Une réalisation ancrée dans son milieu dont la durabilité n’a d’égale que son exemplarité : l’agrandissement du bâtiment de Rayside Labossière.
S'il fallait résumer en quelques mots le projet d’agrandissement de la firme d’architecture montréalaise Rayside Labossière, dont l'ambition était de pousser plus loin les mesures environnementales, une image vient très vite à l'esprit : celle d'un laboratoire technologique de mesures durables.
À l'évidence, la barre fut placée très haut en matière de considérations écologiques et de prouesses architecturales pour cet ajout qui, près de 18 ans suivant la construction de l'immeuble de première génération – alors appelé Le Casse-tête –, sur la rue Ontario à Montréal, retrouve l'esprit très vert du projet initial qui déjà comptait pour l'un des premiers bâtiments LEED au Canada. En font preuve les certifications briguées par la firme, soit LEED v4 Platine, WELL et Living Building Challenge, sans compter que le projet a récemment obtenu la certification Bâtiment à carbone zéro (BCZ) – Design du Conseil du bâtiment durable du Canada. Rien de moins !
Destiné à accueillir l’effectif sans cesse croissant de Rayside Labossière, l'agrandissement de l'immeuble aura requis un investissement de 4,5 millions de dollars. Il a permis d’ajouter une surface de près de 400 mètres carrés à la partie existante, qui en comptait déjà 600.
Outre les bureaux, qui occupent principalement le rez-de-chaussée et la mezzanine, le nouveau bâtiment à usage mixte de trois étages abrite également huit logements locatifs aux deux étages supérieurs. Mais avant de voir le jour, ce projet d'agrandissement en milieu urbain aura été au coeur de nombreuses discussions au sein de l'équipe.
« Une première réflexion s'est amorcée en 2015 au moment où nous nous sommes rendu compte que nous étions condamnés à être plus nombreux que prévu à la suite du succès inattendu qu'a connu le bureau, évoque d'entrée de jeu Antonin Labossière, architecte et associé chez Rayside Labossière. Puis au fil de nombreux échanges qui nous ont fait s'interroger sur les différentes options s’offrant à nous, il a fallu choisir parmi tous ces scénarios, incluant celui de déménager. Comme nous étions attachés à l'idée d'avoir pignon sur rue dans le quartier en pleine transformation – Ville-Marie –, où notre firme est déjà connue, c'est l'option d'agrandissement par la construction d'un nouveau bâtiment adjacent qui a été retenue. »
Construire et agrandir par l'arrière de l'immeuble existant tout en s'adaptant à la configuration plutôt singulière du terrain, tel aura été le premier défi de ce projet relevé avec succès. Le résultat final est un ensemble ingénieusement conçu dont la réalisation n’aura pas été sans amener son lot de défis à relever.
« Notre ambition de concevoir un bâtiment écologique et d'atteindre les certifications les plus ambitieuses, accompagnée d'une réflexion sur les coûts d'opération reliés au budget dont nous disposions, en plus des pourparlers avec la Ville, a constitué un long et ardu processus qui a fait en sorte que la construction n'a pu débuter qu'en septembre 2019, relate Antonin Labossière. Mais nous étions loin d'être au bout de nos peines avec le dur coup asséné par la pandémie en mars 2020 où tout a freiné sec !
« Et ensuite, poursuit-il, nous avons eu des problèmes d'approvisionnement; soit que le produit n'était plus disponible, soit qu'il avait triplé de prix. Bref, il fallait recommencer le travail chaque fois et voir le chantier prendre du retard ! On peut dire que ce fut un défi assez gigantesque qui aura retardé la fin du chantier d'une bonne année, les travaux n'ayant été complétés qu'en décembre 2021. »
Depuis, l'agrandissement des bureaux de la firme propose une alternative particulièrement éloquente aux aires de travail traditionnelles avec une optimisation habile des espaces qui bénéficient d'une architecture ouverte, flexible et invitante pouvant, au besoin, s'ajuster aux changements futurs dans l'équipe.
En témoignent notamment un souci d'ouverture vers son milieu rendue possible grâce à ses grandes fenêtres ouvrantes qui insufflent de la lumière naturelle et qui créent ce dialogue bienvenu entre l'intérieur et l'extérieur. C’est sans oublier l'importante mezzanine en bois suspendue par le haut à l'aide de suspentes plutôt que déposée sur des colonnes, la structure de bois apparente, les balcons surdimensionnés et la présence de plantes, tout au long de la mezzanine, qui renforce l'esprit biophilique des lieux.
