Les principaux acteurs de l’industrie canadienne du béton unissent leurs efforts pour mettre en place des solutions innovantes et durables. En route vers l’atteinte de la carboneutralité de leur produit à l’horizon 2050.
Décarbonation. Voilà le mot qui est sur toutes les lèvres, et notamment sur celles de l'industrie canadienne du béton qui multiplie les initiatives pour atteindre la carboneutralité dans l'horizon de 2050. Avec six milliards de mètres cubes coulés tous les ans, le béton est le matériau manufacturé le plus utilisé au monde. Mais ce qui retient particulièrement l'attention tient au fait que le ciment, principal composant liant du béton qui ne représente que 12 % du mélange, est responsable de plus de 80 % des émissions de dioxyde de carbone qui en résultent. Qu'à cela ne tienne, des avancées encourageantes sont réalisées et le Québec peut être particulièrement fier du travail accompli jusqu'à ce jour.
« Le Québec est le champion de l'adoption d'ajouts cimentaires depuis les dernières années, ce qui a permis de réduire considérablement l'empreinte carbone de nos bétons dans nos constructions. Nous pouvons nous targuer de bien maîtriser la technologie et d'être en mesure de pouvoir la déployer assez rapidement », avance d'entrée de jeu Luc Bédard, directeur général, Association béton Québec (ABQ).
À l'Association canadienne du ciment (ACC), le président et chef de la direction, Adam Auer, émet le même son de cloche. « Des progrès majeurs ont été faits au Québec comme dans le reste du Canada, et ce, dans les deux grands secteurs d'intervention que représentent le remplacement des combustibles fossiles et l'élaboration du ciment à faible teneur en carbone, comme le ciment Portland au calcaire qui réduit les émissions jusqu'à 10 % par rapport au ciment ordinaire. Ces initiatives comptent parmi les aspects les plus représentatifs des stratégies fondamentales du plan d'action Béton Zéro. »
Il faut savoir que le clinker, principale composante du ciment, génère une source majeure d'émissions de CO2 lors de sa production. Dès lors, la recherche de nouvelles méthodes pour diminuer l'empreinte environnementale des ciments vise à réduire le plus possible la teneur de ce matériau hydraulique sans toutefois compromettre la résistance mécanique du béton.
Pour Arezki Tagnit-Hamou, professeur à la Faculté de génie de l'Université de Sherbrooke, chaque tonne de ciment évitée équivaut à presque autant de CO2 d'épargné. Et l'une des solutions qu'il préconise pour éliminer le CO2 consiste à diminuer considérablement le ciment Portland dans la fabrication du béton. « Sachant que les cendres volantes utilisées comme ajouts cimentaires sont appelées à disparaître alors que le gouvernement du Canada ferme les centrales électriques au charbon les unes après les autres, il est plus pertinent que jamais de travailler localement et de réfléchir en termes de matériaux locaux pour ce qui est des ajouts cimentaires. Certains diront qu'il n'y a pas suffisamment de matériaux pour remplacer le ciment, poursuit-il, mais je ne suis pas d'accord. Il faut découvrir ces matériaux et les développer. »
Un exemple ? La poudre de verre en remplacement du ciment dans la production du béton. Cette innovation, fruit d'études menées à l'Université de Sherbrooke par la Chaire SAQ de valorisation du verre dans les matériaux, que dirige le professeur Tagnit-Hamou depuis 2004, ouvre un ensemble de perspectives prometteuses reposant sur l'exploitation de ce qu'on appelle déchets, bien qu'il n'aime pas ce mot.
« Je préfère parler de coproduits, poursuit-il. Et c'est sans oublier nos sous-sols et tout ce qu'il sera possible de faire en collaboration avec les minières, notamment avec la récupération de la silice effectuée après le traitement des minerais. »
Feuille de route de l'ACC
En novembre 2022, le gouvernement du Canada et l’ACC publiaient la feuille de route vers un béton à zéro carbone d'ici 2050 qui offre une vue d'ensemble des technologies, des outils et des politiques nécessaires pour permettre à l'industrie canadienne du ciment et du béton de réduire ses émissions de carbone de 40 % d'ici 2030 et d'atteindre la carboneutralité dans l'horizon de 2050.
Pour amorcer efficacement la transition vers un béton à zéro émission carbone, la présente feuille de route inclut un plan d'action qui s’articule principalement autour d'objectifs clés, notamment celui du développement du marché canadien pour s'adapter à une économie nette zéro. Ce plan d'action décline en cinq étapes les actions prioritaires ciblées où des réductions de carbone sont réalisables, soit :
- l'élimination de l'utilisation du charbon et du coke de pétrole comme combustibles pour la production de clinker;
- la réduction du volume de clinker employé dans la production du ciment;
- l'accroissement de l'utilisation de matériaux cimentaires supplémentaires;
- la mise en place d'une capacité de captage, d'utilisation et de stockage du carbone (CUSC);
- la promotion des codes, des normes ainsi que des politiques d'approvisionnement basés sur le rendement et une efficacité accrue des matériaux dans la construction.
