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Le palais de justice de Montmagny agrandi et rénové

12 avril 2017
Par Rénald Fortier

L’agrandissement et la rénovation majeure du palais de justice de Montmagny : une transformation durable imprégnée d’histoire et tournée vers l’avenir. En équilibre.

Conjuguer le passé au présent, voire au futur. Voilà le défi qu’entreprend de relever l’équipe de professionnels de l’architecture et de l’ingénierie réunie par la Société québécoise des infrastructures (SQI), au printemps 2012, autour de la transformation du Palais de justice de Montmagny. Une démarche qui doit s’inscrire dans une perspective durable, de surcroît, avec l’obtention d’une certification LEED-NC dans la mire [certification, niveau Certifié, obtenue en janvier 2017]. 

Le projet, alors évalué à 31,2 millions de dollars – il en coûtera deux millions de moins au final – vise à moderniser les installations qui logent cet établissement judiciaire de la Côte-du-Sud, à l’est de Québec, de même qu’à pratiquement doubler la superficie des lieux en la portant à 4 410 mètres carrés. Une cure majeure, donc, qui s’impose pour répondre aux exigences contemporaines de fonctionnalité et de sécurité.    

La tâche est loin d’être mince, d’autant plus qu’elle enjoint aux concepteurs de restaurer et de mettre en valeur le palais de justice d’origine qui, construit en 1865, est l’un des 13 exemplaires de bâtiments identiques construits au Québec au cours du 19e siècle. « Nous avions pour objectif de conserver le volume central et de dépouiller tout ce qui avait été ajouté par la suite et qui venait un peu dénaturer ce petit bijou », explique Guillaume Morest, chez CCM2 architectes. 

C’est que de nouvelles ailes étaient venues se greffer au palais de justice initial, au fil des décennies, de sorte que les concepteurs ont dû procéder par élimination. Du côté ouest, une addition venait imiter le volume central, tandis que de l’autre, soit au niveau de l’aile de détention, on y retrouvait un langage complètement différent. Finalement, on a démoli au-delà de 80 % des installations alors en place pour en venir à une refonte substantielle s’articulant autour du bâtiment d’origine. 

Le volume original de 950 mètres carrés a été conservé, donc, et on a procédé à un agrandissement de 3 400 mètres carrés, le tout réparti sur deux étages. C’est à l’arrière que la nouvelle construction a majoritairement pris forme, là où on a créé un axe nord-sud traversant de l’avant du bâtiment existant vers la nouvelle entrée, ceci dans le but d’y faciliter la circulation. 

Toute la façade arrière originale est mise en valeur dans la salle des pas perdus, au deuxième étage. Au niveau du rez-de-chaussée, il y a tout le volet services publics, soit la greffe et une salle d’audience civile. À l’étage, on retrouve les salles d’audience jeunesse et criminelle. On a fait de l’ancienne salle d’audience une salle d’attente publique située directement au centre du bâtiment existant. 

L’agrandissement, lui, loge trois salles d’audience ainsi que des espaces pour l’aménagement de tous les services et bureaux essentiels à la bonne marche d’un palais de justice du 21e siècle. Des espaces fonctionnels et confortables qui, soulignons-le, font la part belle à la luminosité naturelle. 

Mise en valeur patrimoniale

C’est par le désamiantage et la démolition de deux ailes qu’on a amorcé les travaux, mais on a procédé en portant une attention particulière à la récupération des matériaux. « Sur les ailes qui ont été démolies, indique Guillaume Morest, on a conservé la pierre pour la réutiliser dans la composition de la place publique arrière et dans la composition des bancs, par exemple. » 

En somme, on a tout mis en œuvre pour conserver la façade du bâtiment existant telle quelle et la maintenir dans son originalité. Pour ce qui est des revêtements intérieurs, on a dégarni les nombreux finis accumulés au fil des ans qui cachaient la pierre de moellon originale. Cette pierre a été restaurée dans l’objectif de la mettre de l’avant en lien avec la présence de bois, intégré au nouveau projet. 

