Par Annie Bourque
Lin, chanvre, gypse, briques et pneus recyclés… même les champignons font maintenant une percée comme matériaux d'avenir ! Nouveautés, enjeux et défis.
À l’ère de la crise climatique et du télétravail, les matériaux écologiques suscitent un engouement auprès des consommateurs et constructeurs.
Au Québec, Nicolas Séguin se démarque au sein de la filière des écomatériaux. En 2018, il a fondé NovEnviro, une entreprise de matériaux de construction écologiques, spécialisée dans l’enveloppe du bâtiment. « Le développement durable m’a toujours interpellé, dit-il. L’industrie de la construction est l’une des plus polluantes au monde, mais on peut la changer et il faut la changer. »
Le jeune trentenaire suggère à ses clients une gamme de produits hypoallergènes, antimoisissures et sains. Parmi ceux-ci, le panneau de fibre de bois compressé, importé d’Europe. Un produit avantageux en matière d’efficacité énergétique qui remplace le contreplaqué de « plywood » et l’OSB.
Dans son atelier de Cowansville, Nicolas Séguin montre les panneaux de chanvre, fabriqués chez Nature-Fibres à Val-des- Sources. Le produit est réputé pour ses attributs en matière de régulation de l’humidité, d’isolation acoustique et de confort.
Sa clientèle, en croissance, provient en grande partie du secteur résidentiel car, selon Nicolas Séguin, il est plus facile d’y intégrer des matériaux comme les panneaux d’isolation de chanvre.
À l’heure actuelle, il reçoit des demandes du secteur commercial provenant de clients du Québec, de l’Ontario et du nord-est des États-Unis. « Durant la pandémie, plusieurs personnes se sont éloignées des grandes villes afin de rénover ou construire une maison écologique », raconte-t-il.
En ce moment, son entreprise répond à l’engouement pour le béton de chanvre. Un procédé connu depuis 2000 ans en Asie et en Europe. La finition à la chaux donne un bel aspect et suscite la satisfaction des clients, observe Nicolas Séguin. Aussi, le béton de chanvre, fabriqué en usine, est populaire dans les résidences préfabriquées. Les propriétaires aiment sa résistance à la chaleur, au froid, au vent, aux tremblements de terre. Un atout en ces temps de changements climatiques. « Très prochainement, nous espérons à l’été 2022, le Centre canadien des matériaux de construction approuvera enfin nos panneaux isolants en chanvre. Cela fera en sorte qu’ils pourront être utilisés sans contrainte dans toutes les constructions, résidentielles, commerciales et institutionnelles », précise-t-il.
Trop peu d'incitatifs
Marie-Hélène Fugère, étudiante en maitrise en environnement à l’Université de Sherbrooke, observe que, bien que 75 % des gens aient un intérêt pour le bâtiment écologique lors d’une construction neuve, seulement 2 % passent à l’action. Il y a trop peu d’incitatifs, selon elle, qui pourraient favoriser l’utilisation de matériaux écologiques.
En réalité, selon Nicolas Séguin, l’enveloppe d’une maison traditionnelle constituée d’écomatériaux coûte de 4000 $ à 6000 $ plus cher. L’investissement est récupéré sur une période de 10 ans compte tenu de l’économie d’énergie.
Le principal défi pour les entreprises d’écomatériaux est l’homologation des produits qui demande parfois des années de labeur et d’efforts. L’entreprise Nature-Fibres de Val-des-Sources en sait quelque chose. Alors qu’elle reçoit des commandes des États-Unis et de l’Ontario, les actionnaires font des démarches depuis quatre ans pour obtenir l’approbation du Conseil canadien des matériaux de construction. Une situation que déplorent les tenants du chanvre qui est grandement utilisé dans les constructions en France.
Ce fut aussi un long combat pour DCC Solutions, expert en insonorisation et isolation acoustique qui distribue le produit Fermacell, fabriqué à base de fibres et gypse recyclé et importé d’Allemagne. Là-bas, ce produit existe depuis 50 ans. « Cela nous a pris sept ans avant d’obtenir l’approbation et de le distribuer sur le marché nord-américain », confie Sylvain Latellier, vice-président de l’entreprise familiale.
La compagnie se bute à la peur du changement dans l’industrie de la construction. « On a toujours fait les choses de la même façon : pourquoi changer ? », se demandent les détracteurs.
Réduction de l'empreinte carbone
Des études de cas et analyses ainsi que l’expérience réalisée en France finissent par convaincre les constructeurs ou rénovateurs d’immeubles. Cependant, y a-t-il un impact environnemental alors que le chanvre, la fibre de bois ou le Fermacell sont importés de l’Europe ? « Le transport maritime suscite moins d’impact et notre produit est plus écologique que les concurrents », explique David Gonzalez, ambassadeur et associé écologique pour DCC Solutions.
Les bénéfices environnementaux ressortent de plusieurs études et analyses. L’une d’elles concerne un rapport portant sur un bâtiment en bois massif construit à Montréal, soit Arbora C. « On indique que le remplacement de la chape de béton, utilisée pour l’insonorisation des planchers, par des panneaux Fermacell permettrait une réduction de l’empreinte carbone de 7,6 % pour l’ensemble du projet », ajoute-t-il.
