Les avancées technologiques et techniques repoussent sans cesse les limites de la construction écoresponsable en bois.
Évolution et perspectives.
Graduellement évincé du bâtiment de moyenne et grande hauteur au cours du siècle dernier, le bois fait désormais un retour marqué dans le bâtiment non résidentiel et multifamilial. Depuis la construction du pavillon Gene-H.-Kruger en 2005, non seulement les bâtiments en bois se sont-ils multipliés, mais ils ont aussi gagné en complexité. Il suffit de penser à l’édifice Fondaction pour s’en convaincre. Construit en 2009, l’immeuble de bureaux de six niveaux hors sol à structure en bois lamellé-collé a ouvert la voie à des immeubles toujours plus hauts.
« Ce n’est pas d’hier qu’on construit des bâtiments en bois de grande hauteur, note d’entrée de jeu Gérald Beaulieu, le directeur du Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois (Cecobois). Quand on regarde notre patrimoine bâti, on voit que la construction de bâtiments en maçonnerie à structure de bois était la norme auparavant. Mais les choses ont changé en 1941, avec la publication du premier Code national du bâtiment, qui est venu limiter la hauteur des bâtiments en bois. Les récentes avancées dans le domaine ouvrent de nouvelles perspectives au bois. »
Des avancées notamment sur le plan normatif avec la publication en 2013, par la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), des Directives pour la construction d’habitations en bois de 5 ou 6 étages. Rédigé en collaboration avec FPInnovations (FPI), centre privé de recherche sur le bois, ce document élimine la nécessité de soumettre à la RBQ une demande de mesures équivalentes, un processus long et fastidieux à l’effet dissuasif. Introduites dans le Code de construction du Québec (CCQ) en 2015, ces dispositions autorisent désormais les bâtiments de six étages en bois pour tous les usages.
Toujours en 2015, la Charte du bois vient à son tour repousser les limites de la construction en bois. À la demande du gouvernement du Québec, la RBQ et FPInnovations produisent un nouveau guide, cette fois pour la construction d’édifices en bois d’au plus 12 étages, une première en Amérique du Nord. Toutefois, son application se limite à la construction massive en bois, c’est-à-dire que seuls le bois lamellé-croisé (CLT ou Cross-laminated timber), le bois lamellé-collé, le bois de charpente composite et hybride (durée de résistance au feu de deux heures) sont autorisés dans ces bâtiments.
Ces avancées ouvrent la voie à des réalisations d’envergure comme les Écocondos Origine (une tour de 13 étages haute de 40 mètres) du consortium NEB dans le quartier de la Pointe-aux-Lièvres, à Québec ou le projet Arbora de Sotramont dans Griffintown, à Montréal. Ce complexe, qui comprend trois immeubles de 8 étages n’est peut-être pas le plus haut bâtiment construit en bois massif mais, avec une superficie totale de près de 600 000 pieds carrés, il est à ce jour le plus vaste du monde en son genre.
Autre facteur favorisant l’adoption du bois massif dans les constructions en hauteur : l’inclusion du CLT dans la norme CSA-O86 Règles de calcul des charpentes en bois. « Cette norme de fabrication est le fruit d’une collaboration entre le Canada et les États-Unis et elle est basée sur les travaux de FPI, indique Sylvain Gagnon, gestionnaire de recherche associé chez FPInnovations. Le Conseil canadien du bois a aussi déposé une demande de révision au Code national du bâtiment afin de permettre la construction de bâtiments en bois jusqu’à 12 étages. »
Valeur écologique
De là à dire que la crise du bois d’œuvre a été salutaire, il n’y a qu’un pas que franchit tout de go Gérald Beaulieu : « Cette situation a forcé l’industrie forestière à se réinventer et c’est dans le développement de nouveaux produits à valeur ajoutée, destinés à la construction et mis au point dans le sillage du projet Forintek en 1994, que réside en grande partie sa survie, souligne-t-il. Aujourd’hui, la montée des préoccupations environnementales favorise également une utilisation novatrice du bois dans le secteur du bâtiment commercial. »
D’autant qu’un rapport publié en 2007 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, un organisme scientifique chapeauté par l’Organisation des Nations unies, jette un éclairage nouveau sur la ressource forestière en soulignant sa capacité à se renouveler à l’échelle humaine et à mitiger le changement climatique par séquestration du carbone. Et prône du même jet le recours aux produits du bois dans la construction des bâtiments.