Comme si ce n’était pas assez, s'ajoutent à cette liste la géothermie, les planchers radiants, les panneaux solaires sur une partie du toit alors que l'autre partie est un toit vert, la ventilation et l'éclairage naturels. En somme, toutes des mesures durables qui concourent au confort de l'occupant et contribuent positivement au fait que les gens ont envie d'être au bureau.
Au chapitre des principales stratégies proposées sur le plan écoénergétique, avec l'ambition d'atteindre la certification BCZ envisagée par l'équipe, un enjeu de taille s'est imposé d'emblée : celui de l'indice de demande d'énergie thermique (IDET). Félix Robert, ingénieur en efficacité énergétique et mécanique du bâtiment chez Ambioner, résume sous quel angle, du point de vue mécanique, il a abordé le sujet : « Atteindre une cible d'IDET est très exigeant, mais je savais qu'en réalisant cet objectif en matière de performances écoénergétiques, le reste allait probablement découler et cela nous permettrait de cocher un maximum de cases.
« Une modélisation énergétique a d'abord été effectuée pour s'assurer que nos systèmes mécaniques obtiendraient la performance attendue, ajoute-t-il. Puis, différentes stratégies ont été mises de l'avant, dont deux principales qui ont eu beaucoup d'influence dans le projet, c'est-à-dire la charge de chauffage assurée en totalité par des thermopompes géothermiques et, en matière de réduction à la source, l'isolation de l'enveloppe sur laquelle nous n'avons pas lésiné, alors qu'un effort supplémentaire a été apporté aux résistances thermiques. Outre le fait que ce projet réponde aux exigences de certifications les plus rigoureuses en matière de stratégies écoénergétiques, les enjeux se sont faits assez rares, hormis la question du coût. »
Volonté bioclimatique
« Malgré les certifications visées, notre idée n'a jamais été de faire de la technologie très sophistiquée, mais plutôt de la technologie bioclimatique low-tech, indique Antonin Labossière. » Et c'est de cette volonté bioclimatique que part le geste principal qui aura guidé l'ensemble du design de ces nouveaux espaces, l'objectif étant de suivre cette voie en intégrant un archipel de solutions multiples, à commencer par la façade.
« Après avoir réalisé des études d'ensoleillement, reprend Antonin Labossière, nous avons fait le choix de reculer la façade située côté soleil qui se replie en retrait, plutôt que de s'aligner à la limite du trottoir, et d'y ajouter stratégiquement de généreux balcons aux étages supérieurs pour éviter que le soleil entre dans les bureaux sans nuire à la luminosité des lieux. La raison? Suivant les calculs énergétiques effectués, les résultats ont démontré que la plus grosse consommation d'énergie pour l'espace travail était la climatisation et non le chauffage, alors qu'à l'inverse, pour les logements, c'est le chauffage qui s'avérait plus énergivore.
« Maximiser les balcons aura donc permis de réduire l'éblouissement tout en permettant aux grandes fenêtres d'inonder les espaces de lumière, poursuit-il, mais sans que le soleil puisse y pénétrer directement, et du même pas, de diminuer la charge d'énergie pour la climatisation. Le fait que l'on puisse aussi ouvrir les fenêtres procure une ventilation assez extraordinaire qui est aussi très appréciable. »
Le bois et ses applications
Environnement chaleureux, sympathique, vivant et adaptable ont été les maîtres mots qui ont guidé la réalisation de l'agrandissement des bureaux de Rayside Labossière. Et quoi de plus éloquent que le bois dans un tel cas de démarche bioclimatique pour réduire toujours plus l'impact environnemental du bâtiment. Il allait sans dire que toute l'équipe tenait fermement à intégrer un maximum de bois dès le début du projet.
« Il s'agit fort probablement de l'un des projets les plus hybrides qui soit, note Jean-René Larose, ingénieur en structure chez L2C Experts-Conseils. Il est composé non seulement de béton et d'acier, mais aussi d'une très grande variété de matériaux de bois. » L'omniprésence du bois se décline sous plusieurs formes : structure principale de bois d'ingénierie sur deux étages (poutres, colonnes en lamellé-collé, planchers mezzanine faits en lamellé-cloué); étages du dessus constitués de poutrelles ajourées en bois standard avec des cloisons porteuses en 2x6 et en 2x4 munis d'un système de murs de refend en contreplaqué; toit en bois d'ingénierie dans lequel on retrouve des poutres de lamellé-collé avec un revêtement de platelage de bois, pour ne nommer que celles-ci.
