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Les enjeux oubliés du bâtiment post-COVID-19

31 juillet 2020

Un collectif d’étudiants à la Chaire industrielle de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB), à l’Université Laval, livre ses réflexions sur le bâtiment post-COVID-19.

« Rien ne sera jamais plus pareil. » Ce grand titre a souvent été repris dans les médias depuis le début de la pandémie. La crise sanitaire actuelle modifie plusieurs aspects de nos vies, notamment notre relation à l’environnement bâti. Pourtant, l’importance accordée à nos lieux de résidence est encore très peu présente dans le débat public. Quel sera l’après-COVID-19 pour le secteur du bâtiment résidentiel?

Que ce soit pour ses surfaces partagées, ses systèmes et équipements, ou simplement pour son achalandage, le bâtiment est souvent présenté comme un lieu de contamination potentiel. En prenant en exemple une visite à une salle de bain publique malpropre, Oppel s’interroge sur notre manière de réfléchir au bâtiment et sur les risques posés par les objets du quotidien : « Poignées de porte, interrupteurs d'éclairage, poignées de toilette, boutons de robinet sont tous omniprésents, mais sont-ils nécessaires ? » (traduction libre). Plusieurs organisations, comme BOMA et ASHRAE, ont d’ailleurs publié des guides de bonnes pratiques afin de contingenter les risques de transmission dans les bâtiments. Cette réflexion éclipse toutefois plusieurs autres aspects systémiques qui doivent être considérés pour bien repenser le bâtiment post-COVID : le bâtiment comme secteur industriel majeur, comme constituant de la ville et comme lieu de vie.

Le bâtiment comme secteur industriel

Chaînes d’approvisionnement et préfabrication

La crise sanitaire s’est fait ressentir dans tous les secteurs d’activité, perturbant les chaînes de création de valeur en compliquant le transport de marchandises et la gestion des stocks. Dans le secteur du bâtiment, les chaînes d’approvisionnement varient par leur complexité et leur provenance. Si certains matériaux sont obtenus localement, d’autres comme des composantes d’acier ou de plastique proviennent principalement de marchés internationaux. En temps de crise, cette dépendance vient fragiliser le secteur du bâtiment dans son ensemble. Pourtant, le Canada dispose des ressources, des entreprises, des infrastructures et des savoir-faire nécessaires pour développer la résilience du secteur de la construction. Encourager une transformation locale des ressources naturelles canadiennes en produits à haute valeur ajoutée contribuerait à raccourcir les chaînes d’approvisionnement; à assurer la continuité et les délais d’approvisionnement en temps de crise; à limiter les impacts des fluctuations des marchés internationaux. Cela stimulerait l’économie locale et le développement des régions, tout en contribuant à réduire les impacts sociaux et environnementaux sur l’ensemble du cycle de vie du secteur de la construction.

L’industrie de la préfabrication déplace le lieu de construction du chantier vers l’usine, un lieu clos et contrôlé, ce qui présente plusieurs avantages pouvant faciliter la gestion des risques sanitaires. Travailler en environnement contrôlé permet entre autres d’améliorer l’efficacité de la construction sur chantier; d’offrir une plus grande flexibilité des heures de production; d’instaurer une meilleure ergonomie des postes de travail. La centralisation des activités, la standardisation et la personnalisation de masse permettent aussi de planifier plus facilement les besoins et d’anticiper les fluctuations du marché.

Mettre à profit les secteurs de la forêt et des produits du bois tout en encourageant la préfabrication permettrait de soutenir les entreprises et l’économie locales, en réduisant – du moins, en partie – notre dépendance aux marchés internationaux. Le bois est un matériau léger, facile à transformer et offrant une bonne résistance mécanique, qui est particulièrement compétitif pour les marchés de petites et moyennes hauteurs en Amérique du Nord. Ces qualités contribuent à sa compatibilité avec la préfabrication. Le bois est aussi un matériau biosourcé et renouvelable. Lorsqu’il est aménagé de manière durable, il peut aussi contribuer aux efforts d’atténuation des changements climatiques. La foresterie canadienne figure d’ailleurs parmi les plus certifiées au monde.