« Selon moi, ce qui a amené les professionnels à considérer la construction de bâtiments en hauteur en bois, ce n’est pas tellement la charte sur le bois que l’empreinte environnementale associée aux bâtiments, estime pour sa part Pierre Blanchet, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval. La charte n’a pas nui, c’est sûr, mais ce n’est pas le véritable catalyseur de ce changement. D’ailleurs, elle commence tout juste à être efficace, avec des outils d’évaluation en avant-projet.
Les véritables bénéfices, à ses yeux, c’est à partir de maintenant qu’on va les observer, par exemple avec la Société québécoise des infrastructures et la Société d’habitation du Québec, qui devraient multiplier les constructions en bois de six étages et moins. « Il va rester de grands remparts à percer, dont les écoles où, à partir d’une certaine superficie, la construction doit être incombustible, précise-t-il. Mais on sent une volonté. Peut-être qu’on verra bientôt des projets pilotes, puis on élaborera un guide et ces nouvelles règles seront par la suite incluses dans le Code. »
Assemblages améliorés
Titulaire de la Chaire industrielle de recherche du CRSNG sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB), Pierre Blanchet ajoute que le CLT figure parmi les principaux déclencheurs qui favorisent aujourd’hui de telles constructions. D’abord par sa dimension structurale, qui autorise la reprise des charges latérales, en flexion et en compression. Ensuite par sa dimension commerciale. Le matériau, qui est fabriqué en usine, accélère en effet le chantier grâce à un assemblage de type meccano, un avantage pour les promoteurs. Il est aussi mieux documenté sur le plan du confort acoustique et de la résistance au feu et à l’eau, ce qui contribue à faire diminuer les primes d’assurance associées aux bâtiments en bois.
« Le CLT peut être encore optimisé, note le professeur. On pourrait utiliser moins de matériaux pour obtenir le même résultat. Il faut aussi travailler sur les connecteurs. Présentement, on utilise des étriers en acier, mais ils ne sont pas esthétiques, on doit les rendre invisibles. Par exemple, en insérant des tiges métalliques dans le matériau et en les recouvrant d’époxy. Une fois bien positionnés à l’intérieur du matériau, ils ne seront pas affectés par la montée en chaleur en cas d’incendie. »
Les travaux de son équipe ont d’ailleurs conduit à la mise au point d’un nouveau connecteur bois-béton. Le principe est tout simple : le bois est percé en usine, le connecteur est mis en place au chantier puis le béton est coulé. De son côté, Sylvain Gagnon souligne l’apport des vis autotaraudeuses, qui accélèrent la mise en œuvre, dans l’essor de la construction commerciale en bois. Et du système constructif MIDPLY, une version novatrice des murs de contreventement développée par FPInnovations et réputée pour sa résilience élevée aux séismes et aux vents extrêmes.
Recherches fructueuses
Et ce n’est qu’un début, estime Sylvain Gagnon, car la recherche ne cesse de progresser aux quatre coins de la planète. Particulièrement au Canada, qui fait figure de chef de file en la matière, entre autres avec NEWBuildS (Network for Engineered Wood-bases Building Systems). Ce réseau multidisciplinaire, qui réunit des professeurs de différentes universités et des chercheurs de FPInnovations, de l’Institut de recherche en construction et du Conseil canadien du bois, travaille sur les systèmes hybrides, la performance structurale du CLT, la résistance au feu et la durabilité des produits évolués.