« On est venu embrasser le bâtiment existant d’une part et, d’autre part, on est venu créer un cadre contemporain autour d’une architecture plus traditionnelle, souligne l’architecte de CCM2. C’était là notre façon de mettre en valeur ce corps central. Sa volumétrie d’origine dans une différenciation dans la matérialité. On a donc une pierre calcaire volume d’origine, qui est d’un gris pâle, tandis que l’agrandissement est habillé d’un revêtement de terre cuite gris foncé. 

« Il y avait aussi une volonté de garder le tout le plus simple possible, ajoute-t-il, sans que la chose ne devienne banale pour autant. En somme, on voulait garder le tout le plus épuré possible pour que les éléments punchés soient la présence du bois et de la pierre à l’intérieur.» 

La présence de l’édifice existant a demandé quantité de prouesses techniques dans l’intégration des murs de maçonnerie. C’est par l’ajout d’une structure de béton se mariant admirablement bien avec la maçonnerie déjà en place qu’on a ceinturé le bâtiment central, la volonté étant de le mettre en valeur via l’architecture contemporaine, tout en sécurisant l’édifice en cas de séisme.  

À l’intérieur, une mise aux normes s’est également imposée au niveau des fermes de bois. « Nous avons intégré une structure contemporaine dans la toiture en pente du bâtiment central. C’est avec l’ajout de platelage de bois en recouvrement de la structure qu’on a pu redonner une présence accrue au plafond, précise Guillaume Morest, tout en s’assurant de garder tous les éléments mécaniques absents autant que possible. » 

Une réalisation performante

Si le palais de justice de Montmagny agrandi et rénové se distingue sur le plan architectural, il en est de même sur celui de la performance énergétique. C’est que la firme d’ingénierie Stantec a vu à concevoir et à appliquer les stratégies électromécaniques les plus efficaces possible, un défi de taille étant donné que l’on doublait pratiquement la superficie de l’édifice. Et l’enveloppe budgétaire n’était pas illimitée. 

Ainsi, on a implanté 14 puits de géothermie qui sont couplés à deux thermopompes eau-eau de 46,5 kilowatts chacune, produisant l’eau chaude desservant le système principal de ventilation et le chauffage radiant dans certaines sections de plancher. Une nouvelle chaudière électrique de 144 kW sert de système d’appoint. 

Pour le traitement terminal, des thermopompes eau-air sont raccordées sur une boucle d’eau mitigée. Elles sont pour la plupart installées dans les entreplafonds. Afin de bien intégrer le système à l’architecture comprenant de nombreux murs en bois ou en toile, aucun équipement ne devait être apparent, constituant ainsi une autre grande complexité de ce projet. 

« Nous avons mis en place 45 thermopompes eau-air, d’une capacité moyenne de 6,3 kilowatts, pour chauffer ou climatiser l’ensemble des espaces, note Gérald Boily, directeur Expertise, bureau de Québec, chez Stantec. Elles puisent ou rejettent la chaleur dans la boucle d’eau au besoin, selon que l’on soit en chauffage ou en refroidissement. » 

L’ingénieur indique que l’air neuf est alimenté par un système qui dessert l’ensemble du bâtiment et préchauffé au moyen d’une roue thermique qui récupère environ 75 % de l’énergie de l’air vicié évacué. « On complète le traitement de cet air neuf avec un serpentin de chauffage à l’eau glycolée », précise-t-il. 

Le nouveau palais de justice de Montmagny, on le voit, est le fruit de l’intégration de nombreuses stratégies éconergétiques. Et écologiques aussi.

Équipe du projet

Client : ministère de la Justice

Gestionnaire de projet : Société québécoise des infrastructures

Architecture, architecture de paysage et expertise LEED : Les architectes du Palais (consortium CCM2 architectes + Groupe A + Les Architectes Odette Roy & Isabelle Jacques)

Génie électromécanique : Stantec

Génie structural et civil : CIMA+

Gérance de construction : Decarel

 

En chiffres
  • 94 % Détournement des résidus de chantier de l’enfouissement
  • 35 % Réduction de la consommation énergétique par rapport au bâtiment de référence du CMNÉB – 1997
  • 31 % Réduction de la consommation d’eau potable par rapport aux exigences du système d’évaluation LEED