Au fait, s’interroge M. Gonzalez, qu’est-ce qui définit un produit écologique ? « Sa durabilité, ses matériaux non toxiques, son empreinte environnementale. Quel est son impact à la fin de sa vie utile ? L’économie circulaire est importante. »
Penser à la déconstruction
Le fondateur de NovEnviro abonde dans le même sens. « C’est beau construire, dit Nicolas Séguin, mais il faut penser aussi à la déconstruction. Le panneau de chanvre est fait pour durer longtemps. Si on déconstruit une maison et le panneau de chanvre est en bon état, on pourra le prendre et le mettre dans une autre maison. Même chose pour le panneau de fibre de bois. On les envoie au compost et les matières reviennent à la terre. »
De son côté, Mylène Joncas, directrice du Créneau Écoconstruction à Rimouski, croit qu’il faut considérer l’environnement bâti comme un actif pour le futur, alors que le secteur de la construction va générer trois millions de tonnes de déchets.
Cela signifie, selon elle, de revoir les façons de faire et de valoriser le recyclage des matières premières. Mme Joncas souhaite voir apparaitre plus d’entreprises spécialisées dans les matériaux écologiques. « Mon voeu pieux, c’est d’arrêter d’en parler comme d’une tendance et que cela devienne une façon de faire au Québec. »
La méthode HFD
« En période de pénurie de sable et de matières premières partout sur la planète, il faut construire de façon durable avec des matériaux renouvelables », martèle André Bourassa, ancien président de l’Ordre des architectes du Québec de 2005 à 2013.
« Plus on attend, plus ça va faire mal. Je pense à la construction de logements abordables, de HLM. Il faut les construire selon la méthode HFD, c’est-à-dire harmonieuse, fonctionnelle et durable. À l’heure actuelle, la rénovation des HLM coute une fortune, car leur durée utile n’est pas assez longue compte tenu des sommes investies », déplore-t-il.
« Wake-up call »
Le récipiendaire de la médaille du mérite de l’Ordre des architectes du Québec estime qu’il est urgent d’agir. « On dort au gaz actuellement : il faut se réveiller », dit-il en dénonçant l’utilisation par les constructeurs de l’aluminium importé de Chine dans les revêtements extérieurs d’immeubles. « Les gens ne savent pas que cet aluminium chinois est fabriqué avec du charbon. Il ne faut pas juste regarder le prix ou la disponibilité des matériaux, mais bien le bilan carbone et l’énergie. Cela n’a pas d’allure alors que le Québec produit de l’aluminium avec de l’électricité », s’insurge-t-il.
Citoyen engagé, l’homme a cofondé le Rendez-vous des écomatériaux, un colloque réunissant des experts dans le domaine de la construction durable provenant de la francophonie.
En matière de produits biosourcés, qu’on pourrait définir comme étant l’utilisation de la biomasse végétale ou animale dans les matières premières, entre autres le chanvre, le lin et l’herbe, il faut préciser que l’Europe a une longueur d’avance sur le Québec. En France, par exemple, l’industrie de la construction représente 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Depuis 1974, le pays favorise la construction de bâtiments moins énergivores par l’adoption de lois en ce sens. Évidemment, les Européens priorisent l’accès aux produits biosourcés par l’accès à des primes et subventions. Ainsi, en Belgique, lorsque la teneur biosourcée de l’isolant est supérieure ou égale à 70 %, les gens bénéficient d’une majoration de 25 % sur la prime. « Si on pouvait faire un projet avec la France ou un autre pays d’Europe, on aurait le meilleur des deux mondes. Actuellement, on est chacun dans nos chasses gardées », déplore M. Bourassa.
Celui-ci se passionne pour la conception écoénergétique et la recherche de matériaux innovants. Par exemple, il a déjà participé au projet d’isolation avec du béton de chanvre à l’église Saint-Jean-sur- Richelieu.
Le bon matériau au bon endroit
M. Bourassa considère qu'il est essentiel que les constructeurs partagent leurs connaissances lors de l’utilisation de tel ou tel matériau écologique. « Il ne faut pas juste regarder la valeur isolante, mais aussi le bilan carbone et comment cela se passe avec la conjonction d’autres matériaux. » « Auparavant, confie-t-il, j’ai déjà vu des maisons isolées avec de la paille. La SCHL déplorait ces projets. Ce n’est pas parce que la paille ne doit pas être utilisée. Le problème ? C’était mal fait et il faut un savoir-faire. »
Chaque semaine, l’architecte de renom, qui travaille comme conseiller spécial chez BGA, reçoit des confidences d’actionnaires d’entreprises de matériaux écologiques qui dépensent une fortune en études de faisabilité et lobbying pour obtenir enfin une homologation du Conseil canadien de construction des matériaux.
La Colombie-Britannique, férue de produits écologiques, vient de créer son propre code du bâtiment afin de laisser une plus grande place aux produits biosourcés en construction. Le Québec pourrait peut-être suivre cette voie.