement climatique amène un lot de défis aux villes, qui doivent composer avec l’augmentation des événements climatiques extrêmes. Collectivement, je crois que la végétalisation représente une solution écologique qui mériterait davantage de place dans les bâtiments. »
Des bénéfices avérés
Président du conseil d’administration du Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM) de 2004 à 2014, Owen Rose a par ailleurs supervisé les quelques rares études québécoises sur les toits verts. Dont le mémoire de Sébastien Jacquet sur la performance énergétique d’une toiture expérimentale réalisée par le CEUM, présenté dans le cadre de la maîtrise en environnement à l’École de technologie supérieure (ÉTS). « On connaissait déjà les avantages des végétaux pour la biodiversité, la qualité de l’air, la gestion des eaux pluviales et la réduction des îlots de chaleur urbains, dit-il.
« Par contre, pour l’isolation thermique du bâtiment, on n’avait pas de données, poursuit l’architecte montréalais. La recherche a montré une diminution des gains de chaleur par la toiture de 86 à 98 % et une réduction des pertes de chaleur allant de 16 à 33 %. Juste pour la portion irriguée du toit, ça veut dire une réduction de 99 % de la demande en énergie de climatisation et de 38 % en énergie de chauffage. Au bout du compte, les économies ne sont pas énormes, parce que le toit ne représente pas une si grande surface. Mais ce n’est pas une question de sous, on végétalise parce que c’est beau. »
L’agronome Claude Vallée partage cette opinion. Professeur à l’Institut de technologie agroalimentaire (ITA), il souligne les effets psychophysiologiques de la végétalisation des bâtiments sur la chaîne de santé. « C’est prouvé scientifiquement, soutient-il. La présence de végétaux a des effets positifs sur la santé et le bien-être de l’homme. On le voit dans les centres urbains, où les surfaces bétonnées et artificielles occupent presque tout l’espace. Dès qu’on plante des végétaux, l’absentéisme chute et la productivité grimpe. Dans les hôpitaux, les taux de récupération sont meilleurs ; dans les écoles, les élèves sont plus attentifs. »
Planifier, c’est la clé
Pour que les plantes soient d’efficaces composantes actives du bâtiment, elles devront toutefois être planifiées dès la conception, comme tout autre élément de design, signale l’expert de l’ITA. Sur les toits ou sur les murs, à l’intérieur ou à l’extérieur, l’offre de systèmes et de végétaux est en effet vaste et leur choix dépend de plusieurs facteurs. Des facteurs parmi lesquels le budget, l’entretien, l’accessibilité, le type de support, mais aussi les objectifs visés, pèseront dans la balance. D’où l’importance d’une réflexion préalable afin d’établir les objectifs qui guideront le projet vers la réussite.
« Il faut commencer par se poser les bonnes questions, indique Marie-Anne Boivin, chef de produit et spécialiste des toits verts chez Soprema. S’agit-il d’un bâtiment neuf ou d’une réfection de toiture ? La capacité portante sera-t-elle suffisante ? Le toit sera-t-il accessible au public ? Il faudra poser un garde-corps de 42 pouces au périmètre du toit. Quel est le type d’aménagement souhaité ? Ornemental, avec fleurs et gazon, ou écologique, avec plantes indigènes ? Prévoit-on y pratiquer l’agriculture urbaine ? »
Elle rappelle du même souffle que la sélection de végétaux adaptés aux conditions difficiles que l’on trouve sur les toits – exposition aux vents dominants et au rayonnement solaire – est directement liée à la végétalisation réussie d’une toiture. Ainsi, en extensif, un système non irrigué et mince dont l’épaisseur varie de quatre à six pouces, on privilégiera surtout des vivaces adaptées à la sécheresse, comme des sedums, des graminées, des plantes indigènes. En semi-intensif, le substrat peut avoir jusqu’à huit pouces, il est irrigué et demande plus d’entretien. Par contre, il permet la plantation arbustive sur des bâtiments de 20 étages.
Des systèmes et des plantes
En intensif, on peut planifier un aménagement paysager où gazon, fleurs, arbustes et arbres se côtoient. Avec un substrat de un à six pieds, le toit intensif est toutefois plus lourd et plus coûteux que les autres systèmes. Et il demande autant d’entretien qu’un aménagement au sol. « Si les toits verts sont verts, c’est à cause des plantes, fait valoir Marie-Anne Boivin. Pour qu’ils restent verts, il faut quand même un minimum d’entretien. Il faut se rappeler qu’un toit vert est un endroit propice à la germination. En l’espace d’un été, il peut être envahi par des semences transportées par le vent. »
Si les mêmes conseils prévalent quant aux plantes destinées aux systèmes muraux, ces derniers exigeraient moins de précaution. « C’est facile de faire grimper une vigne vierge sur un mur de maçonnerie et ça coûte presque rien, mentionne Claude Vallée. Si la pierre et le mortier sont en bon état, il n’y a pas de risque d’endommager le revêtement. Il faut seulement contrôler la végétation autour des fenêtres et près des soffites. Il existe aussi des systèmes sur câbles ou sur grille pour les plantes qui ne sont pas pourvues de vrilles ou de ventouses. »
Il précise avoir utilisé de tels systèmes au pavillon écoresponsable du campus de l’ITA, à Saint-Hyacinthe, pour faire grimper des plantes sur un mur d’aluminium. « On trouve aussi des systèmes à caissettes, mais ils conviennent mieux aux annuelles, ils ne sont pas adaptés à nos climats. Même chose pour les systèmes hydroponiques extérieurs. Par contre, les systèmes muraux intérieurs sont au point et on en trouve toute une variété dans le marché. »
Dont des systèmes hydroponiques, où un substrat inerte – feutre ou laine de roche – maintenu humide offre un milieu de croissance favorable aux plantes. Des fibres naturelles, comme la sphaigne et la fibre de coco, peuvent aussi être utilisées. La difficulté étant de retenir le substrat, certains fabricants proposent des panneaux-pochettes fixés à un support mural, il suffit d’y glisser la plante. Il existe aussi des caissettes alvéolées pour contenir substrat naturel et plantes ou encore des supports de plastique pour accueillir les pots, un peu comme une bibliothèque.
