Rencontre avec André Bourassa, le président de l’Ordre des architectes du Québec, mais avant tout un professionnel engagé qui a depuis longtemps fait sienne la pratique de l’architecture écologique.
Par Rénald Fortier
Reconnu pour son franc-parler, André Bourassa est de toutes les tribunes lorsque l’architecture est un enjeu. Il n’hésite pas à remettre en question les idées reçues et à prendre position, même s’il doit parfois s’avancer sur une glace mince. Comme lorsqu’il a émis des réserves à l’égard de la pertinence du système de certification LEED ou encore du bien-fondé des toits verts. Et ses opinions, il sait très bien les assumer.
Il faut dire que celui qui est président de l’Ordre des architectes du Québec n’a jamais eu peur de s’engager à fond. Non seulement dans son milieu corporatif, mais aussi dans sa communauté et dans sa pratique de l’architecture. C’est ainsi qu’il est devenu un véritable apôtre du bâtiment écologique longtemps avant que le qualificatif ne devienne au goût du jour.
Même que l’associé du cabinet Bourassa Maillé, à Saint-Christophe-d’Arthabaska, a fait de l’écologisation de l’architecture son leitmotiv au fil des ans. En dépit de son emploi du temps surchargé, il a généreusement accepté de répondre aux questions de Voir vert.
D’où vient votre intérêt pour le bâtiment écologique ?
Quand nous avons terminé nos études en architecture au début des années 80, mon épouse et moi, nous avons décidé d’exercer notre pratique dans le Centre-du-Québec. Comme nous avions aussi un intérêt pour l’agriculture biologique, nous avons ensuite démarré une ferme maraîchère avec d’autres familles à Saint-Christophe-d’Arthabaska, puis nous nous sommes engagés dans une coopérative d’aliments naturels. À cette même époque, nous avons également vu à bien accueillir nos enfants dans la vie, mon épouse devenant même sage-femme. Alors on ne peut pas aspirer à cultiver mieux, à manger mieux et à vivre mieux sans en même temps vouloir habiter des lieux offrant une bonne qualité d’air, construits avec des matériaux sains, etc. Donc, toutes les expériences qui nous ont façonnés ces années-là ont naturellement contribué à ce que je me tourne vers l’architecture écologique.
Quelle approche guide votre pratique de l’architecture ?
Ma pratique prend tout son sens quand j’accompagne un client avec mes connaissances dans la réalisation de son projet ; le sien, pas le mien. Le plus important pour moi, ce n’est pas ma gloire en architecture, mais plutôt de voir à ce que les gens soient contents de leur projet. Et j’ai toujours pensé que pour y arriver, il fallait établir un équilibre entre les caractères harmonieux, fonctionnel et durable d’un bâtiment. Tout en cherchant sans cesse à faire plus avec moins.
Quels aspects écologiques vous interpellent le plus ?
L’efficacité énergétique au premier chef, en raison de la récurrence des frais sur le long terme d’un immeuble. La qualité de l’air est aussi très importante à mes yeux, dans la mesure où il faut nécessairement voir à la santé et au bien-être des occupants d’un bâtiment. La question des matières résiduelles aussi m’interpelle fortement, d’autant plus que je baigne dans ce domaine puisque ma belle-famille y œuvre depuis longtemps.
Comment l’architecte peut-il favoriser le bâtiment durable ?
Les architectes n’ont pas que des commandes pour des projets verts, loin de là. L’idée, c’est d’essayer de verdir celles qui leur sont confiées. Être un professionnel de l’architecture, ça veut dire comprendre les besoins du client et y répondre, mais c’est aussi de lui proposer des solutions durables pour son projet. Il y a des donneurs d’ouvrage pour qui l’intégration de dimensions durables à leurs projets va maintenant de soi, mais il y en a encore beaucoup d’autres qu’il faut certes influencer dans la mesure du possible.
Quelle est la position de l’OAQ vis-à-vis du bâtiment vert ?
À l’Ordre, nous sommes bien sûr en faveur du bâtiment durable. Nous sommes même très proactifs auprès de nos membres sur les plans de la sensibilisation et de la diffusion de l’information sur les meilleures pratiques écologiques, notamment par l’entremise de notre Comité des techniques et bâtiments durables. Nous présentons nos conférences des Mardis verts, nous nous prononçons sur les différentes tendances qui se profilent et nous sommes sur plusieurs tribunes où il est question du bâtiment durable ou de ses différentes facettes.
Qu’est-ce qui vous déçoit le plus dans le bâtiment vert ?