 

Mesures durables
  • Détournement des résidus de chantier de l’enfouissement
  • Conservation du bâtiment patrimonial d’origine
  • Sauvegarde de 118 vieux radiateurs de fonte (achetés et revalorisés par ÉcoRad)
  • Réintégration dans le projet de 6 radiateurs de fonte après leur conversion à l’électricité
  • Désamiantage du bâtiment existant
  • Réintroduction d’une structure de toiture en bois lamellé-collé ainsi que d’un pontage en bois dans les aires d’attente et la salle des pas perdus
  • Matériaux à contenu recyclé (28 %) et de provenance régionale (33 %)
  • Finis architecturaux à faible émissivité de composés organiques volatils
  • Utilisation de bois certifié FSC (76 % du volume utilisé)
  • Apport important de luminosité naturelle
  • Installation d’appareils de plomberie à faible débit
  • Aménagement d’une section de toiture végétalisée (15 %) et d’une autre pourvue d’une membrane blanche (60 %)
  • Réduction du nombre de cases de stationnement et des surfaces dures extérieures
  • Aménagement d’une vaste place publique 
  • Implantation de bornes de recharge pour les véhicules électriques
  • Aménagement d’espaces de stationnement réservés au covoiturage
  • Rétention des eaux de ruissellement au moyen des bacs des plantations de la place publique
  • Réemploi de pierres de taille des façades dans la composition du mobilier urbain
  • Mise en place de supports à vélo sous une grande marquise et à proximité de l’entrée principale
  • Aménagement paysager sans irrigation
  • Et autres

 

Stratégies éconergétiques
  • Amélioration de l’isolation des murs, du toit, de la dalle sur le sol et des murs de fenestration
  • Amélioration de la fenestration (fenêtres doubles à faible émissivité avec argon)
  • Récupération de l’énergie contenue dans l’air vicié évacué au moyen d’une roue thermique pour préchauffer l’air neuf (efficacité de 75 % de la roue thermique)
  • Possibilité de contourner la roue thermique pour faire du refroidissement gratuit lorsque la température de l’air extérieur le permet
  • Contrôle du débit d’air neuf de certaines pièces à l’aide de sonde de CO2 
  • Utilisation de variateurs de vitesse sur le système d’apport d’air neuf du bâtiment
  • Centralisation des contrôles du bâtiment pour assurer une optimisation du fonctionnement des systèmes CVCA et électrique du bâtiment
  • Réduction de l’intensité de l’éclairage des locaux et contrôle de celui-ci selon l’occupation (détecteur de présence et système de contrôle centralisé)
  • Recours à un système géothermique comportant 14 puits, couplés à deux  thermopompes eau-eau (46,5 kW chacune), pour le chauffage et le refroidissement de l’air frais et de la boucle d’eau mitigée desservant les thermopompes eau-air
  • Ventilation et climatisation des locaux du bâtiment par l’entremise de 45 thermopompes eau-air (capacité de 6,3 kW en moyenne)
  • Mise en place d’une boucle d’eau mitigée dans laquelle les thermopompes eau-air puisent ou rejettent de la chaleur ou du froid
  • Installation d’un plancher radiant dans le secteur cellulaire et dans la zone logeant les bureaux des juges
  • Utilisation d’une chaudière électrique (144 kW) pour combler les besoins en chauffage lorsque les puits de géothermie ne suffisent pas à la demande. Cette chaudière a la capacité pour répondre à l’ensemble des besoins de chauffage si la géothermie était hors d’usage. 
  • Utilisation de pompes primaires à débit variable
  • Installation d’unités de climatisation dédiées aux salles informatiques ou de télécommunication 
  • Mise en place d’un éclairage extérieur aux diodes électroluminescentes
  • Et autres

 

Solution éclairée

L’éclairage, éconergétique il va de soi, joue un rôle de premier plan dans le design du nouveau palais de justice de Montmagny. C’est qu’en plus de répondre à des besoins fonctionnels et sécuritaires, il y est également utilisé pour diriger les usagers du bâtiment dans leurs déplacements ainsi que pour délimiter les espaces.

