Par Hugo Lafrance
Le bâtiment s’ouvre peu à peu aux jardins urbains au Québec. Regard sur un phénomène verdoyant.
Belle journée de printemps pour semer sur son toit-jardin, chaude journée d’été pour entretenir son jardin-terrasse, superbe journée d’automne pour récolter ses bacs de culture : ces expressions pourraient bientôt être entendues régulièrement autour de vous, près de la maison, mais peut-être aussi sur vos lieux de travail…
Se loger, se nourrir : voilà deux besoins essentiels que nous avons presque entièrement divisés au cours du 20e siècle avec l’urbanisation. Maintenant que plus de la moitié de la population mondiale loge en ville, un des plus importants défis au programme du bâtiment écologique pourrait bien être d’associer l’agriculture à la brique et au mortier.
L’agriculture urbaine est loin d’être une mode passagère dont se sont entichés quelques écologistes convaincus. Bien au contraire, c’est toute une philosophie de vie qui se redéploie sur le monde municipal à travers ses branches citoyennes et communautaires, certes, mais aussi institutionnelles et commerciales. Même que le mouvement pourrait s’amplifier plus rapidement qu’on pourrait le croire de prime abord.
Il y a 10 ans, le Canada était le troisième plus important exportateur de nourriture au monde ; depuis, il a glissé au septième rang. En 2009 seulement, ses exportations ont reculé de 9 %, en même temps que ses importations augmentaient de 2 %. Force est donc de constater que la puissante industrie agroalimentaire montre ses limites et, aussi, que la population a besoin de solutions rapides et efficaces.
Il faut comprendre que la conjoncture actuelle impose une pression énorme sur nos systèmes d’alimentation : la croissance de la population et les coûts des soins de santé liés à nos diètes posent des problématiques complexes, d’autant plus que les changements climatiques et les coûts croissants de l’énergie resserrent l’étau des possibilités.
Entre 1943 et 2010, la superficie mondiale de terres cultivables irriguées est passée de 346 à 690 millions d’acres et l’utilisation de fertilisants a quintuplé. Cette croissance phénoménale ne pourra plus continuer au même rythme alors que les ressources se raréfient et que leur coût explose : la disponibilité de l’eau et le coût du pétrole (et autres biogaz) feront grimper en flèche les prix des denrées alimentaires. Les indicateurs de sécurité alimentaire montrent de surcroît une tendance lourde : malgré l’augmentation de la production, les réserves mondiales de grain ont passé de l’équivalent d’une année de consommation à environ 50 jours. C’est dire.
Il appert que l’une des seules solutions viables, aujourd’hui, passe par le développement de l’agriculture urbaine. Pourquoi ? En bien, parce qu’elle permet de raccourcir la distance entre le producteur et le consommateur, puis de rendre la production plus résiliente aux catastrophes en multipliant les lieux de culture de proximité, qui représentent autant de possibilités de diversification que d’interconnexions pour les insectes pollinisateurs. L’agriculture urbaine permet aussi une utilisation efficace de l’eau, avantage qui pourrait s’avérer déterminant pour s’assurer un approvisionnement en légumes à moindre coût.
L’agriculture urbaine existe depuis que les villes existent, mais elle s’est redéfinie au Québec avec l’apparition des jardins communautaires dans les années 1970, lesquels visaient avant tout à répondre à des préoccupations de sécurité alimentaire. Ces jardins de ville ont aussi fourni un terreau fertile aux loisirs des citoyens ayant le pouce vert, mais qui n’avaient plus de parcelle cultivable. Si cette approche communautaire est toujours pertinente aujourd’hui, reste qu’elle est aussi insuffisante : avec la densification et la minéralisation des villes, il manque de superficie au sol pour cultiver et l’avenue la plus intéressante s’avère l’utilisation des bâtiments, qui offrent une diversité d’espaces et de surfaces intéressantes.
Une des beautés du concept de l’agriculture urbaine est son adaptabilité à n’importe quelle échelle de projets, car il est possible de recourir à différentes techniques allant de la bonne vieille horticulture à partir d’une simple jardinière jusqu’à un système automatisé d’irrigation pour des centaines de bacs en réseau. Les particuliers peuvent utiliser n’importe quel type de contenant de plastique ou de bois afin de s’aménager un jardin miniature. Les entreprises et institutions, elles, peuvent envisager un jardin de plus grande ampleur, avec un programme impliquant leurs employés par exemple.
Des initiatives
L’agriculture urbaine est en voie de faire son nid au Québec, comme en témoignent les initiatives intéressantes mises de l’avant par différentes organisations. En voici quelques exemples :
- CRAPAUD : collectif de recherche sur l’aménagement paysager et l’agriculture urbaine durable, il prône l’utilisation du jardin urbain et du compostage en milieu institutionnel comme laboratoire expérimental d’éducation populaire. Il entretient notamment un magnifique jardin aménagé sur la toiture d’un pavillon de l’UQAM. Différents bacs de culture sont utilisés et testés : ils viennent d’Alternatives ou de Biotop Canada, notamment, ou sont fabriqués « maison ». D’autres parcelles de culture, aménagées au niveau du sol, regroupent plusieurs types de végétaux comestibles tels de la bette à carde, des poivrons, des choux, des pommes de terre, etc. Les légumes sont utilisés sur place par divers groupes et cafés étudiants.
