La mouvance en faveur des critères d’investissement ESG pousse le secteur du bâtiment à adopter des pratiques axées sur le bien commun. Bienvenue dans le monde des entreprises B Corp.
Le président de TST, Benoît Beauchamp, n’est plus en demande seulement pour l’expertise et les services en efficacité énergétique et en développement durable qu’il propose à ses clients. Depuis quelques mois, son réseau d’affaires le questionne de plus en plus sur un nouveau logo apparu sur son site web : B Corp. « Les gens nous félicitent et nous disent qu’ils y réfléchissent aussi. Si on peut être un exemple pour les autres, tant mieux », dit-il fièrement.
B Corp (pour Beneficial Corporation) est une certification qui existe depuis près de 20 ans, mais qui fait depuis peu une percée dans le secteur du bâtiment et l’industrie de la construction. Les B Corps ou B Corporation agissent dans l’intérêt public général. Elles se définissent par leur conviction qu’une entreprise doit non seulement générer des profits, mais aussi des bienfaits pour la société et l’environnement. La certification repose sur un ensemble de principes fondamentaux qui guident les entreprises vers des pratiques commerciales socialement et environnementalement responsables.
Concrètement, la certification B Corp évalue les entreprises selon des critères rigoureux portant sur cinq domaines principaux : la gouvernance, les employés, l'environnement, les clients et la communauté. Les entreprises doivent répondre à des normes élevées en matière de transparence, de responsabilité et de performance sociale et environnementale. Bref, elles doivent démontrer, preuves à l’appui, qu’elles joignent véritablement le geste à la parole.
« Dans l’ESG, il y a l’environnement, le social et la gouvernance, Dans le bâtiment, on a le réflexe d’être dans le « E » surtout. B Corp nous amène plus loin », souligne Josée Lupien, présidente et cofondatrice de Vertima, une firme spécialisée notamment dans les certifications environnementales. Elle même une B Corp, Vertima accompagne maintenant les entreprises qui souhaitent le devenir.
Benoît Beauchamp explique de son côté que son équipe et lui ont commencé à réfléchir à la certification B Corp il y a environ deux ans et demi. Ils ont mis un an à obtenir la certification, finalement délivrée en janvier 2023. Et bien que la démarche soit exigeante, il en constate déjà les bénéfices.
« Pour nous, c’est une manière de s'aligner avec nos valeurs et notre mission et nous voyons des avantages tangibles, notamment en termes de recrutement, de sélection de clients et de motivation de l'équipe », précise le président de TST.
Il aura fallu beaucoup d’effort cependant, car on ne devient pas B Corp du jour au lendemain. Étant déjà une entreprise dont la mission est liée aux enjeux de transition énergétique, TST partait avec une longueur d’avance.
Même chose pour Construction Longer, qui a obtenu sa certification en 2023, mais travaillait déjà depuis quelques années à diminuer la quantité de déchets sur ses chantiers et à réduire son empreinte carbone. En s’appuyant sur la norme BNQ 21000, l’entreprise était parvenue à détourner 2 300 tonnes de déchets des sites d’enfouissement. « Les équipes embarquaient, indique la directrice de projet Julie Fouquet, alors on a voulu aller plus loin et étendre ça à l’ensemble de l’entreprise. »
L’effet B Corp
Ils observent tous un intérêt croissant pour cette certification dans toute la chaîne d’approvisionnement du secteur, comme un effet domino. Partenaires, fournisseurs, clients… Les critères B Corp impliquent nécessairement une cascade de changements qui finit par atteindre tout le secteur afin de se qualifier.
« La certification B Corp est souvent recherchée pour répondre aux attentes des investisseurs et des institutions financières axées sur les critères ESG, souligne Jean-Michel Champagne, professeur à HEC Montréal, spécialisé dans les stratégies de responsabilité sociale des entreprises. Mais B Corp peut aussi être un moyen pour elles de saisir des opportunités, telles que le recrutement plus facile et la création d'une image de marque positive. »
Le professeur fait remarquer que bien que la certification B Corp puisse potentiellement influencer les relations avec les créanciers et les assureurs, il n'y a pas encore de preuves concrètes montrant que les entreprises certifiées obtiennent de meilleurs taux ou conditions d’emprunt. La certification B Corp, dit-il, doit être intégrée dans une stratégie d'entreprise globale pour être efficace, plutôt que d'être traitée comme un simple outil de marketing.
