Incursion au cœur du concept d’un immeuble de logements communautaires écoénergétique innovant qui misera notamment sur la valorisation des rejets thermiques d’un centre de glaces voisin.
L’Albédo. Voilà le nom d’un bâtiment écologique qui, comptant 128 unités d’habitation communautaire destinées à des personnes âgées à faible revenu ainsi qu’un centre de la petite enfance, s’élève aujourd’hui sur l’avenue Roland-Beaudin à Québec. Et il a vu le jour dans la foulée d’un projet qui, piloté par l’organisme à but non lucratif La Bouée, visait à insuffler à ce bâtiment de 12 étages une résilience absolue en misant sur l’autonomie et l’efficacité énergétique, tout en minimisant son empreinte carbone.
Selon Réjean Boilard, coordonnateur général chez Action-Habitation de Québec, l’organisme-conseil qui a accompagné La Bouée dans ses démarches de conception et de réalisation du projet, L’Albédo génèrera de multiples retombées environnementales. « L’Albédo s’inspire de l’approche du Conseil québécois des entreprises en efficacité énergétique, le CQ3E, soit la réduction de la consommation d’électricité qui repose sur la récupération d’énergie, l’électrification judicieuse avec l’utilisation de thermopompe géothermique et la gestion de la puissance électrique en misant notamment sur le stockage d’énergie. »
Projet démonstratif
Le concept de L’Albédo met en valeur ses composantes structurales et architecturales d’étanchéité et d’isolation de l’enveloppe, y compris un indice solaire passif estimé en conséquence. Il mise sur de nombreuses composantes électromécaniques assurant une grande autonomie et une efficacité énergétique optimale à l’immeuble, grâce notamment à l’apport des rejets de chaleur d’un bâtiment voisin, le Centre de glaces Intact Assurance. Une stratégie qui est combinée à une alimentation géothermique performante pour le chauffage et la climatisation, ainsi qu’à une électrification intelligente réduisant les pointes de consommation à l’aide d’une batterie et utilisant au besoin une génératrice au gaz naturel pour les événements de grande demande de puissance d’Hydro-Québec.
En outre, le concept se démarque par ses choix de matériaux qui estompent davantage son empreinte carbone. Ce qui en fait, sur papier, un bâtiment des plus résilients sur le plan environnemental et lui vaut la reconnaissance par la Société d’habitation du Québec du statut de projet de démonstration. Bref, il deviendra un point de mire et de rayonnement dans le secteur du multilogement social et communautaire.
Concevoir et construire un immeuble multiétage dans un espace circonscrit, quel qu’il soit, pose évidemment des défis d’ordre structural, énergétique et environnemental. Et le projet L’Albédo n’y échappe pas, comme en témoigne Élodie Simard, chargée de projet pour la firme Lafond Côté architectes. « Le plus gros défi à relever est composé d’un amalgame de contraintes et d’exigences à respecter entre les besoins du programme de construction, les dimensions du site et tous les éléments mécaniques intégrés au projet, et ce, tout en assurant la qualité du bâtiment, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. »
À titre d’exemple, elle mentionne que le bâtiment est implanté sur un site occupé à 85 ou 90 %. « Tous les éléments qui ressortaient dans le projet entraient en conflit avec le stationnement souterrain. Par exemple, on n’était pas en pleine terre pour l’installation d’une génératrice. On aurait pu l’installer au toit, mais ça aurait coûté plus cher. » Il a finalement été possible d’installer la génératrice au gaz naturel à l’extérieur au niveau du sol, tout en la reliant au réseau d’alimentation électrique et en l’équipant d’un dispositif de récupération de chaleur pour alimenter le système de chauffage de l’immeuble.
Il y a aussi le revêtement extérieur en panneaux d’aluminium conçus en trois formes (convexes, concaves et plats) et développés par sa firme. Avant de les fabriquer, il a fallu en évaluer les performances et les résistances à l’aide de tests en simulation chez UL à Varennes, incluant la pose des attaches de fixation pour éviter les ponts thermiques. « Leur installation ne laissait aucune place à l’erreur, ajoute-t-elle, compte tenu de la dimension et du positionnement très précis de chaque panneau. »
Le choix des matériaux est entré en ligne de compte pour limiter au maximum l’empreinte carbone du bâtiment. « Pour la structure, confie-t-elle, le béton représente la plus grosse facture de carbone avec un volume d’environ 7 150 mètres carrés. Heureusement, Béton provincial a participé à notre recherche et nous a produit un rapport final des émissions de GES pour la fabrication et la mise en place du béton. »
Résultat de ce choix : une réduction de 14 % des émissions d’éq. CO2 pour les divers mélanges utilisés. Tout compte fait, la déclaration environnementale de produit du fournisseur établissait que la cible moyenne maximale de 300 kg/m3 d’éq. CO2 a été atteinte avec une moyenne de 276 kg/m3 d’éq. CO2.
Électromécanique optimisée
Les composantes électromécaniques du projet contribueront largement à son succès. Le conseiller en projets spéciaux et réseaux d’énergie de quartier chez Poly-Énergie, Claude Routhier, parle d’une combinaison gagnante sur tous les plans.
D’abord, en alimentation électrique, grâce à une entrée intelligente de type micro-réseau pouvant gérer l’énergie fournie par le réseau d’Hydro-Québec, de même que celle d’une batterie électrique et celle d’une génératrice au gaz naturel qui peut assurer une résilience énergétique complète du bâtiment. Il précise à ce propos que la batterie électrique est utilisée tous les jours de la semaine pour éviter la facturation d’un appel de puissance trop élevé par Hydro-Québec, autant en été qu’en hiver. Elle pourrait éventuellement gérer les batteries électriques des véhicules lorsque la plupart de celles-ci pourront s’intégrer à une alimentation bidirectionnelle.