Le bâtiment comme constituant de la ville

Étalement urbain ou densification?

L’épisode de confinement a aussi révélé certaines inégalités dans l’accessibilité des aires extérieures et des espaces verts, dans la proximité des services et dans l’exposition à des risques sanitaires dans des espaces communs. En effet, les lieux communs apportent un certain risque de contamination, ce qui limite la maîtrise de chacun sur son environnement. Au contraire, la maison unifamiliale continue de représenter un certain idéal social; cette alternative sécurisante et contrôlable en a motivé certains à quitter leur appartement et la ville. Cette demande induit toutefois de l’étalement urbain qui engendre un empiètement sur les terres agricoles et les espaces naturels, une augmentation des infrastructures et une dépendance accrue à l’automobile. Il paraît donc difficile de concilier l’idéal recherché et la densification. Alors que 75 % des nouveaux bâtiments construits en 2018 étaient multi-étagés, la nouvelle défiance envers les environnements denses vient remettre en question la désirabilité de ces environnements à long terme.

Proposer une densité modérée, un espace public de qualité et une mixité des fonctions (habitations, bureaux, commerces) permettrait de favoriser un bon équilibre entre densification et acceptabilité sociale en créant des logements attractifs, évitant ainsi d’accroître l’étalement urbain. À Québec, les quartiers Montcalm et Vieux-Limoilou en sont de bons exemples. Ces quartiers sont assez denses pour soutenir des services de proximité et un système de transport collectif efficace. Toutefois, par leur échelle humaine, ils limitent le sentiment d’entassement, favorisent la vie en communauté et permettent le développement d’un sentiment d’appropriation. À Barcelone, les super-ilôts restructurent la mobilité urbaine. Ces unités de 400 à 500 m de côté concentrent les transports à des routes partagées et réduisent la circulation automobile à l’intérieur de super-ilôts, ce qui permet de créer de nouveaux espaces de vie publics pour subvenir aux différentes fonctions de la ville. Ce genre d’initiatives contribue à créer des environnements sains et acceptables socialement en ville, et ainsi à rendre le concept de densification compatible avec les enjeux de perception soulevés durant la crise.

Un même niveau de densité peut prendre différentes formes dans la ville.

 

Les super-îlots concentrent la mobilité pour libérer l’espace public et créer<br />
une mixité de fonctions

Le bâtiment comme lieu de vie

Les nouveaux besoins des usagers

Les bâtiments ont un impact majeur sur le bien-être et la santé physique et mentale de leurs occupants. En effet, le Canadien moyen passe près de 88 % de son temps à l’intérieur d’un bâtiment, 6 % dans les transports, et 6 % à l’extérieur. Cependant, les mesures de distanciation physique ont transféré le temps habituellement passé au travail ou à l’extérieur vers le logement, qui est devenu le principal lieu de vie. La crise sanitaire a par exemple forcé plusieurs entreprises à imposer le télétravail à leurs employés. Cette nouvelle réalité de partage du logement entre les sphères professionnelle et privée a introduit un changement des besoins et exacerbé certains problèmes de confort et de bien-être.

Les changements d’utilisation du logement introduisent de nouveaux besoins et contraintes, ce qui invite à reconsidérer les critères de confort habituels. Par exemple, l’éclairage et le mobilier traditionnellement recherchés pour le logement conviennent moins bien pour établir un poste de télétravail ergonomique. Or, la sensation de confort varie en fonction des besoins psychologiques et physiologiques de chacun, et relève en grande partie des perceptions associées à l’environnement. Les bâtiments sont généralement conçus avec des objectifs financiers (ex. rentabilité) et normatifs (ex. énergétique). Les enjeux de confort sont encore peu considérés et donc peu réglementés.