« C’est vu comme un moyen pour les entreprises de démontrer leur engagement envers la durabilité et la responsabilité sociale, précise-t-il, mais l’impact réel dépend de son intégration dans la stratégie d'entreprise et de son utilisation pour répondre aux attentes des différentes parties prenantes. »
Pour Julie Fouquet, le jeu en vaut la chandelle en raison des avantages que la certification offre en matière d'attraction des talents, de nouveaux marchés et de partenariats. « C’est un investissement qui en vaut la peine à long terme, car elle attire les jeunes générations, motive et mobilise les équipes et ouvre de nouvelles occasions d’affaires pour les clients.
Avant d’entreprendre une démarche, il est essentiel de voir ce que l’on fait de bien déjà, souligne-t-elle. « Notre certification ISO 9001 nous a aidés beaucoup là-dedans, puis toutes nos pratiques de gestion axées sur le bien-être des équipes et l’entretien de bonnes relations avec les clients, par exemple. B Corp amène à penser toutes nos décisions, quelles qu'elles soient, en faveur de la pérennité. »
La certification B Corp trouve son origine aux États-Unis en 2006, lors de la fondation de l'organisation à but non lucratif B Lab. Son objectif principal était de promouvoir une nouvelle forme de capitalisme axée sur le bien-être social et environnemental, en reconnaissant et en encourageant les entreprises qui intègrent des considérations sociales et environnementales dans leur modèle économique. Aujourd’hui, plus de 6 200 entreprises, dans 87 pays et 159 secteurs d’activité, sont certifiées B Corp. Au Québec, on compte quelque 126 entreprises certifiées, tout juste derrière la Colombie-Britannique (137) et l’Ontario (157), selon la Banque de développement du Canada (BDC).
Pour obtenir la certification B Corp, les entreprises doivent d'abord remplir un questionnaire détaillé en ligne, évaluant leur impact global. Ensuite, elles doivent passer par un processus d'évaluation plus approfondi mené par B Lab, comprenant une évaluation de leur performance sociale et environnementale à l'aide d'une série d'indicateurs standardisés. Une fois certifiées, les entreprises doivent être réévaluées tous les trois ans pour maintenir leur statut de B Corp.
Pour devenir une B Corp certifiée, une entreprise doit suivre plusieurs étapes :
- Évaluation : l'entreprise commence par remplir une évaluation en ligne appelée l'Impact Assessment, développée par B Lab. Cette évaluation mesure la performance de l'entreprise dans cinq domaines clés : gouvernance, communauté, environnement, clients et travailleurs. Les entreprises sont évaluées sur une série de critères spécifiques à chaque domaine.
- Score minimum requis : pour être admissible à la certification, une entreprise doit obtenir un score minimum sur l'Impact Assessment. Le score minimum varie en fonction de la taille et du type d'entreprise, ainsi que de la région géographique dans laquelle elle opère. Le score minimum est généralement d'au moins 80 points sur une échelle de 200.
- Vérification : une fois que l'entreprise a terminé l'évaluation et obtenu un score suffisant, elle doit passer par un processus de vérification. Un organisme tiers agréé vérifie les réponses de l'entreprise à l'évaluation pour s'assurer de leur exactitude et de leur conformité aux normes de B Lab.
- Engagement : en signant la Déclaration d'Interdépendance, l'entreprise s'engage à utiliser ses activités commerciales comme une force positive pour le bien commun. Cela implique un engagement à respecter les normes élevées de performance sociale et environnementale.
- Certification : après avoir réussi la vérification et signé la Déclaration d'Interdépendance, l’entreprise reçoit la certification B Corp. Cela lui donne le droit d'utiliser le logo B Corp sur ses produits et documents marketing, et elle est répertoriée.