Parmi les solutions pour y parvenir, Luc Bédard soutient qu'il faudra, dans un premier temps, faire connaître le plan pour ensuite passer au raffinement des technologies. « Plusieurs technologies existent, dit-il, mais elles ne sont pas mises à l'échelle, que l'on pense aux technologies de captation, de stockage et de transformation de CO2, par exemple. Et pour ce qui est des solutions à long terme, il faudra obtenir le levier financier pour pouvoir mettre ces solutions qui seront développées au cours des prochaines années en application. »
Compte tenu de la situation dans son ensemble, Adam Auer propose d'engager une réflexion sur une nouvelle façon de concevoir le design, la construction et les infrastructures, en d'autres mots, d'aller au-delà de nos façons de faire traditionnelles. Il explique : « Tout comme nous le faisons pour l'énergie en matière d'efficacité énergétique, il est tout à fait possible de réduire la quantité de matériaux — et pas que le ciment et le béton, mais bien l'ensemble des matériaux — pour limiter le bilan carbone global lors de la construction de nos bâtiments et de nos infrastructures. »
Optimiser l’utilisation du béton
Arezki Tagnit-Hamou renchérit sur la pertinence d'optimiser l'utilisation des matériaux : « Il faut vraiment apprendre à optimiser l'utilisation du béton d'autant plus que nous développons des bétons à ultra-haute performance qui permettent de diminuer de plus d'un tiers la moyenne de béton. On a les techniques, on a les ingénieurs et on a les logiciels pour y parvenir. Mais surtout, il ne faut pas hésiter à faire appel à l'expertise de nos docteurs qui sont formés, à longueur d'année, dans nos universités pour développer et être à la fine pointe de la technologie. »
Bien que la marche soit haute pour atteindre les objectifs zéro-carbone, elle n'effraie pas pour autant Luc Bédard pour qui le maître mot est la mobilisation de tous les acteurs de l'industrie pour impulser une dynamique d'innovations durables. « C'est un travail qui doit se faire par étapes et en toute collégialité, fait-il remarquer. Nous sommes la première industrie à mettre en place une feuille de route sur la carboneutralité et à travailler de concert avec le gouvernement canadien pour développer une politique ainsi qu'une application réelle de la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs industries ont le regard braqué sur nous et se demandent comment nous sommes parvenus à ce partenariat avec le gouvernement. La réponse ? C'était notre volonté et nous sommes fiers d'être devenus une référence ou du moins, d'être reconnus ainsi ! »
Arezki Tagnit-Hamou est bien d'accord : « Il faut donc continuer dans cette même veine, car le Québec est très en avance sur le reste de l'Amérique du Nord et même sur le reste du monde. Toute l'expertise sur le béton est très concentrée au Québec, notamment avec le Centre de recherche sur les infrastructures en béton (CRIB) qui réunit tous les experts en la matière. De plus, à l'Université de Sherbrooke, une chaire bas carbone sera créée incessamment et déjà, d'importants partenaires s'alignent pour y participer. La communauté scientifique a un rôle très important à jouer dans la réalisation d'avancées de décarbonation et il ne faut certes pas omettre de l'inclure, conclut-il ! ».
Plus pertinente que jamais, la nouvelle mouture des déclarations environnementales de produits (DEP) dont dispose l'Association béton Québec fournit à point nommé les impacts environnementaux de 22 classes de bétons représentant plus de 350 mélanges différents spécifiquement pour le Québec. « La très forte majorité des bétons qu'on peut retrouver dans un bâtiment ou dans un ouvrage de génie civil s'y trouve, souligne Yves Dénommé, directeur technique à l’ABQ. Qu'il s'agisse du béton exposé aux cycles gel/dégel, du béton classe C1 exposé au chlorure, avec ou sans, toutes les formulations sont pratiquement couvertes. »
« De plus, chaque province profitera de ses propres DEP, ajoute-t-il. Il s'agit d'une première évolution intéressante, car nous passons d'une déclaration environnementale canadienne assez uniforme qui ne considérait pas la spécificité de chacune des provinces à une nouvelle version qui tient compte notamment des différentes réalités de bétonnage et de la disponibilité des ajouts cimentaires très variables d'une province à l'autre. Ici, au Québec, par exemple, nous ne retrouvons pas vraiment de produits sur place. Nos cendres volantes proviennent des Maritimes ou des États-Unis et nos laitiers, de l'Ontario. Avec nos nouvelles DEP, nous pouvons désormais optimiser les mélanges pour minimiser l'impact environnemental du béton. »
- Naturellement résilient, il résiste au feu, au vent, aux tremblements de terre, bref aux fortes intempéries et autres rigueurs du climat.
- Solide et résistant, le béton est un exemple de durabilité exemplaire alors que des bâtiments anciens datant de plusieurs centaines d'années, voire plus, résistent toujours à l'épreuve du temps.
- Économique, concurrentiel et écoefficace, particulièrement lorsque l'on tient compte des coûts sur l'ensemble du cycle de vie.
- Esthétique, le béton est un matériau vivant et fluide qui off re une multitude de possibilités, notamment sur le plan des couleurs, des formes et des textures.
- S'intègre bien dans une approche d'économie circulaire, avec notamment l'ajout de matériaux post-industriels à la composition du ciment.
- 100 % recyclable
- La faisabilité des engagements du plan d'action Béton zéro, son côté atteignable avec des technologies qui fonctionnent déjà.
- Un plan d'action, bien chiffré et bien documenté, avec des cibles bien définies.
- Malgré la solidité du plan, sa réalisation ne peut se concrétiser qu'avec la collaboration de tous et doit inclure l'ensemble des parties prenantes, notamment les gouvernements, les ingénieurs, les architectes et autres acteurs du secteur de la construction.