« Force est de constater, poursuit Jean-René Larose, qu'il existe très peu de projets conçus de cette manière. Je dirais même qu'il n’y en a aucun. Et le plus grand des défis aura été très certainement la coordination exceptionnelle de tous les corps de métiers pour réussir un tel projet. »
Antonin Labossière confirme le bien-fondé de leur nouvelle réalisation : « Le fait de construire en ville et la manière dont on occupe l'espace auront occasionné bien des défis, mais le résultat se traduit par un projet plus pertinent, mieux adapté et plus incarné. Ce fut un gros combat, mais quelle belle réussite que d'offrir une autre version de l'évolution de la ville ! »
- Client : Rayside Labossière architectes
- Architecture : Rayside Labossière architectes
- Génie électromécanique et mise en service : Ambioner
- Génie structural : L2C Experts-Conseils
- Construction : PMC La Chance
- Coordination LEED : Écohabitation
- Conception de la partie lamellé-collé : Art Massif
- Conception et installation de la géothermie : Marmott Énergies
- Toiture verte : absorption et utilisation d'une partie de l'eau de pluie et réduction des îlots de chaleur
- Ventilation naturelle (75 % des espaces régulièrement occupés ont des fenêtres ouvrantes)
- Choix de matériaux sains qui ne se retrouvent pas sur la liste rouge du Living Building Challenge
- Urinoirs sans eau hybride (seulement une chasse d'eau de 3,8 L aux 72 heures)
- Beaucoup de stationnements pour vélos (environ 1 par 2 occupants, plus visiteurs) et vestiaire avec douches
- Forte présence végétale à l'intérieur et considération de la biophilie dans les choix de design
- Cour arrière et cour avant végétalisées
- Couvre-sol en remplacement du gazon
- Plantes indigènes et adaptées (aucune plante envahissante)
- Système de géothermie composé de cinq puits de 130 mètres de profond
- Système solaire photovoltaïque de 14 580 W composé de 36 panneaux bifaciaux de 450 W installés en toiture. Le rendement annuel est estimé à 18 MWh, soit 12 % des besoins énergétiques du bâtiment (ou le tiers des besoins énergétiques de l'espace bureau)
- Isolation thermique performante : résistance thermique effective des murs de fondation, dalles sur sol et de la toiture équivalente ou supérieure aux exigences de Novoclimat 2.0
- Fenêtres certifiées Energy Star à vitrage triple avec double pellicule Low-E avec gaz argon
- Système de plancher radiant hydronique alimenté par la géothermie pour la dalle du rez-de-chaussée
- Balcons en porte-à-faux et toiture en projection avec des écrans devant les balcons servant de parois végétalisées
- Ventilateurs récupérateurs d'énergie (VRE) performants dans les logements permettant également une meilleure gestion de l'humidité; ventilateur récupérateur de chaleur (VRC) performant pour l'espace bureau
- Construire avec une structure de bois. Selon l'analyse Gestimat soumise pour le prix Cecobois, cette structure représente une réduction de 63 % d'émissions de GES (71 kg éq. CO2/m2) comparativement à un scénario de référence en acier (194 kg éq. CO2/m2)
- Éviter tous équipements combustion
- Utilisation du ciment Portland Element produit par le procédé Synergia de Ciment Québec
- Ajout d'un maximum de cendre volante afin de réduire l'empreinte environnementale du béton en diminuant la proportion de ciment utilisé
- Éviter dans la mesure du possible tous revêtements de finition supplémentaires
- Usage de matériaux régionaux selon les exigences du Living Building Challenge Compensation des émissions des GES associées à l'exploitation du bâtiment
- Et autres
L’agrandissement de Rayside Labossière a raflé, plus tôt cette année, la palme dans la catégorie Développement durable à l’occasion de la huitième édition du gala des Prix d’excellence Cecobois. Outre la firme d’architectes et aussi propriétaire du bâtiment, cet honneur a rejailli sur l’équipe réunissant Ambioner, L2C Experts-Conseils, Art Massif, PMC La Chance, Écohabitation, Les Constructions FGP, Kefor, Structures Fermetec, Planchers Mirage, Upper Canada Forest Products et Module Ultra.
Poutres et colonnes en lamellé-collé, platelage, linteaux composés, mur porteur en colombage de bois... Le volume total de bois intégré dans le design du projet s’est établi à 133,85 mètres cubes.