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Le centre scientifique communautaire du CEN

24 novembre 2011
Par Marie-Eve Sirois*

Un projet durable réalisé au nord du 55e parallèle : le nouveau centre scientifique du Centre d’études nordiques de l’Université Laval.

À Whapmagoostui-Kuujjuarapik, porte d’accès ouest au Nunavik, se dresse un nouveau bâtiment appelé à devenir une véritable source d’inspiration pour les futures constructions du Nord-du-Québec. Non seulement parce que sa conception et son édification ont été placées sous le signe de l’ouverture sur les communautés locales, mais aussi parce qu’elles sont le fruit de l’intégration de stratégies et de technologies durables adaptées à un environnement nordique hostile.

Ce bâtiment, c’est celui qui loge le centre scientifique communautaire du Centre d’études nordiques (CEN) de l’Université Laval. Plate-forme d’accueil pour les chercheurs et étudiants venus de tous les coins du monde, il a été conçu pour faciliter l’échange de savoir entre les Cris, les Inuits et les scientifiques venus étudier les écosystèmes et géosystèmes nordiques. D’une superficie de 390 mètres carrés, il offre une grande salle de conférence au rez-de-chaussée ainsi que quatre chambres, un salon et une aire de travail à l’étage.

Le village de Whapmagoostui est situé en territoire cri, limitrophe avec la communauté inuite de Kuujjuarapik. Depuis 1950, ces deux nations sont établies côte à côte, le long de la baie d’Hudson, près de l’embouchure de la Grande rivière de la Baleine. « Le maintien de la diversité culturelle demeure une composante importante du développement durable. Trop souvent, on néglige cet aspect. Pour le projet du CEN, certaines facettes de la culture de ce riche territoire ont été intégrées au bâtiment. Et ce, grâce à des activités de concertation avec les premières nations tout au long du projet », souligne l’architecte Alain Fournier, associé de la firme montréalaise Fournier Gersovitz Moss Drolet et associés.

Près de la façade sud, une sculpture inukshuk – amoncellement de pierres, traditionnellement édifiées par les Inuits pour servir de repère –, est jumelée à un tipi traditionnel cri, dont les perches ont été fabriquées par des membres de la communauté. À l’intérieur, le choix des matériaux rappelle les matières nobles et traditionnelles : plancher en ardoise au rez-de-chaussée et utilisation significative du bois.

Dans la même veine, la géométrie de la toiture principale fait référence aux traditionnelles tentes de terrain que les scientifiques utilisent lorsqu’ils sont à l’extérieur des stations de recherche. Les architectes ont voulu faire un clin d’œil à la communauté en concevant le toit de cette façon. Les perches qui sont attachées à la façade sont les mêmes que celles de la structure du tipi à l’entrée et se veulent un hommage à la culture crie.

Au-delà des symboles, il y a eu un véritable engagement des Premières nations dans le projet. « Nous avons effectué plusieurs rencontres avec le conseil de bande cri et le maire inuit de Kuujjuarapik »,  relate Warwick Vincent, directeur du CEN. Le but de l’exercice : voir à ce que les relations entre les scientifiques et les communautés locales soient harmonieuses.

« On perçoit souvent les chercheurs comme des gens détachés de la réalité locale, ce qui crée parfois des tensions », observe Alain Fournier. Avec son projet de centre scientifique communautaire, la direction du CEN s’est donné les moyens de nouer de bonnes relations avec les communautés locales. Aujourd’hui, les Cris et les Inuits sont encouragés à venir visiter le bâtiment. D’ailleurs, l’une des idées qui est ressortie du processus de concertation fut la mise en place de jeux et de panneaux didactiques portant sur les plantes indigènes du milieu. Les insignes sont traduits en quatre langues : le français, l’anglais, l’inuktitut et le cri.

On peut accéder au centre scientifique communautaire par de petits trottoirs de bois, qui permettent de préserver la végétation située au pourtour du bâtiment. Au fil du temps, la maturation de la végétation environnante ajoutera à la beauté de l’édifice. Notons que le choix des végétaux ayant servi la restauration du site est basé sur des recherches menées par des chercheurs du CEN, pendant la période de conception du projet.