- Alternatives : cet organisme montréalais promeut depuis 2003 la récupération des espaces inutilisés, comme les toits, les terrasses et les balcons, pour développer de nouveaux espaces verts et productifs. Avec son programme Des jardins sur les toits, il a créé un des premiers toits-jardins au Québec sur le Conservatoire de musique de Montréal. Ce jardin, qui a depuis été déménagé à l’Université McGill, a notamment servi à approvisionner l’organisme partenaire Santropol Roulant dans sa mission sociale de distribution alimentaire. Sans compter qu’il a permis d’étudier et de développer diverses techniques de culture.
- Urbainculteurs : voué à la promotion du jardinage et de l’agriculture urbaine, cet organisme de Québec teste depuis le printemps 2010 les Smart Pots (poches en géotextile épais qui assurent un développement optimal des racines et des plants) avec beaucoup de succès, même en combinant plusieurs végétaux dans le même pot. Il a réalisé de nombreux jardins dans différents lieux (balcons, toits, cours) et voit un grand potentiel dans la création de jardins abordables avec des sacs de petits à grands formats (cours d’école, stationnement d’entreprises ou autres). Les Smart Pots existent en de nombreux formats allant de quelques litres jusqu’à 1 500 litres.
- Caisse populaire Desjardins du Mont-Royal : sise sur l’avenue du même nom à Montréal, elle a fait installer sur son toit, en 2010, plus d’une centaine de bacs de culture Biotop et Alternatives, qui produisent environ sept livres de légumes par saison estivale. La majorité de la récolte, soit des centaines de livres de légumes, a pu être distribuée à des organismes du quartier. Dans la même ligne de pensée, la Caisse populaire Desjardins du Mont-Royal a lancé un programme unique : selon certaines conditions, elle financera la réalisation de projets d'agriculture urbaine jusqu'à concurrence de 3 000 dollars.
- Fermes Lufa : l’ambitieux projet de cette entreprise repose sur un modèle d’affaires unique, à savoir implanter des serres commerciales sur le toit de bâtiments de grande superficie dans la région de Montréal pour desservir directement les consommateurs. Les promoteurs, qui louent présentement une première surface de 31 000 pieds carrés de toiture au propriétaire d’un bâtiment adjacent au Marché central, pensent déjà à leur deuxième installation… ils ont pour objectif d’approvisionner des centaines, puis des milliers de personnes avec une variété d’une trentaine de légumes et fines herbes. Ainsi, des paniers seront disponibles aux intéressés qui habitent ou travaillent à proximité.
La faim
Les possibilités qu’offre l’agriculture urbaine sont trop importantes pour que notre société s’en prive. Il revient en partie aux planificateurs et aux concepteurs d’inclure une dimension jardinage ou alimentation dans les nouveaux projets. L’environnement bâti est un champ de culture en quatre dimensions : une bonne planification urbaine aurait le potentiel de rendre une ville autonome, non seulement énergétiquement, mais alimentairement. Les services essentiels de l’avenir devraient assurer la sécurité alimentaire des citoyens ; ce devrait peut-être même devenir le service essentiel de la société de demain. Voilà un beau terrain de jeu pour les professionnels qui voudront user de leur créativité écoresponsable.
Un bâtiment est un habitat en soi, un milieu qui doit pouvoir supporter la vie dans le temps. Et l’agriculture urbaine est une des seules composantes du bâtiment durable qui peut si facilement intégrer les dimensions économique, environnementale et sociale du développement. Une société qui atteint l’indépendance alimentaire sera toujours riche, productive et, surtout, en santé.
- La biodiversité
- La végétalisation d’espaces minéralisés
- Le contrôle de l’humidité et de l’utilisation d’eau
- La lutte aux îlots de chaleur urbains
- La réduction du transport et des émissions de GES
- La production de nourriture saine
Il s’est développé au cours des dernières années une expertise en agriculture urbaine ayant permis d’en démontrer les bienfaits et le potentiel. La culture en toits-jardins intensive, en bacs à double fond, en hydroponie et autres techniques inspirées de la permaculture ont créé autant d’options à explorer pour différents types de bâtiments. L’utilisation de systèmes d’irrigation efficaces, doublés d’engrais adaptés et d’autres ajouts tels les mycorhizes (champignons qui colonisent les racines des plantes et en facilitent la croissance), a aussi permis de raffiner les techniques et d’obtenir des cultures très productives.
Il y a plusieurs jardins sur toitures et autres terrasses dont nous n’avons pas conscience autour de nous, surtout en raison de leur emplacement peu accessible au public. Si vous en connaissez, ou mieux si vous en exploitez un, faites-nous-en part à l’adresse suivante : batimentsjardins@gmail.com. Nous pouvons ainsi constituer un répertoire des jardins urbains aménagés tant par les particuliers, entreprises et institutions.