Rencontre avec le chef d’une entreprise de construction qui a su imprimer son leadership sur le bâtiment durable au Québec.
Par Rénald Fortier
Durable : voilà un qualificatif qui sonne doux à l’oreille de Pierre Pomerleau, très doux même. C’est que l’entreprise familiale éponyme qu’il dirige a su effectuer un virage qui lui a non seulement permis d’imprimer son leadership dans la construction de bâtiments verts au Québec, ces dernières années, mais aussi de s’engager dans un ambitieux processus d’écologisation organisationnelle.
De savoir que Pomerleau a participé à ce jour à une quarantaine de projets LEED au Canada, dont plus de la moitié au Québec, suffit vite à prendre la mesure de son avancée dans le domaine du bâtiment écologique. Sans compter que cette entreprise dont les origines remontent à Saint-Georges-de-Beauce, à partir du milieu des années 60, a été parmi les premières à œuvrer sur des projets visant la certification dans la province. À commencer par le Complexe des sciences Pierre-Dansereau de l’UQÀM, dès 2003.
C’est aussi Pomerleau qui a été la première à édifier un bâtiment briguant la certification LEED-NC, niveau Platine, en sol québécois : la Maison du développement durable, angle Sainte-Catherine et Clark, au centre-ville de Montréal. Un projet à vocation à la fois exploratoire et démonstrative auquel elle a été associée de bout en bout, processus de conception intégrée inclus.
Comme si ce n’était pas assez au rayon de l’avant-garde, ce fut également la première entreprise québécoise de construction à compter dans ses rangs une ressource agréé LEED : Nadine Léonard, directrice de projets devenue depuis vice-présidente régionale – Toronto métropolitain.
De là à penser que Pomerleau se pose désormais comme un acteur incontournable de la construction durable au Québec, voire dans l’est du Canada, il n’y a qu’un pas. Et c’est à ce titre que Voir vert a rencontré celui qui préside les destinées de l’entreprise depuis la fin des années 90. Cheminement, observations et réflexions.
À quand remonte votre intérêt pour le développement durable ?
Au début des années 2000, j’avais été invité à une conférence sur les changements climatiques que prononçait Al Gore, l’ancien vice-président américain, à l’Université Laval. Après son allocution, les scientifiques présents et moi, le seul entrepreneur en construction dans l’assistance, avions eu droit à une rencontre avec lui. Il m’avait fortement impressionné par son propos. C’est sûr que cela a provoqué un déclic.
Quand votre entreprise a-t-elle adhéré au bâtiment durable ?
En 2007, parce que le marché américain emboîtait alors le pas. Nous avons su lire les tendances qui se dessinaient au sud de la frontière ainsi que sur les marchés canadien et québécois. Quand on veut demeurer un leader dans une industrie compétitive comme la nôtre, il faut nécessairement toujours chercher à prendre les devants.
C’était donc l’occasion d’investir ce nouveau créneau ?
Il y avait certes des bénéfices pour Pomerleau à se positionner rapidement sur ce marché en émergence. Mais, à nos yeux, ces bénéfices ne se traduisaient pas seulement en termes de croissance pour l’entreprise, mais aussi en termes d’engagement social et collectif envers l’environnement et l’avenir de nos enfants. Voilà ce qui a vraiment nourri notre réflexion et qui nous a motivés à prendre le virage vers le bâtiment durable.
Comment ce virage s’est-il reflété dans vos pratiques de gestion ?
Nous avons intégré les préceptes de LEED dans nos processus de management et de gestion de l’environnement. Depuis, nous les appliquons plus souvent qu’autrement même lorsqu’il s’agit de réaliser des projets ne visant pas la certification. Par exemple sur le plan de la récupération des débris de construction ou encore sur celui du contrôle de la sédimentation sur les chantiers.
Vous avez donc eu à développer un savoir-faire ?
C’est certain, parce qu’il faut être très bien structuré pour mener à bien un projet LEED, notamment parce qu’il y a beaucoup d’exigences à respecter et de documentation à produire. C’est pourquoi nous avons communiqué et expliqué notre vision à notre personnel, qui y a adhéré avec passion et détermination. Nos surintendants et nos chargés de projet ont tous suivi une formation LEED, puis ont ensuite formé nos travailleurs sur les chantiers. Aujourd’hui, Pomerleau compte pas moins de 35 professionnels agréés LEED et plus de 150 personnes qui ont été formées.
Quel projet s’est à ce jour révélé le plus marquant pour Pomerleau ?
