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23 juillet 2010

Rencontre avec l’architecte montréalais Guy Favreau, un pionnier de l’architecture durable pour qui les solutions les plus simples sont souvent les plus efficaces. Mais aussi les plus difficiles à appliquer.

Par Rénald Fortier

Fin des années 90. Un édifice de bureaux détonne désormais dans le paysage immobilier montréalais. C’est que le Locoshop Angus, issu de la réhabilitation d’un symbole industriel du siècle dernier, est un bâtiment vert – un qualificatif que l’on prend alors bien soin de placer entre guillemets. Une nouveauté dont la médiatisation jette notamment la lumière sur la vision de son orchestrateur, Christian Yaccarini, pdg de la Société de développement Angus, mais également sur la signature de son concepteur, Guy Favreau

Rien de vraiment surprenant à ce que cet architecte montréalais, alors dans la jeune quarantaine, soit associé à cette première en sol québécois. Du moins quand on sait que son réflexe écologique est alors déjà bien aiguisé, son intérêt pour la chose remontant à ses études en architecture dans la seconde moitié des années 70. Comme plusieurs de ses pairs de la même génération d’ailleurs.

Attablé dans un resto-lounge de la rue Saint-Laurent, trois décennies et des poussières plus tard, il raconte : « C’était à l’époque de la première crise pétrolière et on commençait à se questionner sur la consommation d’énergie. Puis, on s’est vite rendu compte qu’aborder les questions énergétiques signifiait aussi aborder les questions environnementales. Sociales aussi : la façon de vivre notre espace urbain, la diversité des classes à l’intérieur d’un même quartier, etc. Mais c’était encore très marginal. »

S’il a sauté à pieds joints dans le design durable depuis, impossible toutefois de lui arracher laquelle des réalisations sur lesquelles il a laissé son empreinte suscite le plus de fierté chez lui. « C’est toujours la plus récente », lance-t-il sourire en coin, mais non moins sérieusement. Reste qu’il convient d’emblée que le projet du Locoshop fut à coup sûr marquant.

Non seulement parce que ce fut le premier grand projet de construction écologique sur lequel il a été appelé à plancher, mais aussi parce qu’il s’insérait dans une vaste démarche portant sur la réappropriation d’un ancien site industriel par une communauté. Comme si ce n’était pas assez, il s’agissait du premier bâtiment au Québec dont la conception s’articulait autour des dimensions sociale, environnementale et économique.

« Ce fut une expérience fantastique parce que nous avions l’obligation d’innover et que le contexte s’y prêtait. Nous avons réussi à aller très loin en matière d’architecture durable avec ce projet. Le défi était énorme, compte tenu que nous avions très peu de budget et que notre bagage de connaissances était beaucoup moins riche que maintenant. Mais en revanche, nous avions plein d’imagination. »

« Nous ». Guy Favreau emploie toujours la deuxième personne du pluriel quand il relate l’aventure du Locoshop. Fausse modestie ? Loin de là, car cette forme d’expression reflète plutôt l’approche collaborative qui a alors guidé de bout en bout les phases de conception et de mise en œuvre. Un prérequis à ses yeux pour la réussite d’un tel projet.

« Le choc de la réunion des compétences à la fois différentes et complémentaires de chacun des acteurs concernés par le projet, précise-t-il, permet d’en arriver à une meilleure compréhension des besoins et à l’optimisation des solutions qui seront préconisées pour les satisfaire pleinement. Parce qu’on peut faire des bâtiments fabuleux visuellement et d’autres qui ont une histoire à raconter au-delà de ce qu’on perçoit au premier coup d’œil. Mais ce ne sont pas des images qu’on fait, ce sont des communautés qu’on bâtit. Et on n’y arrive pas seul. »

Dans le cas du Locoshop Angus, il en est résulté un bâtiment dont l’aura écologique a continué de flotter même après l’avènement de la certification LEED. Guy Favreau n’en est pas peu fier. N’empêche que s’il avait pu, il aurait assurément prôné le recours à ce système d’évaluation environnemental.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il considère très utile cette certification, qui a pris le plancher ici à partir de 2004 : LEED permettant de contrer le greenwashing d’une part, puisque que c’est une tierce partie qui atteste la valeur écologique d’un projet, et constituant d’autre part un outil bien structuré puisqu’il qui fixe des seuils très précis et permet de baliser la performance environnementale d’un projet.