Bâtir vert dans le Nord

Construire dans le Nord-du-Québec n’est pas une mince affaire, selon Hugues Boivin, ingénieur au bureau de Québec de Cima+, firme d’ingénierie chargée du volet électromécanique du projet. « Les plus grandes contraintes se rapportent au transport et à l’échéancier. La main-d’œuvre spécialisée est rarissime, les pièces de rechange quasi indisponibles. » Le choix des matériaux et équipements a donc été fait en fonction des ressources locales disponibles, tant pour la pose que pour l’exploitation et l’entretien.

L’accès par bateau est possible de la fin juin jusqu’à la mi-octobre, dépendant des saisons. La période de conception du centre scientifique communautaire a démarré à l’automne 2009 et la construction s’est échelonnée du 1er avril 2010 au 31 mars 2011. Le printemps 2011 marquait la fin officielle des travaux. Les premiers pourparlers avec les communautés locales, soulignons-le, avaient été entamés au début de 2009.

Au dire des professionnels interviewés, seule une poignée d’entrepreneurs est capable d’effectuer des travaux de qualité dans le Grand Nord. La liste de commande doit être extrêmement précise et ne comporter aucune erreur, histoire d’éviter les surcoûts. « La période de production des plans et devis est cruciale », lance Hugues Boivin. Par la suite, les erreurs coûteront cher au client. D’ailleurs, selon Alain Fournier, un projet en territoire éloigné coûte 3 à 3,5 fois plus cher que dans le sud du Québec. Dans le cas du bâtiment du CEN, la facture s’est élevée à un peu plus de 3 millions de dollars.

Comme s’il n’était pas déjà assez complexe de construire en territoire nordique, l’équipe de projet du nouveau centre scientifique communautaire du CEN en a rajouté une couche en visant à concevoir et à ériger un bâtiment qui serait résolument durable. Et qui se révélerait particulièrement performant sur le plan éconergétique, notamment grâce à un chauffage solaire passif, à une fenestration abondante au sud, à des planchers utilisés comme masse thermique et à l’intégration de panneaux photovoltaïques. Soulignons que ces derniers ont été installés sur le mur côté sud, plutôt que sur le toit, parce c’est à cet endroit qu’ils se révèlent plus performants dans le Grand Nord.

Faute d’experts et de fournisseurs locaux, on a misé sur des systèmes mécaniques simples et faciles d’entretien. L’architecte et l’ingénieur ont travaillé de pair pour minimiser les pertes de chaleur attribuables à la volumétrie et à l’orientation du bâtiment, de même qu’à la composition de son enveloppe. Pour le chauffage, un réseau d’eau glycolée alimente le plancher radiant et des radiateurs en périphérie, le tout contrôlé pièce par pièce. Le refroidissement est assuré par la ventilation naturelle, grâce à une configuration optimale des ouvrants.

« Dans le Nord, nous sommes limités en matière de sources et de technologies énergétiques, puisque l’électricité est produite par les centrales thermiques et qu’on chauffe avec des appareils fonctionnant au mazout », précise Hugues Boivin, pour souligner l’importance de réduire le plus possible la consommation énergétique du bâtiment dans une perspective de développement durable.

L’ingénieur, également détenteur d’une maîtrise en architecture bioclimatique, évalue que la consommation énergétique du centre scientifique communautaire du CEN est de quelque 30 % moindre que celle d’un bâtiment comparable standard. Idem du côté des émissions de gaz à effet de serre.

Miser sur le bois

« Nous souhaitions mettre en valeur le bois, de façon à obtenir un bâtiment chaleureux, propice aux échanges interculturels », indique Warwick Vincent. Et parce que le centre scientifique communautaire est visité par plusieurs chercheurs internationaux, le produit fini devait aussi être attrayant, confortable et bien intégré à son environnement. En matière de développement durable et de pertinence culturelle, le bois s’avérait donc le matériau par excellence.

