Les rejets thermiques d’un centre de calcul scientifique à haute densité seront bientôt valorisés dans un quartier en développement à Sherbrooke. Zoom sur l’exploitation d’une mine de chaleur.
Encore une fois, la loi sur la conservation de l’énergie est confirmée en science physique. L’énergie ne peut être créée ni détruite. Notamment en ce qui concerne l’énergie thermodynamique sous forme de chaleur, laquelle ne peut être que transformée.
Une des bases du projet Humano District, indique Matthieu Cardinal, vice-président Développement, chez Services immobiliers First, promoteur du projet à Sherbrooke, repose justement sur l’exploitation d’une boucle énergétique à partir des rejets de chaleur du futur centre de calcul hybride quantique Exaion du Groupe EDF. Celui-ci sera intégré dans l’ancien couvent des Petites Sœurs de la Saint-Famille au cœur de ce nouveau développement.
La vocation de ce centre de données écoresponsable est de contribuer à la décarbonation des services numériques grâce à la valorisation des rejets thermiques. Sa conception technologique, réalisée par Exaion en appliquant le savoir-faire du Groupe EDF, s’est faite en collaboration avec Énergère et l’Université de Sherbrooke. Christophe Rodrigues, directeur Innovation chez Exaion, indique que le nouveau centre de données effectuera de l’hybridation quantique, c’est-à-dire du calcul haute performance relié à distance à un ordinateur quantique d’IBM opéré par PINQ2 (Plateforme d’innovation numérique et quantique) à Bromont.
Développement durable innovant
Depuis quelques années, la conception des projets résidentiels a pris la tangente de l’efficacité énergétique et du développement durable à la plus faible empreinte environnementale possible. Surtout depuis la promotion de l’exploitation de l’énorme potentiel des rejets de chaleur industriels au Québec.
Des études ont d’ailleurs déjà démontré que 98 % des rejets thermiques issus des activités industrielles et autres au Québec permettraient à eux seuls de chauffer l’ensemble de la province. Une situation presque comparable à celle de l’Islande qui exploite à fond la géothermie résultant de son activité volcanique.
Situé au pied de la future Réserve naturelle universitaire du Mont-Bellevue et à proximité d’un pôle universitaire, le projet Humano District s’intègre dans la zone d’innovation quantique sherbrookoise qui lui donne des atouts pour en faire un développement vert innovant. Il explorera ainsi de nouvelles avenues technologiques, tout en mettant en valeur le développement durable et la protection du patrimoine naturel, culturel et bâti. La pierre angulaire de ce projet repose sur l’aménagement d’un centre de calcul Exaion dans l’ancien gymnase situé au rez-de-chaussée de l’aile est du couvent.
Le chargé de projet affecté à la conception architecturale des bâtiments du projet chez GMAD, Éric Lay, rappelle que plusieurs choix de mesures permettent d’optimiser leur performance énergétique et de réduire leur impact environnemental lors de la conception. Outre le choix de matériaux durables et écoresponsables, il mentionne l’importance de la qualité de l’enveloppe du bâtiment pour son isolation thermique et son étanchéité, et l’installation de systèmes électromécaniques à haut rendement pour le chauffage et la climatisation.
Récupération de chaleur
Dans son prospectus, le promoteur prévoit adopter diverses mesures visant à « conserver le caractère naturel d’origine du site et y intégrer un système innovateur et durable de gestion et d’utilisation des rejets thermiques ». Il précise que le mode d’opération du centre de calcul hybride quantique Exaion n’a rien à voir avec un projet de minage de données, spécialement en ce qui concerne la densité d’énergie utilisée par des machines de calcul de très haute performance.
Contrairement à une ferme de minage de données très énergivore et refroidie par un immense débit d’air pour évacuer la chaleur à l’extérieur, le centre de données scientifique Exaion sera refroidi en circuit fermé à l’eau à l’aide d’échangeurs à plaques dans des bacs d’immersion. Un choix justifié par la taille réduite des équipements de calcul nécessitant une consommation moindre d’énergie (entre 600 et 800 kW dans une petite superficie de bâtiment) et l’utilisation de l’eau comme véhicule caloporteur jugée plus performante que l’air.
Directeur de projet chez Énergère, Hugues-Antoine Dubé mentionne par ailleurs qu’un deuxième système à l’air (rack de serveur standard) refroidi au CO2 s’ajoutera à des refroidisseurs à sec standards.
Le système au CO2 enverra sa chaleur dans la boucle par l’entremise d’un échangeur à plaque eau-CO2.
L’ensemble de la boucle de chaleur sera supporté par un système hydronique alimenté par des pompes à chaleur dans une boucle d’eau mitigée de 5e génération entre 15 et 37 degrés Celsius, un système, qui, de surcroît, permet d’échanger la chaleur de chaque unité branchée à la boucle.
Concrètement, la chaleur récupérée sera dirigée prioritairement durant les saisons froides soit vers le réseau de chauffage à l’eau chaude, soit vers le réseau de préchauffage de l’eau chaude domestique. En été, la chaleur captée sera dirigée vers des condenseurs adiabatiques à l’extérieur, soit l’équivalent des condenseurs des systèmes de thermopompe résidentiels.
Autre particularité, chaque unité résidentielle du futur développement reliée à la boucle énergétique sera pourvue de sa propre thermopompe. « Une solution propre qui apportera beaucoup de confort et de flexibilité aux occupants », au dire de Hugues-Antoine Dubé.
