Les cibles d’efficacité énergétique et de décarbonation posent un défi incontournable aux professionnels du bâtiment : la quête d’une enveloppe haute performance.
Il n’est pas question ici d’une enveloppe idéale applicable à tous les bâtiments neufs et existants. Aucune enveloppe ne peut être parfaite, ni répondre à tous les besoins et à toutes les configurations. Et pour cause, l’enveloppe ne peut suffire à elle seule pour remédier à tous les problèmes environnementaux intérieurs et extérieurs des bâtiments. Que ce soit en termes d’efficacité pour assurer la santé et le confort des occupants ou pour réduire son empreinte écologique dans l’environnement bâti. Elle fait partie d’un système holistique, au même titre qu’un corps humain, avec toutes ses composantes, évoluant dans son environnement.
Comme l’indiquent les professionnels consultés pour ce dossier, il n’y a pas de recette miracle non plus. Ce n’est pas qu’une question d’isolation d’enveloppe. Ni un secret bien gardé ! La notion d’enveloppe haute performance découlerait, d’une part, de la nécessité de l’adapter aux nouvelles exigences d’efficacité énergétique des codes du bâtiment et de l’énergie et, d’autre part, d’apporter une solution aux problèmes des changements climatiques auxquels les bâtiments contribuent largement par leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).
Une équation triangulaire
Pour l’architecte, chercheur et enseignant de longue date Richard Trempe, « la conception d’une enveloppe haute performance doit reposer sur une équation triangulaire entre l’efficacité énergétique, l’empreinte écologique et le coût. Ce triangle-là n’est pas facile à équilibrer, prévient-il. Parce que plus on intègre des matériaux, même si on obtient une meilleure performance, plus l’empreinte sera importante en émissions de GES si l’on tient compte de l’énergie intrinsèque utilisée pour leur fabrication, leur transport et leur assemblage en chantier ».
Dans les analyses de cycle de vie de projets par des spécialistes, remarque-t-il, les matériaux et la construction d’un bâtiment génèrent souvent entre 60 et 70 % des émissions de gaz à effet de serre dès le départ. En comparaison, l’exploitation et l’entretien du même bâtiment sur une période de 60 ans comptent pour moins de la moitié de ses émissions. « C’est pour ça, insiste-t-il, que le choix des matériaux revêt une très grande importance. »
« C’est sûr que les matériaux biosourcés pourraient s’imposer davantage a priori, enchaîne Richard Trempe, en raison de leur nature et de leur fabrication par rapport à d’autres matériaux fabriqués à partir de composés fossiles. Mais ce n’est pas seulement une question de choix de matériaux. Ça dépend aussi de l’efficience générale de l’enveloppe, dont les propriétés des matériaux et leur capacité isolante, entre autres. On comprend que ça prend un certain rendement pour que le matériau soit jugé efficace. »
Et quel argument faudrait-il servir à ceux qui oseraient prétendre que le bâtiment le plus écologique serait celui que l’on ne construirait pas dans un esprit de simplicité volontaire ? Richard Trempe acquiesce à la simplicité, mais pas à tout prix.
À son avis, la situation actuelle est très paradoxale. « Je dirais que le meilleur bâtiment écologique serait peut-être celui construit selon les principes qui tiennent compte de la compacité, des angles dans sa configuration, de la volumétrie, des aires d’implantation, etc. Oui, on a plein de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques de construction, de nouveaux codes, mais on construit super complexe. Regardez ce qui se construit actuellement, on n’y va pas de façon simple. Je trouve qu’on est perdant dans un sens, à cause de la simplicité qu’on a perdue. »
Pour lui, le plus important reste le principe de base d’une conception d’enveloppe plus simple qui reprend parfois les principes de cache thermique ou d’inertie, des éléments du passé que l’on a oubliés. Il prêche donc pour un retour aux sources de la conception architecturale, tout en préconisant l’utilisation des nouveaux outils de simulation qui permettent aujourd’hui de concevoir des enveloppes performantes et durables. Non seulement ces outils offrent de meilleures chances de succès par l’apport des détails dans la conception des enveloppes, mais ils permettent aussi de simuler leurs performances à long terme en démontrant comment elles vont perdurer dans le temps.
Au-delà de la conception
La démarche de conception d’une enveloppe performante et la moins carbonée possible est valable aussi bien pour les bâtiments existants que pour les bâtiments neufs. Elle doit reposer également sur un contrôle de la qualité de toutes les composantes au moment de la mise en service de l’enveloppe.
Ce processus fortement recommandé par la directrice Consultation et mise en service chez la firme UL, Julie Trottier, pose les prémisses de l’entretien du bâtiment dès la conception par les professionnels, et ce, en collaboration avec le propriétaire et, si possible, en incluant le personnel d’exploitation et d’entretien du bâtiment.
