CHRONIQUE DE BÂTIMENT DURABLE QUÉBEC
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Masse thermique, inertie thermique et déphasage. La masse thermique en quelques mots.
L’utilisation de la masse thermique en architecture ne date pas d’hier. Il y a environ 2 500 ans, cette stratégie de conception occupait déjà une place de choix dans le modèle de maison fonctionnelle proposé par Socrate[1]. Cette maison, grâce à sa géométrie particulière et sa façade principale orientée au sud, favorisait la pénétration du rayonnement solaire en saison hivernale, de manière à ce que son plancher puisse se gorger de chaleur pendant le jour. En fin de journée et durant la nuit, cette chaleur se libérait graduellement, bonifiant ainsi le confort des occupants.
Grands principes
Tel que le résume Yves Perrier dans un dossier portant sur la conception de maisons solaires passives[2], l’image la plus simple pour comprendre la notion de masse thermique est celle d’une pierre entourant un feu. En raison de sa forte densité, cette pierre demeurera chaude, et ce, même longtemps après que le feu se sera éteint. Cette capacité d’absorber une quantité significative d’énergie et de la réémettre graduellement par la suite est appelée l’inertie thermique.
Entre autres, cette inertie peut contribuer à limiter les effets d’une variation brusque de la température extérieure sur le climat intérieur par un déphasage entre la température extérieure et la température des surfaces intérieures ainsi que par un amortissement de l’amplitude de cette variation. Ce déphasage, lorsqu’il est maîtrisé par les concepteurs, permettra de retarder l’impact de la chaleur en provenance de l’extérieur jusqu’en fin de journée, un moment où il est plus facile de la gérer. Dans le cas d’un écart de l’ordre de 3 à 4 °C entre les températures diurne et nocturne, le processus d’échange se verra grandement facilité.
Concrètement, la chaleur emmagasinée sera restituée par convection, dès que la température de l’air environnant sera plus basse que celle de la surface de la masse, ou encore par rayonnement, lorsque la température de surface des objets avoisinants deviendra inférieure à celle de la masse. Notons aussi que contrairement à la croyance populaire, les éléments de masse n’ont pas à être exposés au rayonnement solaire direct pour contribuer à la performance globale de la stratégie[3], bien que cela soit plus efficace pour capter et stocker.
Diverses possibilités
En intégrant certains éléments de masse à ses bâtiments, le concepteur peut espérer :
- Retarder les effets des gains solaires de manière à les gérer plus efficacement
- Réduire les flux de chaleur ou la pointe de température
- Réduire les charges de chauffage et de climatisation
- Réduire les variations de température intérieure
- Augmenter la température moyenne intérieure
- Augmenter la température minimale ou réduire la température maximale
L’intégration d’une masse thermique passive à un système actif est à la fois possible et chose courante. Dans ces situations, l’énergie est transférée de la masse « fixe » à un fluide circulant à l’intérieur de cette dernière. Ce fluide est alors accumulé dans un réservoir dimensionné en fonction de la nature de la source de chaleur et des besoins énergétiques de l’immeuble.
Un bon défi
Ceci étant dit, l’utilisation de la masse thermique en architecture n’est pas nécessairement garante de succès. Comme l’exposent Diane Bastien et Andreas K. Athienitis, de l’Université Concordia, dans le cadre d’une revue de la littérature portant sur le sujet[4], des études ont démontré que plusieurs bâtiments ayant recours à la masse thermique étaient associés à des performances et des économies d’énergie décevantes. Pire encore, des recherches menées à l’aide de simulation ont permis de conclure que les économies espérées pouvaient être complètement annulées si aucune stratégie d’opération complémentaire telle que la ventilation naturelle nocturne n’était prévue au projet.
Ces constats importants rappellent, une fois de plus, la nécessité de réfléchir, concevoir et développer les projets à l’aide d’un processus de conception intégrée.
[1] « Socrate’s sun-tempered house », concept présenté dans : Book III, Chapter VIII, of Xenophon’s Memorabilia of Socrates.
[2] Y. Perrier (2009), « Comment utiliser la masse thermique dans les maisons solaires », La maison du 21e siècle, printemps 2009, version électronique : www.maisonsaine.ca
[3] D. Balcomb (1983), « Prediction of internal temperature swings in direct-gain passive solar buildings », Proceedings of Solar World Congress, Perth, Australie, p. 6.
[4] D. Bastien et A.K. Athienitis (2018), « Passive thermal energy storage, part 1: Design concepts and metrics », Renewable Energy, vol. 115, p. 1319-1327.
Par François Cantin, M. Sc. Arch.
L’auteur est chargé de projet chez Coarchitecture, spécialiste des stratégies d’occupation et du confort de l’occupant au sein des environnements de travail, formateur pour le Centre de formation en développement durable de l’Université Laval ainsi que bénévole pour le Conseil du bâtiment durable - Québec (CBDCa-Qc).