Du côté de l’Université Laval, le CIRCERB planche sur la réduction de l’empreinte écologique des bâtiments. Les travaux, qui s’articulent autour de trois axes – conception, construction, exploitation –, portent notamment sur l’analyse du cycle de vie comme outil de discrimination lors du choix du système constructif, la mise au point de techniques constructives écologiques et l’élaboration de concepts afin de prolonger la durée de vie des ouvrages et d’en faciliter le désassemblage au moment opportun.
« Il se fait beaucoup de recherche dans les université canadiennes, note Pierre Blanchet. Le Canada fait d’ailleurs bonne figure sur la scène internationale, avec l’Autriche, d’où provient d’ailleurs le CLT, et l’Australie, où l’exploitation forestière est similaire à celle du Canada. Il y a cinq ans, on ne parlait pas de la France, mais aujourd’hui, on y dénombre plus d’une vingtaine de projets en hauteur. On peut dire que l’ajustement s’est fait rapidement. Et ça continue, notamment avec l’apparition de nouveaux produits et systèmes. »
Comme le Pres-Lam, un système structural en bois précontraint par posttension développé en Nouvelle-Zélande. Ce système, qui consiste à placer des torons en acier hautement résistant à l’intérieur ou autour d’un élément structural, puis à les tendre pour ajouter une contrainte de compression et ainsi augmenter la résistance à la traction de cet élément, améliore de beaucoup la résistance des structures aux efforts sismiques. Il procure en outre une bonne résilience, permettant à la structure de retrouver sa position initiale à la suite d’un séisme.
« Cette technologie est également plus économique et écologique que les techniques traditionnelles, relève Sylvain Gagnon. Un bâtiment résilient coûte plus cher à construire, mais il ne subira que très peu de dommages en cas de violent séisme. Les réparations seront minimes, ce qui peut faire baisser les primes d’assurance. Sans compter qu’il ne sera pas nécessaire de démolir le bâtiment pour le reconstruire, un autre atout à considérer. On travaille d’ailleurs actuellement sur une stratégie d’implantation au Canada et aux États-Unis. »
Le chercheur évoque au passage des recherches de plus longue haleine, comme les structures à résille déjà très répandues en Europe. Ces systèmes requièrent une quantité moindre de matériaux et présentent de ce fait des avantages environnementaux supérieurs aux panneaux massifs. « À l’Université de Sherbrooke, des chercheurs se penchent sur une analyse du cycle de vie simplifiée, un genre d’abaque de conception, afin de soutenir le matériau bois tout en permettant l’atteinte de qualités techniques et environnementales supérieures », dit-il.
Démythifier le bois
Pour lui, il est clair que plus la construction en bois sera documentée, plus il sera facile d’y recourir, entre autres dans le multirésidentiel. « Construire un bâtiment de 20 étages en bois, avance-t-il, c’est facile aujourd’hui. Dans le commercial et l’industriel léger, il reste par contre encore beaucoup de démonstrations à faire pour convaincre les décideurs, notamment au chapitre de la rapidité d’exécution, de la réduction de coûts de construction et des avantages environnementaux. »
Une opinion que partage Gérald Beaulieu, qui rappelle de son côté que le bois se distingue sur le plan du confort, de l’efficacité énergétique et de l’exploitation. « On doit continuer à démythifier la construction en bois, fait-il valoir (…). Il faut travailler les messages prônant le bois et resserrer les partenariats pour favoriser les assemblages hybrides. Le but, c’est de concevoir des immeubles performants à l’empreinte écologique la plus faible. »
Lorsqu’on considère que moins de 25 % des bâtiments commerciaux sont construits en bois, alors que plus de 80 % des bâtiments de cette catégorie pourraient l’être en regard du cadre réglementaire actuel, on constate l’ampleur du travail de sensibilisation qu’il reste à faire, tant auprès des donneurs d’ouvrage que des professionnels.
« Présentement, les universités sont capables de répondre aux besoins de formation pour la construction de bâtiments de bois en hauteur, rappelle Pierre Blanchet. Par contre, il n’y a rien du côté des écoles de métier. Et si rien n’est fait, le manque de compétences risque de compromettre l’essor de la construction en bois.
