Entretien avec l’ingénieur Roland Charneux, véritable apôtre de l’économie d’énergie dans les bâtiments institutionnel, commercial et industriel.
Par Rénald Fortier
Roland Charneux n’est pas pingre, loin de là même. N’empêche que cet ingénieur en mécanique se montre invariablement économe, sur le plan de la consommation d’énergie s’entend, lorsqu’il planche sur un projet. Une seconde nature qui l’amène toujours à regarder un bâtiment a construire ou à rénover à travers le prisme de l’efficacité énergétique, voire du développement durable au sens large du terme. Et à tout mettre en œuvre pour optimiser la performance des systèmes, tout en leur conférant une flexibilité d’exploitation.
Il faut dire que le vice-président exécutif et associé principal de Pageau Morel en impose dans son champ d’expertise. Son souci pour l’économie d’énergie est à ce point aiguisé qu’il est en quelque sorte devenu sa marque de commerce. En témoigne d’ailleurs la longue liste de réalisations éconergétiques sur lesquelles il a laissé son empreinte au fil des 33 dernières années. Tout comme les prix (ASHRAE, AQME…) que lui ont valu plusieurs d’entre elles.
Roland Charneux pourrait pavoiser, certes, mais il s’en garde bien. Recontré à ses bureaux du boulevard Crémazie Ouest, en bordure sud du boulevard Métropolitain, c’est au contraire un homme tout aussi humble que généreux qui a bien accepté de répondre aux questions de Voir vert. Plus souvent qu’autrement en utilisant le « nous » et le « on », en référence à Pageau Morel, plutôt que la première personne du singulier.
À quand remonte votre intérêt pour l’efficacité énergétique ?
Au début de ma carrière. Quand j’ai commencé ici au milieu des années 70, j’ai travaillé rapidement avec Guy Morel, le fondateur du bureau. C’est lui qui m’a éveillé à l’importance de l’efficacité énergétique, parce qu’il y portait déjà une grande attention, et qui fut en quelque sorte mon mentor. D’ailleurs, les premiers systèmes de récupération installés sur l’air évacué, ç’a été fait par lui à l’Institut Armand-Frappier dans les années 60. C’est dire comment il était à l’avant-garde.
Quel a été votre premier projet marquant ?
Sur le plan de la performance énergétique du bâtiment, ce fut le palais des congrès de Montréal en 1981. Nous avons beaucoup travaillé avec les architectes pour avoir une enveloppe performante, notamment la fenestration. La verrière à l’avant, on s’en est servi comme capteur solaire et on transférait toute la chaleur récupérée dans les retours d’air pour chauffer le reste du bâtiment à l’arrière. Puis on avait aussi de la récupération sur l’évacuation de l’air pour faire le préchauffage de l’air et de l’eau chaude domestique.
Comment abordez-vous un projet ?
Nous intégrons la dimension efficacité énergétique dans tous les projets sur lesquels on travaille. La première chose que l’on va faire, même si un projet n’est pas encore totalement défini, c’est de développer un modèle informatique pour optimiser l’enveloppe du bâtiment. Ensuite, on va voir s’il y a de la chaleur qui pourrait être redistribuée d’un endroit à un autre, puis quels sont les meilleurs systèmes que l’on pourrait utiliser pour ventiler, chauffer et climatiser. Finalement, nous allons regarder s’il est possible de récupérer de la chaleur. Une fois que le bâtiment est optimisé, et donc les systèmes réduits, on regarde la source d’énergie qui serait la plus appropriée. Notre philosophie, c’est de ne jamais nous attacher à un système au départ, parce que ça ne peut que fausser le raisonnement en cours de route.
Y a-t-il des principes que vous appliquez systématiquement ?
Outre le fait que l’on vise toujours à minimiser les besoins en énergie, on tend à avoir un ou des systèmes centralisés pour la génération de l’énergie dans la mesure du possible, parce que l’on peut alors changer la source d’énergie éventuellement sans pour autant changer les systèmes. De plus, dans nos systèmes de distribution de chauffage, on essaie de fonctionner avec des fluides à basse température, la plus basse possible pour la fonction. Donc, si on opte pour du chauffage ambiant radiant, on peut le faire avec de l’eau à 30 degrés C. Ça demande moins d’énergie et la source, à ce moment là, peut être le rejet de chaleur d’un refroidisseur, la géothermie, etc.
Moussez-vous l’efficacité énergétique ?
Le plus grand reproche que pourrait nous faire un client, c’est de nous dire deux ans plus tard qu’on ne lui avait pas parlé de récupération de chaleur, de géothermie, etc. C’est notre rôle de le sensibiliser et de l’informer des solutions disponibles ainsi que de leurs avantages, de leurs inconvénients et de leurs impacts. Mais au bout du compte c’est lui qui décide. De façon générale, les clients se montrent de plus en plus ouverts. On voit qu’ils portent un intérêt grandissant non seulement à l’économie d’énergie, mais aussi à la performance globale de leurs installations.
Recourez-vous souvent aux technologies éconergétiques ?
Nous ne sommes pas les promoteurs de telle ou telle technologie. Au contraire, une fois que nous avons fait nos simulations énergétiques et que nous avons réduit la consommation au maximum, on regarde les technologies disponibles. Si celle dont nous avons besoin n’existe pas sur le marché, nous allons même voir s’il n’est pas possible de transformer un équipement existant. Nous l’avons déjà fait, par exemple au Centre de relève de Desjardins au début des années 90. Pour faire du refroidissement gratuit pendant l’hiver, nous avons ajouté des serpentins au glycol dans les unités de climatisation standards situées dans les salles informatiques. Ce fut sans doute l’un des plus grands défis que j’ai eu à relever dans ma carrière.