« Au-delà de la recherche de la pérennité absolue de l’enveloppe, dit-elle, la considération du carbone suscite une réflexion supplémentaire pour les nouvelles constructions, notamment en ce qui concerne la réutilisation des matériaux dans une éventuelle démolition. » Il en va de même pour les bâtiments existants à rénover. Il faut d’abord et avant tout mesurer la performance existante afin de mieux planifier et bonifier la performance en lien avec l’impact carbone. Il est essentiel de trouver un équilibre dans les interventions pour obtenir une meilleure performance et durabilité tout en tenant compte de l’empreinte carbone.
Compte tenu des contraintes réglementaires du nouveau Code de l’énergie en vigueur, il n’y a pas de doute que la performance de l’enveloppe est intimement liée à la performance énergétique et à la réduction de l’empreinte carbone. Julie Trottier rappelle à cet effet qu’une enveloppe résiliente et durable doit être adaptée à son climat en considérant tous les facteurs susceptibles d’influencer sa performance, tels l’orientation du bâtiment, son exposition aux éléments, ses ouvertures, son isolation, la synergie avec la mécanique, sa consommation énergétique, ses usages, son occupation et le niveau de confort recherché. Tout compte fait, ces considérations permettent de mieux choisir les assemblages appropriés au besoin, sans excès ni déficit.
Une démarche concertée
La démarche de conception d’une enveloppe haute performance ne peut se faire en silo. Elle doit nécessairement impliquer des échanges intégrés avec tous les acteurs concernés par la conception et la construction du bâtiment, y compris les concepteurs des systèmes électromécaniques. « Par le passé, souligne l’ingénieur James Gabriel, de la firme Dupras Ledoux, il y avait moins de volonté précise de certains propriétaires quant au choix du système électromécanique. On se rabattait fréquemment sur la solution commerciale qui se prêtait le mieux à la réalisation de leur projet. Aujourd’hui, avec l’entrée en vigueur des nouveaux codes, on n’a plus d’autre choix que de considérer la performance énergétique et le choix du système mécanique. »
Il ne peut donc y avoir de raccourci, ni de compromis. « C’est important de se parler avant de commencer à dessiner la première ligne, indique-t-il. C’est important que l’on fasse des simulations. C’est important que l’on voie où dépenser l’argent et où ça va apporter le plus de valeur au bâtiment. Ce n’est donc pas juste une question de mettre plus d’isolant possible ou d’installer la meilleure mécanique possible. »
En ce moment, on parle beaucoup de décarbonation des bâtiments. Même le public en général s’en préoccupe. James Gabriel est d’avis que cette situation exerce une pression sur les constructeurs et promoteurs pour mieux bâtir. « Ils n’ont plus d’autre choix que d’écouter et de trouver le juste équilibre entre faire de l’architecture comme elle a toujours été faite et s’allier à une mécanique performante. Il y a un équilibre important à trouver si on veut que les projets soient rentables économiquement. »
Qu’il s’agisse de conception d’une enveloppe haute performance ou d’un système électromécanique hautement efficace au plan énergétique et à la plus faible empreinte carbone possible, l’industrie n’a plus tellement le choix et doit suivre la parade. Selon lui, les gens trouvent souvent injuste l’application d’un nouveau code de l’énergie plus sévère qui les oblige à remettre en question leurs modèles standardisés ou leurs façons de travailler. Mais son application est au moins juste et applicable à tous. C’est ce qui lui fait dire qu’il faut que ça passe par la réglementation, sans viser des groupes précis ou des types de bâtiments particuliers.
En fin de compte, estime Richard Trempe, l’ensemble des acteurs du secteur du bâtiment québécois n’en est qu’aux balbutiements en matière de conception d’enveloppe haute performance, en comparaison avec les avancées en Europe et dans l’ouest du pays. Il y aurait donc du rattrapage à faire à la faveur de l’exemplarité du secteur public.
- Donne une vision globale du projet, sa durée de vie et son impact dans l’environnement
- Permet une meilleure planification des interventions en termes d’entretien et d’investissement
- Anticipe la récupération et la réutilisation des matières en fin de vie
- Ne pas tenir compte des conséquences sur l'empreinte environnementale lorsque l'on choisit la quantité et le type d'isolation
- Compenser des faiblesses de l’enveloppe par l’ajout de matériaux ou de mesures électromécaniques
À coup sûr, au cours des dix prochaines années, en regard des futures modifications plus sévères prévisibles qui seront apportées aux prochaines versions des codes du bâtiment et de l’énergie, des pressions sociales pour inciter les propriétaires et exploitants à décarboner les bâtiments, ainsi que de l’obligation pour ceux-ci de déclarer leurs émissions de GES.