C’est sans contredit celui de la Maison du développement durable. Nous avons pu y évaluer les méthodes de construction qui étaient les moins dommageables pour l’environnement, puis nous les avons appliquées. Nous nous sommes investis dans la conception et la construction de ce bâtiment de 2005 à 2011. C’est énorme ! Mais même si nous savions dès le départ que nous ne ferions pas un sou de profit, nous tenions à être de l’aventure parce qu’il s’agissait du premier projet visant LEED Platine au Québec. Nous en sommes très fiers.
Et le Complexe des sciences Pierre-Dansereau de l’UQÀM ?
Ce fut aussi une expérience marquante parce qu’il s’agissait de notre première incursion dans l’univers du système LEED. En plus, c’était un projet de grande envergure et complexe, dont la réalisation était assortie d’un échéancier très serré. Il y avait une phase d’apprentissage pour tout le monde, nous y compris. Et, en bout de ligne, ce fut un projet couronné d’un franc succès.
Comment avez-vous abordé le développement durable dans votre organisation ?
Nous nous sommes donné un plan de développement durable que nous appliquons avec toujours plus d’insistance chaque année. Nous avons commencé avec la réduction et le recyclage de nos matières résiduelles, puis nous avons enchaîné avec la volonté de devenir une entreprise sans papier. Nous avons donc augmenté notre capacité de data et commencé à enlever progressivement des imprimantes et des copieurs. Il y a un an, nous sommes ensuite passés à l’ère du paiement électronique avec nos sous-traitants et nos fournisseurs. Toujours moins de papier, donc ; c’est bon pour l’environnement, mais aussi pour nous sur le plan de l’efficacité.
Êtes-vous engagé dans la communauté du bâtiment durable au Québec ?
Pomerleau est un grand supporteur et participant de la Section du Québec du Conseil du bâtiment durable du Canada, dont notre championne de la construction écologique, Nadine Léonard, a assumé la présidence pendant plus d’une année et demie. Nous participons aussi activement aux activités d’associations telles l’ASHRAE, l’AQME et BOMA Québec.
Un bâtiment doit-il nécessairement être LEED pour être vert ?
Que le projet soit certifié ou non, ce n’est pas ça qui est important. L’obtention d’une certification demeure une reconnaissance. Ce sont plutôt les bases sur lesquelles le projet est conçu et construit qui sont importantes. La certification assure simplement que les principes dictés par le Conseil du bâtiment durable ont été respectés, et c’est en ce sens qu’elle prend son importance.
Quelle est la clé de la réussite d’un projet LEED ?
Assurément le travail d’équipe, avec les consultants et les entrepreneurs spécialisés. Parce que l’obtention d’une certification enjoint à tout le monde de s’engager dans un processus des plus rigoureux, de la conception à la livraison du projet.
Comment entrevoyez-vous l’avenir du bâtiment durable au Québec ?
Le concept va prendre de plus en plus de place, tant dans la construction que dans la rénovation. Le mouvement est irréversible. C’est une avenue incontournable, non plus une option. D’où l’importance pour notre industrie de changer ses habitudes et ses façons de faire. Tout doit être pensé différemment et tout change lorsque l’on regarde un projet avec des lunettes vertes.
Bachelier de l’École Polytechnique de Montréal en génie civil en 1987, Pierre Pomerleau détient également un MBA de la Richard Ivey School of Business de l’Unversity of Western Ontario, obtenu deux ans plus tard. De 1989 à 1997, il occupera le poste de vice-président de Pomerleau inc., soit jusqu’à ce qu’il prenne le relais de son père Hervé à la tête de l’entreprise. Président et chef de la direction, il est aujourd’hui entouré d’une équipe pluridisciplinaire réunissant 14 vice-présidents, dont son frère Francis, vice-président principal – Ontario et Ouest du Canada.
Pomerleau a jusqu’ici œuvré sur une quarantaine de projets LEED. Du lot, trois arborent désormais une certification : le Complexe des sciences Pierre-Dansereau de l’Université du Québec à Montréal (NC, Argent), les pavillons Bellini et Goodman du Complexe des sciences de la vie de l’Université McGill, (NC, Or) et l’édifice Jean-Canfield (NC, Or), à Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard.
Parmi ses nombreux autres projets en cours ou déjà réalisés visant une certification au Québec, soulignons la Maison du développement durable (NC, Platine), le centre de recherche et la centrale thermique du Centre universitaire de santé McGill (NC, Argent), le Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Montréal (NC, Argent), l’édifice Fondaction CSN à Québec (NC, Or) et la Cité Desjardins à Lévis (NC, Or), pour couper court à l’énumération.