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La solution bois de l’édifice Fondaction

5 octobre 2010
Par Rénald Fortier

Zoom sur le processus de design du bâtiment pourvu de la plus haute structure de poutres et colonnes en bois en Amérique du Nord : l’édifice Fondaction, à Québec.

En 2007, le temps est venu pour Fondaction de loger son siège de Québec dans un édifice en propriété. Le fonds de développement de la CSN pour la coopération et l’emploi cible pour son projet de construction un emplacement à l’angle du boulevard Charest Est et de la rue Saint-Anselme, tout près des bureaux qu’il occupe alors en location dans le quartier Saint-Roch. Et il décide dès le départ qu’il s’agira d’un bâtiment écologique, avec pour point de mire l’obtention de la certification LEED-NC, niveau Or.

La conception s’amorce à la fin de 2007. Elle s’oriente dès lors vers un design s’articulant autour d’une ossature de béton, qui sera enveloppée d’un mur-rideau de verre et d’un revêtement de grès. En cours de route, Fondaction propose toutefois à l’équipe de projet de se tourner vers une charpente en bois, histoire d’offrir à l’industrie forestière québécoise une vitrine pour l’utilisation de ses produits à valeur ajoutée dans la construction non résidentielle.

L’idée sourit d’emblée à Gilles Huot, l’architecte montréalais chargé de la conception du bâtiment, tout comme à Stéphane Rivest, l’ingénieur en structure appelé à travailler au projet, Mais il y a un hic, et il est de taille : l’édifice de Fondaction, d’une superficie de 60 000 pieds carrés, comptera six niveaux hors sol. Or, le Code national du bâtiment (CNB) interdit les matériaux combustibles au-delà de quatre étages…

Aussi mince puisse-t-elle apparaître à ce moment, la possibilité d’aller de l’avant avec la solution bois est néanmoins présente. C’est que parmi les plus récents changements apportés au chapitre I, Bâtiment du Code de la construction du Québec figure l’encadrement de l’approche par objectifs que prévoit le CNB 2005. En vertu de cette modification, entrée en vigueur en mai 2008, les professionnels du bâtiment peuvent donc proposer à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) une solution de rechange – des objectifs à atteindre – pour approbation en lieu et place d’une prescription figurant au Code.
 
Les objectifs à atteindre pour pouvoir ériger une structure en bois au-delà de quatre étages tiennent plus particulièrement, bien sûr, à la résistance au feu et à la vitesse de propagation des flammes d’un palier à un autre. « La RBQ s’est montrée ouverte à analyser des mesures différentes comme on les appelle, relate Gilles Huot. Pour obtenir son aval, il nous fallait nécessairement démontrer que celles introduites dans la construction de l’édifice Fondaction étaient aptes à assurer la sécurité des usagers et des biens. »

C’est dans cet esprit que s’engage le design préliminaire en bois. On s’assure donc, par exemple, de concevoir la charpente pour qu’elle puisse subir un feu pendant 60 minutes – le bois se consume au rythme de 36 mm à l’heure et on a utilisé un facteur de 40 mm pour le projet par mesure de sécurité – sans que soit pour autant affectée l’intégrité de l’édifice. Tout comme on voit à surdimensionner le système de gicleurs du bâtiment.

La présentation des mesures différentes à la RBQ se déroule en parallèle avec le concours de Paul Lhotsky, président de Civelec Consultants, firme montréalaise de génie-conseil spécialisée en matière de protection contre les incendies. Comme la livraison du bâtiment ne peut être retardée, la réalisation du projet de 14,5 millions de dollars doit continuer de suivre son cours pendant qu’est menée cette démarche pour le moins complexe. Si bien que le chantier s’ébranle en août 2008, avec les travaux d’excavation, et que l’édification d’une structure en béton figure toujours à l’agenda.

« Nous avons fait le design de la charpente en bois tout en continuant la confection des plans et devis pour une structure en béton, raconte Séphane Rivest, président de la société d’ingénierie montréalaise BES  (Bureau d’études spécialisées inc.). Nous avons même construit les fondations avec une descente de charges correspondant à un bâtiment en béton et non en bois. Lorsque nous avons reçu l’avis favorable de la RBQ, au printemps 2009, on arrivait au rez-de-chaussée.