Ajouté à cela : l’apport de l’énergie fournie en chauffage-refroidissement par des pompes à chaleur reliées à un champ géothermique (36 puits de 525 pieds installés sous le bâtiment). Une performance bonifiée par les rejets thermiques récupérés du centre de glaces, lesquels représenteraient plus de 700 000 kWh de chaleur excédentaire sur une base annuelle.
En plus de la batterie électrique dont le bâtiment est équipé, la récupération de chaleur du centre de glaces vise à augmenter progressivement la température du champ de forage géothermique de plusieurs degrés. Cette contribution énergétique créerait ainsi une sorte de batterie de réserve de chaleur pouvant accroître le coefficient de performance (COP) des appareils d’un niveau 3 jusqu’à un niveau 5, par exemple.
« Ça ne prend pas une grande différence de température pour améliorer la performance énergétique des pompes à chaleur, explique Claude Routhier. On a quelques exemples de bâtiments où la température de leur champ de forage a augmenté jusqu’à 16 et même 20 degrés Celsius grâce à des rejets de chaleur importants. Ça peut faire une grosse différence par rapport aux 8 degrés de base du sol. »
Une performance d’autant plus intéressante, selon lui, que cet appoint de chaleur permettra éventuellement de produire de l’eau chaude domestique sans débalancer l’équilibre des températures de sol dans les forages. « Grâce à la récupération de chaleur du centre de glaces, on a pu mettre en place un système qui chauffe l’eau domestique de façon plus écologique et efficace pour l’ensemble de l’immeuble, car on peut compter sur la chaleur accumulée dans notre champ géothermique et sur la récupération de chaleur du système de réfrigération du centre de glaces. On n’a pas besoin de recevoir constamment la chaleur excédentaire de ce dernier parce que l’augmentation ciblée de la chaleur du champ de forage nous permettra d’obtenir un meilleur coefficient de performance tout au long de l’année. »
Toutes les solutions mises en place sont évidemment combinées à d’autres solutions efficaces sur les plans énergétique et carbonique. Que ce soit en ce qui concerne le confort de la température ou la qualité de l’air. Quant aux émissions de gaz à effet de serre du seul équipement fonctionnant à une source d’énergie fossile, le spécialiste tient à préciser que la génératrice de grande puissance utilisée n’a pas été installée pour garantir avant tout la résilience. C’est plutôt pour répondre aux exigences de la pompe incendie requise pour ce type de bâtiment multiétagé. Quand celle-ci n’est pas en fonction, elle permet d’alimenter en électricité et en chaleur tous les logements et les aires communes du bâtiment en plus d’assurer le chauffage de l’eau domestique, que ce soit lors d’une panne sur le réseau électrique ou lors d’un événement de grande demande de puissance d’Hydro-Québec.
- Propriétaire l’OBNL : La Bouée
- Organisme accompagnateur : Action-Habitation de Québec
- Architecture : Lafond Côté architectes
- Architecture de paysage : Duo Design
- Génie civil et structure : CIME Consultants
- Génie électromécanique : Genecor/Poly-Énergie
- Entrepreneur général : Concrea
- Consultant - étanchéité et ISP : Écohabitation
- Société d’habitation du Québec
- Société canadienne d’hypothèques et de logement
- Ville de Québec
- Hydro-Québec
- Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles
- Implantation sur un site exigu à proximité du Centre de glaces Intact Assurance
- Structure en béton à plus faible émission de CO2, avec armature en acier recyclé
- Enveloppe étanche et superisolée, incluant des fenêtres à triple vitrage à faible émissivité
- Matériaux de finition minimisant les émissions de carbone (fabrication, transport)
- Réduction des ponts thermiques (balcons/dalle, ouvertures et enveloppe)
- Toiture végétale inversée assurant une isolation et une imperméabilité supérieures
- Grands balcons en demi-cercle adaptés aux périodes d’ensoleillement
- Pare-soleil horizontaux et verticaux réduisant le rayonnement solaire
- Gestion des déchets et des eaux pluviales
- Implantation d’un champ géothermique sous le bâtiment
- Création d’une batterie géothermique pour optimiser l’efficacité énergétique des pompes à chaleur
- Utilisation d’une batterie électrique et de disjoncteurs intelligents évitant les demandes de puissance
- Récupération et valorisation de la chaleur des compresseurs du centre de glaces
- Production d’eau chaude domestique centralisée
- Installation d’une génératrice CHP au gaz naturel pour la pompe incendie, l’électricité de base et d’urgence ainsi que le chauffage d’appoint centralisé
- Récupération de chaleur durant les périodes intermédiaires (renversement saisonnier)
- Zonage des pièces pour la distribution de chauffage/climatisation dans les logements
- Utilisation d’un ventilo-convecteur/échangeur d’air enthalpique placé à l’extérieur de chaque logement facilitant l’entretien
- Utilisation d’un échangeur d’air enthalpique pour les aires communes avec roue thermique
- Optimisation des niveaux d’éclairage et luminaire DEL
Selon Denis Boyer, coordonnateur en efficacité énergétique chez Écohabitation, la simulation énergétique du bâtiment L’Albédo a permis d’estimer à 24 kWh/m2 la demande de chaleur requise pour un tel bâtiment en tenant compte de l’efficacité thermique des fenêtres et des systèmes mécaniques ainsi que des pertes potentielles de chaleur par l’enveloppe et la ventilation. Pour obtenir cet Indice solaire passif (ISP), le nombre de kWh/m2 nécessaire pour chauffer le bâtiment doit être inférieur à 50.