La boucle énergétique implantée dans Humano District s’étendra sur un circuit d’environ 1 000 mètres (aller-retour). La chaleur récupérée servira en priorité à chauffer l’ancien couvent, les unités de logements et autres locaux aménagés, ainsi que les futures phases du projet d’habitation, et ce, à l’intérieur des infrastructures existantes ou à venir. Une redondance des systèmes de chauffage sera tout de même assurée par la chaudière au gaz naturel et/ou électrique de la chaufferie existante annexée au couvent. Les condenseurs extérieurs, eux, seront localisés derrière le centre de calcul afin de minimiser les impacts sonores dans le nouvel environnement bâti.
Développements à venir
Les premiers jalons de cette boucle de chaleur devraient être livrés quelque part à l’automne 2024, coïncidant avec la livraison des premières unités aménagées dans le couvent. À lui seul, l’ancien couvent comporte 250 000 pieds carrés de plancher répartis sur cinq étages. Parallèlement, d’autres immeubles de plus de 18 logements et/ou de typologie variée seront construits et branchés à la boucle. Essentiellement, les unités résidentielles en location comprendront un forfait tout inclus pour les locataires.
Précisons que la récupération de chaleur prévue avec le centre de calcul hybride quantique Exaion devrait combler la quasi-totalité des besoins de chauffage et de climatisation de la première phase du projet. Suivant la demande d’énergie requise pour les phases ultérieures du développement, le promoteur pourrait compléter son offre d’énergie par l’agrandissement de sa boucle énergétique avec l’ajout d’autres fournisseurs de rejets de chaleur industriels, ou autres, à proximité dans sa zone, ainsi que par l’ajout de solutions géothermiques dans une structure de sol favorable en roc et/ou de solutions s’articulant autour de l’énergie solaire.
Tout compte fait, au stade initial de ce développement, le promoteur et les concepteurs du projet estiment que la récupération de chaleur escomptée avec la stratégie de développement et le déploiement d’un système de boucle de chaleur permettraient de réduire de 350 tonnes les émissions de gaz à effet de serre. De quoi décarboner dès le départ la construction des nouveaux bâtiments.
- Promoteur : Services immobiliers First
- Partenaire financier : IPSO FACTO
- Partenaire technologique : Exaion du Groupe EDF (centre de calcul)
- Développement et mise en marché : D’ICI 2031
- Architecture : GMAD (nouveaux immeubles) | Zarate Lavigne (conversion du couvent)
- Génie civil et structural : St-Georges Structures et Civil
- Génie mécanique et construction de la boucle énergétique : Énergère
- Génie électrique : CIMA+
- Construction : Gerpro
Un projet de valorisation de rejets thermiques (VRT) nécessite que soient réunis trois joueurs autour de son déploiement, dont au moins une source de rejets thermiques.
« Les rejets thermiques peuvent notamment provenir d’une usine, d’un centre de données, d’un incinérateur ou d’un réseau d’égout municipal », souligne Stéphan Gagnon, spécialiste en VRT au Bureau de la transition climatique et énergétique (BTCE) du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.
Il note qu’au BTCE, le centre de données a été reconnu comme étant un donneur universel. Pourquoi ? Tout simplement parce que là où il n’y a pas de rejets thermiques, on peut amener un exploitant de centre de données à s’établir au sein d’un développement immobilier, comme ce fut le cas pour le projet Humano District.
« L’autre partie, c’est celle qui a des besoins thermiques, indique Stéphan Gagnon, pour chauffer de grands bâtiments commerciaux ou institutionnels, des immeubles résidentiels haute densité, des hôpitaux ou des serres. »
Le troisième joueur qui entre en jeu est le distributeur. Il peut s’agir de l’organisation qui génère les rejets de chaleur, de celle qui en a besoin, ou d’une tierce partie – une municipalité ou une entreprise privée. Agissant également à titre de promoteur du projet, il voit à capter les rejets thermiques, puis à les distribuer via un réseau de canalisation jusqu’au client.
Soulignons que le gouvernement du Québec dispose d’un nouveau programme pour favoriser la valorisation de rejets thermiques. Doté d’une enveloppe de 215 millions de dollars, il permet de financer la réalisation d’études de faisabilité et de soutenir la réalisation de projets.
- Réduction de consommation d’énergie conventionnelle et d’émission de GES
- Valorisation des rejets thermiques propres et renouvelables
- Exploitation technologique apportant beaucoup de confort et de flexibilité aux résidants
- Réduction de l’empreinte carbone du nouveau quartier
- Création d’une zone d’innovation offrant beaucoup de potentiel de développement futur
- Densification d’un pôle majeur de déplacement urbain autour d’un réseau routier et de sentiers cyclo-pédestres qui assure la mobilité ainsi que la connexion avec la future Réserve naturelle universitaire du Mont-Bellevue et l’Université de Sherbrooke.
- Localisation : sur le site de la communauté des Petites Sœurs de la Sainte-Famille dans l’arrondissement des Nations de la ville de Sherbrooke, en bordure de la rue Galt Ouest, du campus de l’Université et de la future Réserve naturelle universitaire du Mont-Bellevue
- Superficie du terrain : 25 acres, dont 10 acres cédés à la Ville pour usage public et 15 réservés au développement du nouveau quartier
- Bâtiments à construire : 600 nouvelles unités d’habitation multifamiliales, plus 150 unités dans l’ancien couvent et quelques immeubles commerciaux pour des commerces de proximité
- Typologie des immeubles : bâtiments mutirésidentiels, commerciaux et à usage mixte
- Investissement : 120 millions de dollars pour les bâtiments et 20 millions pour la boucle énergétique