« Nous avons donc décidé d’y aller avec un système de structure hybride, poursuit-il, composé de poteaux et de poutres en bois ainsi que de murs de contreventement en béton. Nous aurions pu pousser nos études pour tout faire en bois, ou encore en bois et en acier, mais nous n’avions pas le temps. Il fallait vite finaliser les plans préliminaires qui avaient été confectionnés pour la charpente en bois. »

Retenu à la suite d’une demande de soumissions, le fournisseur des poteaux, des poutres et du platelage en bois lamellé-collé, Nordic Structures de bois, une division de Chantiers Chibougamau, doit lui aussi s’atteler à la tâche rapidement pour lancer la production. Les éléments de la charpente seront constitués de baguettes de bois de un sur deux pouces faites à partir de têtes d’épinettes noires recyclées.

« Ces têtes d’épinettes sont récupérées dans les abattis forestiers où elles sont normalement laissées parce qu’elles sont trop petites pour faire du bois d’œuvre, souligne au passage Gilles Huot. Ce sont des fibres jeunes comportant peu de défauts (nœuds), qui sont très denses et qui offrent des performances structurales très intéressantes. »

L’érection de la structure commence en octobre et se poursuit jusqu’en décembre. Elle se déroule sans accroc, sinon un problème de tolérance qui survient dès le départ. Stéphane Rivest précise : « Il n’y avait pas assez de jeu dans les connexions. Comme c’était trop précis, les monteurs avaient beaucoup de difficulté à assembler les pièces de bois. Mais la situation a été corrigée rapidement après la première livraison. »

 

Les défis
Si tout se déroule selon le calendrier établi, Fondaction prendra possession de ses nouvelles installations au printemps prochain. Le fonds de la CSN disposera alors de l’édifice contemporain pourvu de la plus haute structure en poutres et colonnes en bois en Amérique. Une première qui aura posé de grands défis de conception à ses artisans, au premier chef à l’ingénieur en structure et à l’architecte.

Gilles Huot signale d’entrée de jeu qu’une foule de détails techniques ont dû être pris en compte, notamment en raison de l’affaissement attendu au niveau de la structure. Par exemple, le mur-rideau et toute la fenestration ont dû être conçus pour être capable de prendre ce fluage. C’est sans parler aussi, toujours à titre d’exemple, de l’attention toute particulière qui a dû être accordée à l’intégration des équipements électromécaniques parce que la charpente devait demeurer apparente.

« Une structure en bois comme celle de l’édifice Fondaction, observe-t-il, on ne peut pas prendre ça dans un tiroir et faire du copier-coller. L’édification d’un bâtiment multiétagé en bois, ça devient du cas par cas. »

Stéphane Rivest est bien d’accord, lui qui cent fois sur le métier a dû remettre ses calculs : « Nous ne faisions pas de la répétition, dit-il. Nous étions plutôt engagés dans la réalisation d’une première pour une structure en bois et nous tenions mordicus à ce que l’expérience soit couronnée de succès. Nous n’avions pas le luxe de nous tromper, car cela aurait nui au développement de toute la filière de la construction non résidentielle en bois. J’y ai rêvé souvent la nuit… »

Il faut dire que l’ingénieur a dû composer avec un manque criant de données techniques sur la conception de telles structures multiétagées en bois, particulièrement sur le plan du fluage. Une problématique amplifiée par le recours à des noyaux de béton et à une structure de bois au périmètre. S’il est bien connu que le béton fait son retrait assez rapidement, et qu’il ne fluerait pas beaucoup dans ce cas puisqu’il n’y avait pratiquement pas de charge sur les murs, il en allait tout autrement avec le bois. Sinon que l’on savait qu’il rétrécit sous l’effet de l’humidité, d’une part, et qu’il se déforme dans le temps avec l’application de charges permanentes, d’autre part.