Le contexte changeant du bâtiment post-COVID devrait replacer le confort au cœur de ses priorités. Pour atteindre cet objectif, la première solution est d’adapter l’aménagement des logements actuels. La deuxième serait de réviser les pratiques de conception pour améliorer la qualité et le confort des logements (ex. : pièces supplémentaires, insonorisation). Toutefois, ces changements impliquent des coûts supplémentaires qui se répercuteraient nécessairement sur le prix des logements. Pour éviter de limiter l’accessibilité au confort, une autre solution envisageable serait de proposer des espaces communs pour répondre aux nouveaux usages du logement. Ainsi, le nouveau standard d’habitation devrait peut-être intégrer des espaces de télétravail communs au même titre qu’ils intègrent parfois une salle de sport, une piscine, une buanderie, etc.

Le bois comme moyen d’amélioration du confort

La biophilie, ou l’amour du vivant, constitue une solution d’amélioration intéressante aux enjeux du confort perçu et de la qualité environnementale des logements. En architecture, ce terme désigne une conception qui se rapproche des conditions d’un environnement naturel, par exemple en maximisant la présence de lumière naturelle, en intégrant des plantes ou des matériaux naturels dans les espaces. La biophilie peut aider à réduire la maladie, améliorer la concentration et le rendement au travail grâce à la réduction et à la prévention du stress et de la fatigue. Ces réactions psychologiques et physiologiques ont tendance à être universelles, quelles que soient la culture et la zone géographique.

Parmi les différentes manières d’intégrer la biophilie dans le bâtiment, le bois constitue une solution unique par son caractère naturel et polyvalent (structure, revêtement, aménagements). Intégrer le bois permettrait d’améliorer les conditions environnementales des bâtiments. Son utilisation améliore ainsi la perception de l’environnement, du confort et du bien-être par les usagers; voir et toucher le matériau bois induit une réponse émotive et physiologique qui génèrerait un impact positif sur la santé. Le bois contribue aussi à réduire le rythme cardiaque et le niveau de stress. Par conséquent, l’utilisation de produits structuraux visibles ou de produits d’apparence en bois constitue une solution facile à déployer pour améliorer la qualité de vie des usagers dans les bâtiments.

La crise sanitaire : un levier à exploiter

Dans l’histoire, les crises sanitaires ont souvent été des accélérateurs de changements. Ça devrait être le cas pour la crise sanitaire actuelle pour renforcer un secteur du bâtiment local, et pour résoudre les enjeux de densification saine où le confort des occupants se trouve au centre de ses préoccupations, au même titre que les aspects environnementaux et économiques.

Mais comment rendre ce modèle du bâtiment post-COVID viable, sans augmenter les inégalités socio-économiques? Une réflexion complète ne doit pas limiter le bâtiment à un simple lieu de contamination, mais plutôt le considérer aussi comme secteur industriel, constituant de la ville et lieu de vie majoritaire. La logique actuelle d’optimisation économique est donc peu compatible avec l’établissement du bâtiment post-COVID. Son développement nécessitera donc une prise de conscience et une volonté d’adaptation de tous les acteurs de la société.

Au Québec, cette prise de conscience devrait intégrer une ressource et un secteur d’activité importants : la forêt et les produits du bois. Par ses chaînes de valeur courtes et locales, sa compatibilité avec la préfabrication et l’économie circulaire, sa ressource biosourcée et renouvelable, sa compétitivité pour les marchés de petites et moyennes hauteurs, son caractère biophilique et ses effets sur le confort et la santé, la construction bois constitue une solution possible aux enjeux multiples du bâtiment post-COVID.

Les auteurs de cet article, synthèse d’un document exhaustif publié sur le site web du CIRCERB, sont Clément Blanquet du Chayla, Charles Breton, Baptiste Giorgio, Mathieu Létourneau-Gagnon et Axel Lorenzetti.