Le design des espaces intérieurs des bâtiments durables doit plus que jamais tenir compte du confort acoustique des occupants, qu’ils y habitent ou y travaillent.
Lutter contre le bruit n’est pas une mince affaire. Il ne suffit pas d’avoir quatre murs et une porte pour garantir la bonne acoustique d’une pièce et, du coup, assurer la quiétude de ses occupants. Loin de là, même. Car le son, tout comme l’eau, profite du moindre interstice pour se propager. Et comme les nuisances sonores peuvent émerger de toute part – sonneries, climatisation, circulation urbaine, chantiers de construction –, il faut jouer de diverses stratégies pour créer un climat acoustique satisfaisant.
Dans un immeuble d’habitation ou de bureaux, la conception des espaces intérieurs sera d’autant plus réfléchie que ces nuisances peuvent affecter aussi bien la santé que le bien-être des occupants. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas tant la source de bruit ni son intensité qui posent problème que la durée d’exposition à ce bruit et sa fréquence, qui peut être continue, variable ou intempestive. Un son intense mais prolongé sera ainsi plus néfaste pour l’ouïe qu’un son bref et intense.
Environnement hostile
« Au bureau, il y a peu de bruits intenses et constants, mais beaucoup de sons ambiants comme ceux produits par les équipements mécaniques ou provenant du centre de ressources techniques, observe Mélissa Lemaire, responsable du développement des affaires pour Steelcase. Mais ce qui dérange le plus, c’est la voix des autres personnes. L’humain est curieux de nature, il est porté à écouter les conversations et ça le distrait de sa tâche, en plus d’affecter sa concentration. »
Ce serait aussi la principale raison pour laquelle la plupart des gens ne supporteraient pas les milieux de travail à aires ouvertes. Une étude réalisée par Steelcase, en collaboration avec l’institut international Ipsos, s’est d’ailleurs attachée à explorer la relation entre l’engagement des employés de bureau et leur environnement de travail. Ses conclusions mettent en évidence les répercussions extra-auditives des environnements bruyants.
« Selon les experts, sans solution acoustique efficace, le bruit finit par compromettre l’engagement professionnel et nuire à la rentabilité de l’entreprise, résume Mélissa Lemaire. Un milieu de travail bruyant va en effet impacter négativement la productivité. Et l’employé moins productif sera aussi plus stressé. Il peut manifester des troubles du sommeil, voir sa capacité d’apprentissage réduite et son taux d’absentéisme grimper. Mais la réaction la plus courante face au bruit, c’est l’irritabilité. »
Confort durable
Avec la multiplication des aménagements à aire ouverte, ces effets indésirables risquent de devenir la norme en milieu de travail. Or, pour être vraiment durable, le bâtiment doit non seulement prendre en compte le confort thermique et visuel des occupants, mais également mettre en œuvre des solutions architecturales et techniques visant à limiter les nuisances sonores. À cet égard, le lancement à la fin mai de la version 2 de WELL Building Standard pourrait bien changer la donne.
Contrairement à LEED, qui met l’accent sur l’empreinte écologique du bâtiment, notamment en termes d’efficacité énergétique et de préservation des ressources naturelles, la certification WELL se soucie plutôt de la santé et du bien-être des utilisateurs. Pour être estampillé WELL, le bâtiment doit donc créer un environnement intégré qui améliore la nutrition, la forme physique, l’humeur, le sommeil et le rendement de ses occupants.
« WELL, c’est moitié aménagement, moitié bien-être individuel, lance Maude Pintal, chargée de projet en développement durable pour Ædifica. Son but principal est de créer des espaces de travail de qualité qui améliorent la productivité et l’engagement des individus à travers différentes catégories, soit l’air, l’eau, l’alimentation, la lumière, le design actif, le confort et l’esprit. Jusqu’ici, le son était compris dans la catégorie confort. Maintenant, il fait l’objet d’une catégorie à lui seul. »
Défis conceptuels
Elle ajoute que, en priorisant les aires ouvertes, la tendance qui prévaut actuellement en aménagement de bureaux pose d’importants défis aux concepteurs, qui doivent en outre composer avec l’omniprésence du béton et du verre, des matériaux durs et denses qui favorisent la réverbération des sons et compromettent le confort acoustique des lieux. Selon elle, pour concevoir des aires de travail fonctionnelles, il faut d’abord s’adjoindre les services d’un acousticien afin de détecter les sources de bruit et poser un diagnostic.
Une opinion que partage également son collègue Sylvain Hardy, directeur Environnement de travail pour Ædifica. « Ces espaces ouverts ne sont pas simples à aménager, cela demande une bonne planification, dit-il. Il faut entre autres créer des cellules fermées pour le travail collaboratif. On les aménagera de préférence au centre de la pièce, tandis que les aires ouvertes seront aménagées en périphérie afin qu’elles profitent de la lumière naturelle.
