Réflexion d’Andrée De Serres, Ph.D., titulaire de la Chaire Ivanhoé Cambridge en immobilier et directrice de l’Observatoire et centre de valorisation des innovations en immobilier (OCVI2), ESG UQAM.
La crise de pandémie actuelle de 2020 laissera des traces dans tous les secteurs d’activité. Elle entraîne dans son sillon un réexamen profond de nos façons de vivre, de se loger et de travailler. Les secteurs du bâtiment et de l’immobilier n’y échappent pas. La pandémie, qui risque de perdurer plusieurs années, révèle l’urgence d’agir et de déployer dès maintenant et rapidement les connaissances acquises progressivement depuis des décennies dans le domaine du bâtiment durable.
Coincé entre le phénomène de densification des villes exigeant une offre rapide de logements et le phénomène de financiarisation du secteur immobilier, le concept de bâtiment durable s’est taillé peu à peu une place de garant de la qualité de multiples attributs de la performance d’un bâtiment.
On s’est d’abord attaqué à la performance de la consommation énergétique des immeubles, le Québec étant privilégié par l’accès à l’énergie hydroélectrique à faibles coûts. La bonne gestion des impacts environnementaux a pris par la suite une place de plus en plus importante : pollution du terrain, toxicité des matériaux, qualité de l’air intérieur et extérieur, etc. S’est ajoutée la gestion de l’empreinte carbone du bâtiment, que ce soit durant sa phase de construction, d’opération ou même, plus récemment, de déconstruction. La performance du bâtiment durable s’est aussi étendue progressivement à la consommation de l’eau, à la gestion des eaux de pluie ou des eaux usées ainsi qu’à la gestion des déchets.
Afin de mesurer et de témoigner de la performance du bâtiment durable, le développement des certifications de bâtiment durable s’est déployé parallèlement (LEED, BOMA BEST, BREEAM, HQE, Energy Star et bien d’autres), accompagné par la multiplication de différentes méthodes et standards de type ISO ou ASHRAE. D’autres tendances ont été remarquées plus récemment : on s’est mis à parler du bien-être et du confort des occupants des immeubles, mesurés dans les immeubles prestigieux par de nouvelles certifications, telles que WELL ou Fitwell.
Or, tel le jeu d’échelle et de serpent, la crise actuelle révèle que des attributs qui semblaient réservés aux édifices les plus prestigieux s’avèrent maintenant dans les faits fondamentaux pour assurer la bonne gestion de tous les types d’immeuble. À l’heure du retour progressif au travail dans les bureaux, commerces, écoles, garderies et dans tous les autres types d’immeubles qui suivront, la mesure de l’efficacité de la gestion des risques reliés à la santé, à la sécurité et au bien-être des occupants d’un immeuble devient une priorité. Cela implique notamment la qualité des travaux d'entretien ménager et sanitaires des espaces communs et des espaces privés, la qualité de l’air, dépendant de la performance des systèmes de chauffage, ventilation et de conditionnement d’air, ainsi que la sécurité de l’immeuble, incluant la gestion et le traçage des déplacements de personnes et de biens.
Les tâches d’entretien et d’assainissement prennent soudain une valeur mésestimée jusqu’alors. Il faudra valider et faire auditer la qualité des routines et des moyens employés. Les immeubles multirésidentiels sont touchés. Les édifices en hauteur, tours multirésidentielles ou tours de bureaux, représentent des défis particuliers à cause des ascenseurs. Pour les hôtels et les autres immeubles associés à l’industrie touristique et à l’industrie du loisir, notamment les centres de sport, ce sera une condition incontournable pour réussir à attirer les clients.
Ainsi, un bâtiment ne peut prétendre être vraiment durable durant sa phase d’opération s’il n’inclut pas la mise en œuvre de systèmes et de moyens permettant de gérer efficacement les risques reliés à la santé, à la sécurité et au bien-être de ses occupants.
Un grand défi attend donc les gestionnaires d’immeubles : non seulement ils devront apprendre à faire très bien en gestion sanitaire, mais ils devront aussi relever le défi d’apprendre à en rendre compte à leurs usagers, aux autorités publiques et à leurs assureurs. Ils bénéficient d’une source d’inspiration, soit les bonnes pratiques mises en place dans les milieux hospitaliers. Le point plus positif de cette situation, c’est qu’il y a là des opportunités d’affaires inédites pour les entreprises innovatrices et de l’espace pour de nouvelles certifications.