- Séquestration du dioxyde de carbone (CO2)
- Renouvellement à l’échelle humaine de la ressource
- Énergie intrinsèque inférieure à celle des autres matériaux structuraux
- Apparition de structures hybrides
- Amélioration de la durabilité et de l’efficacité énergétique des systèmes de construction en bois
- Modification au Code de construction du Québec pour inclure la construction en bois de bâtiments de six étages ou moins et publication de lignes directrices pour les bâtiments d’au plus 12 étages
Issus de la biomasse d’origine végétale, les matériaux biosourcés pourraient occuper à l’avenir une place grandissante dans le secteur du bâtiment. « La construction 100 % biosourcée, c’est-à-dire au moyen de matériaux issus de résidus forestiers, est à nos portes, assure Sylvain Gagnon, gestionnaire de recherche associé à FPInnovations.
« Plusieurs recherches sont en cours pour mettre au point des produits isolants à base de bois et des revêtements extérieurs durables et ignifuges, précise-t-il. On pourrait bientôt voir des systèmes tout bois remplacer les chapes de béton et de nouveaux panneaux et connecteurs à base de cellulose. La cellulose pourrait aussi se substituer au ciment dans le gypse. Le but visé est d’éliminer les matériaux non renouvelables dans le bâtiment afin d’en améliorer le bilan écologique. »
En adoptant la Charte du bois, le gouvernement du Québec s’est engagé à ce que le bois soit systématiquement évalué dans la construction de bâtiments publics, financés en tout ou en partie par l’État, par le biais d’une analyse comparative du bilan carbone réalisée en amont des projets. C’est ce qui motive Cecobois à développer un calculateur carbone qui mettra en perspective l’impact environnemental de différents matériaux à l’étape de la conception. « Concrètement, illustre la conseillère technique Caroline Frenette, il s’agit d’un chiffrier Excel qui présente des fenêtres de saisie pour choisir les matériaux de structure et les quantités nécessaires pour chaque section du bâtiment.
« À ces quantités, poursuit-elle, sont attribuées des émissions de gaz à effet de serre. L’outil comprend deux interfaces : l’une pour la saisie simplifiée afin d’estimer les quantités de matériaux ; l’autre pour la saisie détaillée pour saisir les quantités exactes déterminées à l’étape de la conception préliminaire. Le calculateur évaluera l’empreinte carbone pour différents scénarios et permettra de les comparer entre eux. »
Avec le lancement du guide Bâtiments de construction massive en bois d’au plus 12 étages, le Québec devenait la première juridiction en Amérique du Nord à encadrer la construction de bâtiments en bois d’une telle hauteur. Et ses travaux ont d’ailleurs franchi bien des frontières depuis le lancement de cet ouvrage en août 2015.
En plus de servir de référence pour l’élaboration de la prochaine édition du Code national du bâtiment du Canada, les lignes directrices émises par le Québec ont fait l’objet d’une présentation au Forum franco-québécois bois et forêt tenu en novembre 2015, à Paris.
Devant l’engouement international pour la construction de bâtiments en bois de grande hauteur, le gouvernement a d’ailleurs publié une version anglaise du guide, laquelle est disponible sur demande. Près d’une centaine de requérants ont contacté la Régie du bâtiment du Québec pour l’obtenir depuis sa parution en décembre 2015. Ces demandes provenaient d’autres provinces canadiennes, mais également de l’Australie, de l’Autriche, de l’Espagne, des États-Unis, de la Finlande, de l’Italie et de la Suède.
Développé en Nouvelle-Zélange, le Pres-Lam est un système que vise à implanter FPInnovations en sol nord-américain. Il consiste à placer des torons en acier hautement résistant à l’intérieur ou autour d’un élément structural, puis à les tendre pour ajouter une contrainte de compression et ainsi augmenter la résistance à la traction de cet élément.