« On doit aussi bien choisir les matériaux et le mobilier, car ils ont leur rôle à jouer dans la qualité acoustique, précise-t-il. Pour les finitions, on va préférer les matériaux absorbants, comme des tuiles acoustiques au plafond et de la moquette au sol. On peut aussi utiliser des blocs de béton perforé. Le son va passer mais il ne rebondira pas. Par contre, comme le verre a un coefficient d’absorption très faible, il faut l’utiliser à bon escient et choisir un verre thermos dont le vitrage est d’épaisseur différente. »
Aménagement idéal
Pour les mêmes raisons, Sylvain Hardy déconseille le choix de mobilier avec surfaces de verre ou de métal et suggère du même souffle d’opter pour des éléments faits de bois ou d’un autre matériau absorbant. Et plutôt que de recourir à des cloisons acoustiques pour diviser l’espace, il recommande l’installation de panneaux à même les postes de travail. La tendance étant aujourd’hui aux tables alignées, ces diviseurs permettent de moduler l’espace, tout en créant une uniformité visuelle.
Quelles que soient les options retenues, l’aménagement idéal devrait empêcher de percevoir les conversations ambiantes, assure pour sa part Mélissa Lemaire, qui renvoie à la norme ASTM E1130 pour évaluer la confidentialité des pièces closes et des aires ouvertes. « Pour une aire ouverte, on recherchera un indice entre 80 et 95, indique-t-elle. Pour une salle fermée, le seuil sera de 95. En dessous de 60, c’est tout simplement inacceptable.
« Malgré l’évolution des connaissances, l’acoustique reste le parent pauvre du bâtiment durable, déplore-t-elle par ailleurs. Les sons se propagent comme l’eau, mais les designers ne le savent pas en général. C’est vraiment une lacune importante. On va mettre des millions sur des solutions acoustiques performantes, mais on va négliger de faire l’étanchéité au pourtour des portes, des plafonds, des planchers, des prises électriques et des commutateurs. »
Lutter contre les nuisances sonores affecte positivement la satisfaction des occupants.
- Augmentation de la concentration
- Rehaussement du niveau d’engagement
- Accroissement de la productivité au travail
- Amélioration du bien-être (cognitif, physique et émotionnel) et des interactions sociales
Voici, en trois points, l’ABC des solutions pour optimiser l’acoustique dans le bâtiment durable :
- A – Absorber les sons au moyen de matériaux absorbants, comme des panneaux et des tuiles acoustiques
- B – Bloquer les sons en érigeant des barrières physiques, comme des partitions entre les postes de travail ou des cloisons pour isoler le centre de ressources techniques (scanneur, imprimante, photocopieur), sans oublier l’étanchéité.
- C – Couvrir les sons en recourant au masquage sonore, c’est-à-dire en diffusant un son ambiant pour camoufler les différentes sources de bruit.
La certification WELL v2 établit de nouvelles directives en matière d’acoustique.
- Dresser une cartographie sonore : planifier l’aménagement et le zonage des lieux afin de réaliser un plan acoustique qui relève les sources de bruits internes et externes puis qui conçoit les mesures nécessaires pour les contrer.
- Respecter les seuils limites : spécifier des niveaux sonores maximaux, notamment pour les équipements de CVC, afin de renforcer le confort acoustique intérieur.
- Ériger des barrières antibruit : améliorer l’intimité des occupants en isolant les murs intérieurs ou en séparant les espaces de travail au moyen de cloisons acoustiques.
- Absorber le son : prendre en compte les temps de réverbération des matériaux et des surfaces pour concevoir des espaces de travail favorisant la concentration.
- Masquage sonore : recourir à un système de masquage sonore afin de couvrir les sons indésirables, comme les conversations ambiantes, les équipements mécaniques et autres nuisances sonores.
- Omettre de tenir compte de l’écoulement du son : planifier l’aménagement et le zonage des lieux afin de réaliser un plan acoustique qui relève les sources de bruits internes et externes puis qui conçoit les mesures nécessaires pour les contrer.
- Négliger l’absorption acoustique : spécifier des niveaux sonores maximaux, notamment pour les équipements de CVC, afin de renforcer le confort acoustique intérieur.
- Confondre masquage sonore et bruit ambiant : le masquage sonore est un bruit de fond non dérangeant qui se superpose aux sons ambiants pour améliorer le confort acoustique d'une aire ouverte. Le ronronnement des équipements mécaniques ne peut remplacer le masquage.