Les immeubles québécois qui afficheront leur consommation d’énergie et leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) sont appelés à avoir la cote.
Un système obligatoire de divulgation de données et de cotation énergétique des bâtiments sera plus tôt que tard mis en place au Québec. Le ministre québécois de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, a d’ailleurs récemment confirmé son intention de déposer un nouveau projet de loi portant notamment sur les règles et mesures visant la décarbonation des bâtiments.
La démarche de transition, d’innovation et d’efficacité énergétiques enclenchée ces dernières années au Québec repose jusqu’à présent sur des mesures volontaires pour le secteur immobilier, renchéries par des aides financières. Personne n’est encore en mesure de préciser avec exactitude quand se fera le déploiement d’un système de divulgation et de cotation énergétique en sol québécois.
L’ingénieur Jean-Philippe Hardy, directeur - Bâtiment chez Dunsky Énergie + Climat, se dit toutefois convaincu que le Québec est engagé dans cette voie. « Ça fait partie du Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques du Québec pour l’année 2022-2023, avec un déploiement en 2025-2026 pour les grands bâtiments commerciaux ». Il rappelle que la Ville de Montréal a déjà annoncé au printemps 2022 la mise en place d’un système de cotation et divulgation des émissions de GES pour les bâtiments de plus de 2 000 mètres carrés, avec obligation de performances graduelles menant à la carboneutralité opérationnelle en 2040.
Globalement, résume-t-il, c’est un système dont le concept est assez simple et qui vise l’atteinte de plusieurs objectifs :
- Obtenir des données fiables sur le portrait énergétique et des émissions de GES des bâtiments;
- Sensibiliser les propriétaires et utilisateurs des bâtiments sur leur performance énergétique et leurs émissions de GES en leur fournissant une base de comparaison avec leurs pairs;
- Mettre en place une structure légale permettant de réglementer la performance énergétique et de GES des bâtiments existants, et de fournir aux propriétaires des cibles concrètes et prévisibles à long terme.
Un tel système existe déjà aux États-Unis et en Europe. Il peut être basé sur les émissions de GES, comme celui en développement à la Ville de Montréal, ou sur la performance énergétique des bâtiments, sinon sur une combinaison des deux.
Comme l’explique Jean-Philippe Hardy, la divulgation des données de consommation énergétique par le propriétaire se fait à l’aide d’un outil informatique colligeant certaines données de base du bâtiment (emplacement, vocation, superficie, consommation d’énergie, etc.). « On ne peut pas comparer un hôpital avec une tour de bureaux ou un entrepôt, dit-il. Il faut aussi tenir compte des différences dans la météo entre Montréal et la Côte-Nord. »
« Le calcul d’une cote de performance se fait à partir des données fournies, précise-t-il, en permettant de comparer la performance énergétique du bâtiment avec la performance des autres bâtiments similaires (cote typiquement basée sur la consommation/ émissions par superficie de plancher – kWh/m2 ou GES/m2). La cote peut être numérique (ex. : 1-100 à Washington DC) ou alphabétique (ex. : A-G en Europe). »
Quant à savoir à quelle fréquence les propriétaires seront tenus d’effectuer des audits énergétiques pour déterminer des pistes d’amélioration de leurs bâtiments, les intervalles peuvent varier énormément. Toutefois, le spécialiste de Dunsky se montre rassurant. « Une tendance semble émerger dans ce qui se fait aux États-Unis, où des audits énergétiques seraient exigés seulement pour les bâtiments les moins performants afin de réduire le fardeau sur les bâtiments performants et d’aider les moins performants à déterminer les solutions à mettre en place. »
Balbutiements d’un moteur de changement
La difficulté que semble poser l’instauration d’un tel système, aux yeux de François Dussault, directeur Efficacité énergétique chez Ambioner et président du Conseil québécois des entreprises en efficacité énergétiques (CQ3E), c’est le caractère éventuellement obligatoire avec pénalité. C’est très compliqué à mettre en œuvre.
« On n’en est qu’aux balbutiements avec le Règlement sur la divulgation et la cotation des émissions de GES de la Ville de Montréal déjà en vigueur. Il serait intéressant de connaitre l’avis des propriétaires d’immeubles à ce sujet. Est-ce qu’il y a de la grogne ou du scepticisme dans le milieu immobilier quant à la pertinence d’un tel système, questionne-t-il ? S’agit-il d’une paperasse de plus ou est-ce bien reçu dans le marché ? »
Quoi qu’il en soit, François Dussault se dit très favorable à un système qui s’intéresserait aussi bien à la performance énergétique qu’aux émissions de GES. À terme cela peut constituer un élément attractif pour la clientèle et facilitateur dans la recherche de financement pour des projets d’efficacité énergétique et de décarbonation de bâtiments.