« On commence aussi à voir des systèmes intérieurs qui combinent les fonctions de filtres végétal et biologique, rapporte Claude Vallée. Ils sont reliés au système de ventilation et l’air chemine à travers la membrane qui retient les plantes. On connaît depuis longtemps la capacité des feuilles et des racines à capter les contaminants présents dans l’air ambiant. Mais il y a aussi une multitude de microorganismes qui pullulent autour des racines et qui, eux aussi, respirent. Des recherches ont d’ailleurs montré qu’ils seraient les agents les plus efficaces pour la purification de l’air. »
Des guides et des normes
Quel que soit le système, le professeur suggère des plantes grimpantes ou à port tombant, histoire de camoufler le système. Il déconseille du même jet les assemblages hybrides, du genre cactus et fougère. « On choisit des plantes qui ont les mêmes besoins en eau, en lumière et en nutriments, dit-il. Je vois beaucoup de projets où les concepteurs mettent du vert sans vraiment comprendre ce qu’ils font. Pour qu’un projet de végétalisation soit bien intégré et, surtout, qu’il perdure, il vaut mieux s’en remettre à un spécialiste. »
Conseillère en toitures végétales pour Hydrotech, l’agronome Marjolaine Auger abonde dans le même sens. « Ce sont des points souvent négligés, confirme-t-elle. La composition du sol, par exemple, est aussi importante que le choix des plantes. Pour créer un environnement propice à la croissance des végétaux, elle doit se rapprocher le plus possible des conditions naturelles, sur les plans physique, chimique et biologique. Heureusement, il existe des guides, comme le FLL Green Roofing Guideline, et des normes américaines et européennes pour optimiser la conception. »
Les clés de la réussite
Autre facteur clé de la réussite d’un projet de végétalisation : l’implication du client. « Un toit vert sans entretien, ça n’existe pas, insiste Marjolaine Auger. Certains aménagements en extensif demandent très peu d’interventions, sauf en période d’établissement. Autrement, leurs besoins sont minimes, les plantes vont se débrouiller seules. Mais ça reste du vivant, il faut faire des tournées régulières pour désherber, remplacer des plants. Il arrive que des arbres, comme des saules, des peupliers s’implantent sur la toiture. Il faut y voir, car leurs racines peuvent endommager le système de toiture. »
Elle ajoute que la Régie du bâtiment du Québec, dans son nouveau guide technique sur la construction de toits verts, consacre par ailleurs tout un chapitre à ce sujet. On y indique entre autres qu’un programme d’entretien doit être élaboré par un spécialiste compétent. Ce programme doit prévoir d’une part la fréquence des visites d’entretien, les besoins en eau et en fertilisants des plantes, le désherbage, l’élagage mais aussi le remplacement des plantes pour maintenir le couvert végétal. Et d’autre part, l’inspection des éléments du bâtiment – drains, bordures, membranes.
Une initiative que salue Owen Rose, qui constate une évolution dans le paysage de la métropole. « On en voit surtout dans les grands projets de copropriétés ou sur les édifices institutionnels, mais aussi à plus petite échelle, sur des maisons individuelles, note-t-il. À Montréal, il n’y a encore aucun cadre réglementaire ni subvention, seulement un guide de conception. Mais ce n’est pas assez. Il faut une volonté politique pour que les toits verts deviennent la norme et avec eux, le développement d’une réelle économie verte. »
- Réduction des îlots de chaleur urbains
- Augmentation de la biodiversité
- Amélioration de l’isolation thermique du bâtiment
- Gestion des eaux pluviales
- Purification de l’air ambiant
- Milieu propice à l’agriculture urbaine
- Effets psychophysiologiques
Peu importe le projet de végétalisation, en toiture ou sur les murs, à l’intérieur ou à l’extérieur, voici les règles de base à respecter :
- sélectionner les plantes en fonction des conditions locales ;
- assurer une irrigation suffisante en période d’établissement ;
- choisir un substrat adapté aux besoins spécifiques des végétaux ;
- prévoir des entretiens réguliers.
Le Code de construction actuellement en vigueur n’encadrant pas la mise en place de toitures végétalisées, les professionnels qui désirent coiffer d’un tel toit un immeuble assujetti au Code doivent présenter une demande de mesures équivalentes à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ).
Dans le but de simplifier ce processus, la RBQ a établi les paramètres à respecter et a publié le guide Critères techniques visant la construction de toits végétalisés. Ainsi, une toiture végétale peut désormais être mise en place si toutes les conditions énoncées dans son ouvrage sont respectées. Elles concernent notamment les composantes requises, les charges structurales, la résistance au soulèvement attribuable au vent et à l’érosion, la protection incendie et l’entretien.
Le guide est disponible sur le site web de la Régie : www.rbq.gouv.qc.ca.