C’est assurément l’excès de vitrage. Il m’apparaît tout à fait invraisemblable qu’aujourd’hui, au moment où on voudrait avoir des murs qui font R-40, on construise des bâtiments dits écologiques avec des enveloppes qui font R-4, R-6, pour ensuite être obligé de traiter des déperditions et des gains thermiques au nom de la transparence. Je n’ai rien contre le verre, ceci dit, parce que c’est une surface extrêmement durable, qui est stable au soleil. Mais si on met une paroi de verre à l’extérieur, faut quand même mettre de l’isolant derrière ou sur certaines surfaces du moins.
Qu’est-ce qu’un véritable bâtiment vert à vos yeux ?
C’est aussi un bon bâtiment qui va être le fruit d’une économie de moyens dans sa construction même, d’un choix de matériaux tenant compte de leur cycle de vie, d’une conception efficace sur le plan éconergétique, etc. Au risque de me répéter, c’est un bâtiment qui est à la fois harmonieux, fonctionnel et durable. Bref, comme on dit, un environnement sain pour ses occupants et pour la planète. Ça résume très bien.
Avez-vous toujours des réserves face à LEED ?
Je concède que LEED a contribué à l’émergence du bâtiment durable au Québec ces dernières années. Et que malgré les interventions que j’ai pu faire, les architectes ont acheté la démarche de façon importante, tout comme les donneurs d’ouvrage. Je respecte cela, mais j’ai toujours les mêmes réserves face aux coûts associés à cette certification et à la notion de cycle de vie qui en est absente. Je ne suis toujours pas à l’aise non plus avec le fait que c’est l’industrie américaine du bâtiment qui mène cette démarche.
Et vis-à-vis des toitures vertes ?
Je ne conteste pas les bénéfices qui peuvent découler de l’aménagement des toits verts, comme la réduction des îlots de chaleur urbains. Mais en même temps, je ne peux souscrire à l’idée de garder les toits humides avec tous les risques d’infiltration d’eau que cela suppose. Toutefois, dans le cas d’une toiture où il y a un pontage de bois, que l’isolation est juste au-dessus et qu’il n’y a pas de ventilation dans l’entretoit, là il est intéressant d’y aménager une terrasse. Puis une serre, parce qu’elle va contribuer à minimiser les déperditions de chaleur du bâtiment, et aussi des bacs de culture. Tant qu’on garde l’objectif de conserver les toitures au sec, je n’ai pas de problème avec ça.
Quels aspects du bâtiment écologique mériteraient qu’on s’y attarde davantage ?
Il y a toute la question des champs électromagnétiques, tout comme celle des matériaux d’isolation à base de chanvre ou de cellulose. On pourrait aussi aller beaucoup plus loin du côté de la réduction de la consommation de l’eau potable, au-delà de l’installation d’appareils de plomberie à faible débit qui est la partie facile. C’est la même chose pour la gestion des matières résiduelles ; je ne peux pas croire qu’on génère encore autant de déchets dans le milieu du bâtiment et que l’on utilise encore des matériaux ou des produits qui ne peuvent même pas être recyclés en fin de vie.
Qu’est-ce qui vous réjouit le plus face à l’évolution de la situation ?
C’est de constater qu’il y a une sensibilisation qui est beaucoup plus grande dans le milieu du bâtiment et qu’elle est en train de se transporter au niveau de certaines autorités publiques. Par exemple, à Victoriaville, près de chez nous, un programme a été mis sur pied pour inciter les gens à bâtir vert. Qu’une administration se positionne ainsi, avec tout l’effet d’entraînement que ça peut avoir, je ne peux que m’en réjouir. Reste à d’autres municipalités à faire de même.
Qu’est-ce qui fait courir André Bourassa ?
J’ai toujours été pressé, même à l’époque du primaire que j’ai fait en mode accéléré… Si j’ai beaucoup couru, c’est parce que j’ai toujours été quelqu’un d’engagé. J’ai sans cesse voulu contribuer à faire avancer les choses, par exemple en matière de construction durable. Et je continue de courir encore aujourd’hui, parce qu’il y a encore des choses à faire bouger. Il y en aura toujours.
André Bourassa est président de l’Ordre des architectes du Québec depuis 2005. Diplômé de l’École d’architecture de l’Université Laval, il exerce sa pratique depuis la première moitié des années 80. Il s’intéresse depuis longtemps au développement durable et à l’efficacité énergétique, de même qu’aux enjeux qui y sont associés. Prônant une approche critique face aux méthodes et matériaux dits « verts », il est importe pour lui que le « bon matériau soit à la bonne place. » Conférencier invité sur de nombreuses tribunes, il est aussi amené à participer à plusieurs jurys.