Il fallait donc faire attention aux différents comportements du bois, qui n’est pas très bien connu, et du béton présent dans la structure pour ne pas se retrouver avec des tassements différentiels et des dénivellations de plancher. Surtout que l’effet du fluage est d’autant plus sévère quand on est rendu à six étages et qu’on cumule de la déformation de plancher en plancher.

La solution préconisée pour contourner ce problème appréhendé : positionner les colonnes de façon en continu, tout en évitant de leur faire prendre appui sur des éléments horizontaux. Stéphane Rivest explique : « Le fluage est énorme perpendiculairement aux fibres du bois, mais il est négligeable dans le sens des fibres parce que celles-ci sont distribuées dans le sens que pousse l’arbre. C’est pour ça que nous avons opté pour des colonnes qui montent de deux étages en deux étages, et auxquelles ont été fixées les poutres. »

Bien d’autres défis ont dû être relevés en cours de conception, comme la résistance au feu des connexions entre les poteaux et les poutres de bois, le découplage des charges gravitaires et latérales – les efforts latéraux sont repris par les murs de béton et ceux verticaux par la structure en bois, l’atténuation de la vibration des planchers et la liaison entre le bois et le béton. Mais avec un peu de recul, Stéphane Rivest estime que le jeu en valait réellement la chandelle. Gilles Huot aussi.

« L’édifice Fondaction, conclut l’architecte, je considère que c’est un projet à valeur ajoutée. Il démontre que l’on peut se servir du bois, une ressource locale, pour faire autre chose que des 2 x 4, des 2 x 3, des copeaux de bois ou de la pâte à papier. Particulièrement en l’utilisant dans le bâtiment non résidentiel. »

Équipe de projet

Propriétaire Fondaction
Architecture Gilles Huot, architecte (GHA, Architecture et développement durable)
Génie structural et civil BES (Bureau d’études spécialisées inc.)
Génie électromécanique Roche ltée, Groupe-conseil
Codes et normes Civelec Consultants
Gérance de construction Pomerleau
Consultation LEED Courchesne et associés / Vertima
Montage de la structure Les Constructions FGP
Fourniture du bois de charpente Nordic Structures de bois

 

Le bois déchiffré


1,5 M$ Coût de la charpente de bois
500 mètres cubes  Volume de bois des poutres et colonnes
480 mètres cubes Volume de bois du platelage
22,2 mètres Hauteur totale de l’édifice
7 mètres Hauteur des colonnes
6,2 mètres Portée des poutres principales
6 mètres Portée des poutres secondaires
362 x 480 millimètres Dimension des colonnes
362 x 527 millimètres Dimension des poutres principales
181 x 527 millimètres Dimension des poutres secondaires
89 millimètres Épaisseur du platelage
480 kN/M³ Poids volumique de l’épinette noire, essence de bois utilisée pour tous les éléments en lamellé-collé

 

Une réalisation durable


Parmi les mesures écologiques préconisées dans le cadre du projet, soulignons les suivantes :

  • Déconstruction préalable de deux bâtiments sur le site et récupération de 94 % des débris
  • Décontamination des sols
  • Réduction de la consommation énergétique de l’ordre de 40 % par rapport au bâtiment de référence du Code modèle national de l’énergie pour les bâtiments
  • Réduction de la consommation en eau potable de l’ordre de 40 %
  • Résistance thermique de R-30 pour les murs extérieurs et de R-40 pour la toiture
  • Climatisation et chauffage par ventilo-convecteurs
  • Vue sur l’extérieur pour 95 % des locaux occupés par du personnel
  • Membrane de toiture blanche
  • Stationnement pour 22 vélos avec douches et toilettes
  • Bois certifié FSC
  • Matériaux et produits à faible émissivité de COV

 

Crédits LEED-NC*
CatégoriePoints
Aménagement écologique des sites08
Gestion efficace de l’eau02
Énergie et atmosphère07
Matériaux et ressources07
Qualité des environnements intérieurs12
Innovation et processus de design05
Total41

* Ventilation des crédits escomptés