François Dussault cite l’exemple d’implantation d’un tel système dans un parc de cinq écoles d’un centre de services scolaire québécois par Ambioner. Sans aucune obligation légale, dans ce cas-ci; seulement avec l’intention d’être proactif dans le contrôle de leurs émissions de GES et de leurs performances énergétiques. Pour lui, la collection et la divulgation des données ne sont pas une finalité en soi, car il faut que les informations colligées servent à quelque chose et permettent d’aller plus loin dans le processus d’amélioration des performances. Plus loin, donc, que l’obligation de divulgation des données.
Composer avec la conjoncture
L’ingénieur Bruno Meunier, vice-président des opérations chez Kevric, est plutôt circonspect quant à l’implantation d’un tel système dans la conjoncture économique actuelle. Même s’il croit en la carboneutralité et que ça va arriver un jour, il demeure sceptique devant les divers paliers de gouvernements qui ne s’entendent pas sur les objectifs et les délais pour les atteindre. Après la crise de la pandémie qui a touché durement les propriétaires et gestionnaires d’immeubles, ce qui les préoccupe maintenant c’est de ramener les gens dans les immeubles. C’est aussi de devoir investir dans la décarbonation des bâtiments en espérant accroitre les taux d’occupation.
« Si on veut inciter les propriétaires d’immeubles à décarboner leurs bâtiments, souligne-t-il, il va falloir avoir de bons programmes de subventions étant donné que le cout du capital présentement monte plus rapidement que les revenus. C’est d’ailleurs ce qui fait hésiter les propriétaires à investir de grosses sommes d’argent pour décarboner. »
François Dussault précise, à cet égard, « que les règles du marché locatif ont un effet pervers puisque, dans les cas de baux nets, le propriétaire ne capture généralement pas les économies d'énergie récurrentes pour faciliter le financement des projets d'investissement en décarbonation ».
Indéniablement, il faudra un ensemble de conditions favorables, notamment que tous les paliers de gouvernement s’entendent pour fixer des objectifs réalistes. « Est-ce que l’on peut se fixer de petits objectifs précis aux deux ou trois ans, se demande Bruno Meunier ? » Ça aiderait les propriétaires et gestionnaires à mieux planifier leur stratégie d’investissement. Ce n’est pas le cas en ce moment, avec les différentes cibles des paliers gouvernementaux.
Bruno Meunier convient d’emblée qu’il est avantageux monétairement parlant pour les propriétaires de réaliser des projets d’efficacité énergétique dans leurs immeubles. En consommant moins d’énergie, ça permet du même coup de réduire leurs couts d’opération et de décarboner en partie leurs immeubles.
« En somme, conclut-il, ça ne pose pas trop de problèmes pour les grands propriétaires et gestionnaires comme Kevric, qui réalisent des projets d’économie d’énergie depuis des années; on a les moyens de payer des consultants en efficacité énergétique. Pour les petits et moyens propriétaires, il y a toujours le Défi énergie en immobilier de BOMA Québec qui peut leur être très utile, en leur fournissant des trucs pour commencer à décarboner leurs bâtiments sans trop d’investissements. »
- Référencement à des indicateurs fiables et comparables
- Prévisibilité des cibles à atteindre pour les propriétaires
- Effet d’entrainement en rendant les informations publiques
- Mise en valeur des bâtiments efficaces et décarbonés auprès des clients, locataires et investisseurs
- Facilité de financement des projets énergétiques et de décarbonation
BOMA Québec a lancé en 2018 un projet pilote de divulgation volontaire des données de consommation d’énergie dans le cadre du déploiement de son Défi énergie en immobilier (DÉI). Il entend dorénavant jouer un rôle de premier plan afin de contribuer à l’atteinte des objectifs de décarbonation des immeubles commerciaux, institutionnels et mutirésidentiels au Québec avec son DÉI 2.0.
Le Défi utilise la plateforme Energy Star Portfolio Manager pour mesurer et suivre la performance énergétique des immeubles. Il permet aussi de comparer les progrès des bâtiments d’une année à l’autre. Cet outil, simple, gratuit et disponible en ligne, permet d’inscrire les données de consommation d’énergie pour suivre la consommation d’électricité, de gaz naturel et d’eau ainsi que l’émission de gaz à effet de serre d’un immeuble. Cette collecte se fait de façon anonyme et sans lien avec la cote Energy Star.