La structure est constituée de poutres lamellées-collées et de colombages d’épinette noire, une espèce disponible sur tout le territoire cri. En revêtement extérieur, c’est le cèdre rouge qui a été choisi pour sa facilité d’entretien. À l’intérieur, la majeure partie des finis est fabriquée à partir de merisier massif. On a ainsi minimisé l’utilisation de gypse, une matière dont la performance écologique est discutable si l’on considère l’ensemble de son cycle de vie dans le contexte du Nord québécois.

« Nous voulions développer un concept dans l’esprit de LEED, avec des considérations tant pour la communauté que pour l’eau, le site et l’énergie. Par contre, certains aspects de ce système d’évaluation n’étaient pas appropriés pour le Grand Nord, notamment en matière de distance d’approvisionnement pour les matériaux », confie Warwick Vincent. Ainsi, la direction du CEN n’a pas entrepris les démarches visant l’obtention du sceau LEED, mais la philosophie du développement durable a été appliquée tout au long du processus. « Nous sommes extrêmement satisfaits du produit final », conclut le directeur du CEN.

* L’auteure est directrice d'Écobâtiment

Équipe de projet

Client Centre d’études nordiques de l’Université Laval
Architecture Fournier Gersovitz Moss Drolet et associés architectes
Génie électromécanique Cima+
Génie structural et civil Genivar
Construction Verreault

 

Mesures durables
  • Enveloppe extérieure présentant des niveaux supérieurs de résistance thermique et d’étanchéité à l’air
  • Utilisation maximale du bois : parement extérieur, structure et éléments de finition
  • Intégration d’éléments architecturaux symbolisant à la fois la culture des Inuits et celle des Cris
  • Approche de conception bioclimatique, incluant notamment l’exploitation des gains solaires passifs
  • Préfabrication des fermes de toiture en usine
  • Implication de la main-d’œuvre locale dans la construction du bâtiment
  • Bâtiment conçu dans l’optique de créer un modèle à reproduire pour d’autres communautés nordiques
  • Choix de matériaux adaptés aux conditions nordiques, reconnus pour leurs qualités écologiques et dont les résidus peuvent être recyclés localement
  • Intégration d’œuvres d’art choisies par les nations crie et inuite
  • Recours à la ventilation naturelle
  • Aucune source de pollution lumineuse vers le haut
  • Appareils de plomberie à faible débit (réduction de la consommation d’eau potable estimée à 30 % comparativement à celle d’un bâtiment comparable standard)
  • Chaudière et chauffe-eau raccordés à la même cheminée

 

Stratégies éconergétiques
  • Intégration de 24 panneaux solaires photovoltaïques totalisant 5 kilowatts
  • Échangeur d’air récupérateur de chaleur sur la ventilation (efficacité de 75 %)
  • Éclairage à faible consommation énergétique (tubes T-8 et T-5 avec ballasts électroniques, lampes fluocompactes)
  • Éclairage DEL pour les enseignes de sortie de secours.
  • Chaudière au mazout affichant un rendement thermique de 85 %
  • Chaudière et chauffe-eau raccordés à la même cheminée (moins de percement dans l’enveloppe signifiant moins de déperdition de chaleur)
  • Les prises d’air ont été localisées en fonction des vents dominants, de manière à éviter leur enneigement
  • Le bâtiment n’est pas refroidi mécaniquement (refroidissement passif)
  • Dalle de plancher rayonnante
  • Aménagement de vestibules fermés à toutes les entrées pour diminuer les coûts de chauffage

 

Prix d’excellence

Le centre scientifique communautaire du CEN a valu aux membres de son équipe de projet (client, professionnels et entrepreneur général) le Prix d’excellence cecobois 2011, catégorie Développement durable, en juin dernier. L’évaluation du jury de ce concours, mis sur pied pour célébrer l’utilisation du bois dans la construction non résidentielle, se fondait sur les critères suivants : la qualité, l’ampleur et l’originalité des choix et des solutions retenus pour réduire l’empreinte environnementale du bâtiment à tous les égards.