« Dès qu’on entre dans le bâtiment, donne en exemple l’architecte Guillaume Morais, une ligne lumineuse fluorescente nous guide vers un escalier monumental. De là, il y a ce flux lumineux qui zigzague avec l’escalier et qui nous accompagne jusqu’aux aires d’attente. »

Le concept, développé de concert avec LumiGroup, fait en sorte que cette même ligne lumineuse permet aussi de tracer une frontière entre l’espace public et l’espace réservé à la magistrature dans les salles d’audience. « C’est une stratégie qui fait que l’éclairage devient perpendiculaire aux gens, précise Guillaume Morais, et marque ainsi une délimitation entre les espaces publics et privés, comme c’est aussi le cas au comptoir du greffe. »

 

Récupération et réemploi

Le respect du patrimoine bâti a poussé l’équipe de projet à porter une attention toute particulière à la récupération, à la restauration et au réemploi de matériaux et d’équipements. Ainsi, le parement extérieur en pierre calcaire a été nettoyé et rejointoyé, sans compter que de la pierre de taille provenant des ailes démolies a été conservée pour être réintroduire dans la composition du mobilier de la place publique.

Un autre exemple ? Plutôt que de disposer des 118 vieux radiateurs de fonte de l’ancien palais de justice vers la filière du recyclage du métal, l’équipe de projet a décidé de les diriger vers ÉcoRad, entreprise de Saint-Jean-Port-Joli qui a vu à les revaloriser en vue d’un même usage. Six de ces radiateurs ont d’ailleurs été réinstallés dans les salles d’attente du nouveau palais de justice après avoir été convertis à l’électricité.

 

Requalification urbaine

Le projet de rénovation et d’agrandissement du palais de justice de Montmagny aura été l’occasion de repenser les abords de ce bâtiment en bonifiant le programme de référence par la création d’une place publique se posant comme une amorce de requalification urbaine.

« Dans le programme initial, il était prévu qu’il y aurait le palais de justice et son immense stationnement, explique l’architecte et designer urbain Érick Rivard, associé de Groupe A. On a réussi avec le client à diminuer l’espace de stationnement pour proposer plutôt une immense place publique qui vient faire finalement le pont entre l’entrée du palais de justice et le centre-ville de Montmagny. »

La façade principale de l’édifice ne fait désormais plus dos à la ville, la nouvelle entrée étant clairement orientée vers son centre, côté nord. « Ainsi, dit Érick Rivard, le bâtiment n’est plus tout simplement déposé dans son îlot, mais devient vraiment une bougie d’allumage pour l’urbanité du secteur. »

En plus de la réduction significative du nombre de cases de stationnement, la création de la place publique s’est accompagnée de l’aménagement d’espaces réservés au covoiturage et de stationnements pour vélos protégés – sous la marquise à l’entrée – ainsi que de l’intégration de bornes de recharge pour véhicules électriques.

La gestion des eaux de pluie au sol n’est pas demeurée en reste, car la place publique a été aménagée de façon à ce que le ruissellement soit drainé vers les fosses des arbres qui ont été plantés sur le site.

 

Le bois : solution gagnante

L’utilisation du bois a joué un rôle important dans le succès du projet, comme en témoigne le Prix d’excellence Cecobois 2017, catégorie Bâtiment institutionnel de plus de 1 000 m², décerné au palais de justice de Montmagny en février dernier.

Le jury du concours a notamment choisi de primer cette réalisation « parce que sa structure en bois lamellé-collé, qui rend hommage à l’un des matériaux d’origine du bâtiment patrimonial existant, permet de marier magnifiquement l’ancienne section et la nouvelle ».

L’attribution de cette marque de reconnaissance a non seulement rejailli sur l’équipe de concepteurs du projet, mais aussi sur Art Massif, Columbia Forest Products, Menuiserox, Portes Lambton et Distribution Rustic.

Soulignons que l’on a réintégré une structure de bois à l’intérieur du volume central d’origine, en remplacement de fermes qui ne répondaient plus aux normes, ainsi que dans la salle des pas perdus. Un platelage de bois a aussi été mis en place par-dessus la nouvelle structure de lamellé-collé.