Depuis quand vous intéressez-vous au bâtiment vert ?
Depuis que nous avons travaillé sur le projet du Mountain Equipment Co-op en 2002. Il fut d’autant plus intéressant qu’il s’est articulé autour d’une conception intégrée, ce qui a d’ailleurs véritablement éveillé mon intérêt pour la construction écologique. En bout de ligne, il en est résulté un bâtiment vraiment performant avec de la ventilation naturelle, du chauffage radiant, etc. Des solutions relativement simples, mais qui sont très efficaces.
Vous avez donc été séduit par le mode collaboratif ?
Le développement d’un bâtiment durable, ça passe par la conception intégrée. Évidemment, il y a différents niveaux de collaboration entre les intervenants et on voit qu’il s’en fait ponctuellement. Mais il y a un changement de culture à faire. Auparavant, c’était plutôt séquentiel : l’architecte faisait son design, on recevait les plans et on intégrait le chauffage, tandis que l’ingénieur en structure voyait à faire tenir tout ça. Maintenant, on essaie de travailler ensemble, on se questionne sur les matériaux à utiliser et leur impact sur la masse thermique du bâtiment, etc. Bref, on brasse les idées ensemble pour en arriver à optimiser les solutions.
Que pensez-vous du système LEED ?
C’est un système qui permet d’évaluer la valeur écologique d’un bâtiment. On souhaite qu’il soit de plus en plus utilisé parce qu’il nous donne une référence quand vient le temps de comparer deux bâtiments. Sinon, n’importe qui peut dire n’importe quoi. LEED a ses défauts, c’est certain, mais ça demeure un bon système. Et il a jusqu’ici contribué énormément à l’avancement du bâtiment durable et à changer les choses dans l’industrie.
Qu’est-ce qui vous irrite le plus lorsqu’il est question d’efficacité énergétique ?
C’est la pensée à court terme. Quand on propose une mesure avec une rentabilité de l’investissement de trois ans, ça ne passe pas toujours. On va poser du marbre dans une entrée, mais on ne fera pas de récupération de chaleur, par exemple. C’est dommage. L’autre chose quelque peu irritante, c’est le bas coût de l’énergie au Québec. Il va falloir que les prix augmentent si on veut vraiment changer les habitudes.
Qu’est-ce qui vous réjouit le plus aujourd’hui ?
Hormis le fait que l’on voit de plus en plus de bâtiments verts au Québec, c’est la relève. Dans notre domaine, les jeunes sont plus sensibilisés à l’importance de l’efficacité énergétique. Ils ont de bonnes idées et ils nous poussent sans cesse. La vague qui suit va assurément être meilleure que celle dont je fais partie.
Parlez-nous de votre maison éconergétique ?
C’est un bungalow datant des années 50 situé dans un quartier de l’est de Montréal. Nous l’avons acquis en 1986. Il y a quelques années, nous avons décidé de faire un agrandissement de 15 pieds sur 40 pieds à l’arrière, un volume de 11 pieds de hauteur grandement fenestré mais protégé des rayons du soleil en été par des arbres. Petit projet est devenu grand. Finalement, en plus de recourir au soleil passif et à l’éclairage naturel, j’y ai intégré un plancher radiant et de la géothermie pour le chauffage, l’eau chaude domestique et la climatisation. De sorte que notre facture d’électricité est demeurée au même niveau qu’avant l’agrandissement.
Donc, vous vous êtes bien amusé ?
C’est certain que j’ai eu bien du plaisir à réaliser ce projet. Mais c’était aussi pour moi une façon d’appliquer ce que je dis aux autres dans ma pratique. C’est beau de prêcher en faveur de la performance énergétique des bâtiments, mais encore mieux quand on peut le faire.
Bachelier de l’École Polytechnique de Montréal en génie mécanique en 1976, Roland Charneux a obtenu une maîtrise en science du bâtiment de l’Université Concordia en 1990. Entré à l’emploi de la société de génie-conseil montréalaise Pageau Morel au sortir de ses études, alors à titre d’ingénieurs de projet, il y occupe maintenant le poste de vice-président exécutif.
Professionnel agréé LEED depuis 2004 et HFDP (Healthcare Facility Design Professional) depuis peu, Roland Charneux est Fellow de l’American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers (ASHRAE) depuis 2005. Il est aussi membre de différents organismes, dont le U.S. Green building Council et Labs21 – un organisme américain qui favorise la recherche et le développement de systèmes adaptés spécifiquement aux laboratoires.
Sur la longue liste de réalisations ou projets sur lesquels à été appelé à travailler Roland Charneux au fil des ans, soit comme concepteur ou conseiller, figurent plusieurs bâtiments certifiés ou visant la certification LEED. Du lot, soulignons le Complexe des sciences de la vie de l’Université McGill, le siège social de Hagen Industries, les pavillons Lassonde de l’École Polytechnique, le 740 Bel-Air de TPSGC, les Condos Wellington et la Maison ZNEHHB (Zero Net Energy Healthy Housing Building). Sans oublier le bâtiment de Montréal du Mountain Equipment Co-op, un édifice réputé bien que n’affichant pas l’étiquette LEED.