Par Elizabeth Pouliot
En mai dernier, la Ville de Montréal annonçait un objectif ambitieux, celui de rendre son parc immobilier à zéro émission de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2040, devançant ainsi ses plans de 10 ans. Comment se concrétisera ce grand projet vert et comment influencera-t-il les futurs projets immobiliers de la métropole ?
Collaborant avec Hydro-Québec et étant soutenue en partie par le gouvernement du Québec, la Ville de Montréal tentera donc de réduire de 55 % la consommation d’énergie fossile de ses bâtiments, nouveaux et anciens, par rapport à 1990, et ce d’ici les 18 prochaines années. Pour ce faire, de nouvelles réglementations devront être adoptées. « Ces dernières permettront, dans un premier temps, de cesser d’ajouter des émissions dans les bâtiments neufs et, dans un deuxième temps, de s’assurer qu’il y aura une décroissance des émissions dans les bâtiments existants », explique Marikym Gaudreault, attachée de presse du comité exécutif au cabinet de la mairesse de Montréal.
Ce grand projet vert se déclinera donc en deux phases, la première concernant les nouveaux bâtiments et la seconde la conversion des bâtiments existants. Il s’agit d’abord d’imposer « un seuil de performance zéro émission pour les nouvelles demandes de permis de construction, dès 2024 pour les bâtiments de moins de 2000 m2 et dès 2025 pour ceux de 2000 m2 et plus. Il y aura des consultations publiques en 2022 sur le nouveau règlement et on vise une entrée en vigueur dès 2024-2025 », rapporte Marikym Gaudreault. Ces consultations définiront des seuils de performance à atteindre dans le but que « l’ensemble des bâtiments de Montréal soient alimentés à 100 % d’énergies renouvelables en 2040 », résume l’attachée de presse.
Trop ambitieux ?
Une telle feuille de route a de quoi en rendre certains sceptiques. Qui plus est avec le manque de main-d’oeuvre et la pénurie de matériaux qui sévissent. « Mais la Ville a quand même bien étalé la chose, ça m’apparaît à premier abord raisonnable de le faire ainsi », soutient Francis Pronovost, ingénieur et expert-conseil de l’énergie et du bâtiment chez Écobâtiment.
Mais est-ce que le plan de la Ville touchera seulement l’énergie ? « Pour le moment, notre feuille de route concerne effectivement l’alimentation des bâtiments et l’atteinte de la carboneutralité de ceux-ci, mais nous continuons de suivre les innovations technologiques dans le marché et nous pourrons aussi analyser le tout lors des consultations publiques », affirme Marikym Gaudreault. Francis Pronovost, lui, espère que la Ville en profitera pour aller plus loin. Car retirer les chaudières de gaz naturel a comme conséquence, bien entendu, l’augmentation de la consommation d’hydroélectricité.
Et c’est bien connu, les fameuses périodes de pointe requièrent certaines acrobaties de la part d’Hydro-Québec. « C’est impératif de prendre d’autres mesures, des mesures d’efficacité énergétique. Parce qu’en période de pointe, pour fournir nos réseaux, ça pourrait obliger à produire de l’électricité très couteuse avec des centrales thermiques, comme au gaz naturel. C’est bien de passer à l’électrique, mais il ne faut pas non plus grossir le problème de la pointe de demande. » Une solution pourrait être, croit Francis Pronovost, des mesures de limitation de la pointe, dont on peut déjà être témoin dans les grands édifices. « Il y a des technologies qui, par exemple, s’il fait -30 degrés et qu’on est en période de pointe, gèrent quels appareils électriques sont en fonction dans l’édifice, de façon à ce que tout ne fonctionne pas nécessairement en même temps, parce que ce n’est pas toujours nécessaire. »
Des réactions favorables
Acteurs cruciaux du bâtiment, le neuf comme celui à rénover, les entrepreneurs de la construction seront directement impactés par la feuille de route de la Ville de Montréal. À l’Association de la construction du Québec (ACQ), on a accueilli plutôt favorablement la nouvelle annoncée en mai dernier. « De façon générale, pour l’industrie de la construction, ça correspond aux orientations qu’on s’est données en matière de construction durable. On est sur la même page que la Ville sur ce plan », indique Guillaume Houle, responsable des affaires publiques à l’ACQ. Il pose toutefois un bémol : « On attend impatiemment de voir les détails de la politique. Il va falloir aussi tenir compte du contexte économique et du contexte de la pénurie de main-d’oeuvre. Car on va avoir besoin de main-d’oeuvre supplémentaire pour effectuer ces travaux demandés par la Ville. »
À l’Hôtel de ville, on se fait rassurant et on mise sur la bonne marche des consultations publiques à venir à l’automne 2022. « Elles permettront de définir plusieurs choses, dont le rythme d’application des différents seuils de performance GES selon les secteurs et types de bâtiments, les considérations patrimoniales, de design, de couts et d’équité sociale, etc. Cette période consultative nous permettra de prendre tous les facteurs en compte pour que le déroulement et l’adoption du règlement se fassent en collaboration avec les différents acteurs, dont les entrepreneurs », assure l’attachée de presse Marikym Gaudreault.
Du côté de l’expert-conseil Francis Pronovost, on espère que la feuille de route de la Ville amènera de l’eau au moulin pour adopter de nouvelles pratiques. « Ça pourrait être des mesures d’encouragement pour que les entrepreneurs en chauffage et en climatisation puissent avoir des pratiques élargies d’efficacité énergétique et mieux cerner ce qui se passe dans le bâtiment. On entre dans une grosse campagne d’actions, ça vaut la peine de mettre de l’argent pour augmenter les compétences de tous en même temps. » Et malgré les inquiétudes de certains et une augmentation probable des travaux afin d’atteindre les seuils qui seront fixés à l’automne, Francis Pronovost est persuadé que, autant pour la Ville que pour les entrepreneurs, le temps jouera en leur faveur, le calendrier de réalisation s’étendant, rappelons-le, jusqu’en 2040.
À ne pas confondre avec Écohabitation, Écobâtiment est un organisme de Québec oeuvrant autant en institutionnel et en commercial qu’en résidentiel. Celui-ci contribue à la transformation du milieu bâti réduisant ainsi son impact sur l’environnement. Il offre donc de l’accompagnement et de la formation, en plus de promouvoir le bâtiment durable. S’il travaille davantage auprès des promoteurs, des grandes institutions, des municipalités et des ministères, il accompagne aussi des particuliers pour des projets de maisons unifamiliales.