« Ce qui est d’autant plus intéressant, observe celui qui est devenu professionnel agréé LEED dès 2002, c’est que le système évolue pour susciter la réflexion sur tout ce que constitue une démarche écologique en architecture et en design urbain. Particulièrement avec l’avènement des certifications pour le noyau et l’enveloppe d’un édifice, les bâtiments existants et le développement des quartiers. »

L’inspiration de la nature

La passion de Guy Favreau pour le bâtiment durable, parce que c’est bien de passion qu’il s’agit, transcende bien sûr l’attachement porté au Locoshop et l’importance accordée à LEED. Et elle s’est reflétée sur plusieurs réalisations écologiques majeures ces dernières années. Si toutes se sont traduites différemment, toutes présentent néanmoins un dénominateur commun : elles sont imprégnées de sa philosophie voulant que les solutions les plus simples soient souvent les plus efficaces.

« Il faut en arriver à un maximum de résultats avec une économie de moyens, fait-il valoir, comme nous l’enseigne la nature. Il importe donc de bien comprendre la nature et de l’intégrer dans son design. C’est en ramenant les choses à leur plus simple expression qu’on peut réussir à faire la meilleure utilisation possible de la lumière naturelle, par exemple, ou encore à optimiser une démarche d’efficacité énergétique d’un bâtiment à travers le solaire passif. Ça ne veut pas dire tomber dans la simplicité, cependant, parce que les choses les plus simples sont aussi souvent les plus difficiles à réaliser. »

Une approche qui ne signifie nullement qu’il écarte tout de go le recours aux technologies vertes. Même qu’il y fait appel régulièrement, mais jamais dans la sens où elle devient un gadget. Jamais en articulant le design d’un projet autour de la technologie, mais en intégrant celle-ci une fois que toutes les facettes du bâtiment ont été optimisées.

« C’est comme pour un avion, illustre-il, on doit voir à ce qu’il puisse planer avant d’y mettre de gros turbos. » Et il s’empresse d’amener un exemple en lien avec le bâtiment durable : le recours à la géothermie, une solution qui l’intéresse au plus haut point parce qu’elle est très économique, en plus d’être simple à exploiter et à entretenir.

« Avant de l’inclure dans un projet, expose-t-il, on doit d’abord se demander si on est pas en train de créer une bête énergivore, puis voir en à en réduire au maximum la consommation en concevant un bâtiment qui sera efficace, sain et confortable. C’est cela qui rendra intéressante l’intégration de la géothermie sur le plan financier, sinon qui la rendra incontournable. »

Pour ce pionnier de l’architecture durable au Québec, il ne fait pas de doute que le virage vert est un passage obligé. « Il nous offre l’occasion de redéfinir nos bâtiments et nos communautés, de revoir comment les articuler autour du développement économique. L’avenir est là. Soit on embarque et on le refaçonne, soit il va s’imposer et faire mal. On commence déjà à le subir, comme en témoigne la dégradation de notre environnement.

« Mais il faut nécessairement casser l’impression que la construction durable est laborieuse et coûteuse. Il n’en est rien et ça me fâche d’entendre encore ça aujourd’hui. Et nous, les architectes, avons le devoir de changer les choses en démontrant à nos clients que c’est une démarche rentable. Pas seulement sur les plans environnemental et social, conclut-il, mais aussi sur le plan économique. »

Feuille de route

Originaire du Sud-Ouest de Montréal, Guy Favreau est sorti diplôme en main de l’École d’architecture de l’Université de Montréal en 1979. Il a commencé sa carrière en Alberta avant de revenir exercer sa pratique au Québec en 1983 dans différents bureaux d’architecture, dont celui de Victor Prus. Après avoir touché en solo au logement social pendant trois ans, il joignait les rangs de la firme Dupuis Dubuc et associés – devenue AEdifica – dans la seconde moitié des années 80; d’abord comme salarié, puis comme associés à partir du début des années 90.

Porte-folio

Guy Favreau a été appelé à participer, soit comme concepteur ou conseiller, à la réalisation de plusieurs projets écologiques ces dernières années, dont le Locoshop Angus, la phase 7 (édifice du 4100 Molson) du Technopôle Angus, la Garnison de Valcartier, l’aéroport de Kuujjuaq, la Maison de l’OACI et le 740 Belair. Entre autres mandats, il planche actuellement sur le 2.22 Sainte-Catherine Est : un édifice vert qui s’élèvera au cœur de l’ancien Red Light de Montréal.

Photo : Denis Bernier