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8 septembre 2011
Par Léa Méthé

Le comportement des usagers est le grand impondérable dans la performance des bâtiments verts. Exemplaire, il permet de défier les projections les plus optimistes. Autrement, il peut miner les gains attendus.

La recherche révèle que la productivité augmente et la consommation d’énergie diminue lorsqu’on laisse aux occupants le soin de régler les conditions de l’air ambiant. Mais peut-on vraiment confier un bâtiment neuf au soin des mêmes personnes qui chauffent les fenêtres ouvertes, laissent lumières et ordinateurs allumés et bloquent les bouches de ventilation ?

« L’expérience indique que les gens ne sont pas délibérément gaspilleurs, dit Martin Roy, président de la firme de génie-conseil Martin Roy et associés. Ils ont à cœur de bien faire, mais ils sont expéditifs et insouciants dans leur recherche de confort. » Selon cet apôtre du bâtiment durable, l’occupant changera ses habitudes s’il est correctement sensibilisé et si les gestes qu’on attend de lui sont à sa portée. « En effet, dit-il, personne n’hésitera à ouvrir une fenêtre si ça prend un technicien pour ajuster le chauffage. »

Rêve et réalité

En plus d’assurer le confort des occupants, on s’attend d’un bâtiment dit « durable » qu’il soit très efficace sur le plan énergétique. Aux étapes de sélection et de design des systèmes mécaniques, il importe de faire une réflexion sur le niveau de contrôle qui sera octroyé aux usagers.

Les bâtiments commerciaux contemporains présentent généralement une enveloppe scellée avec fenêtres fixes et ventilation mécanique. L’édifice Delta 3, à Québec, a atteint le niveau Or de la certification LEED pour le noyau et l’enveloppe avec cette formule classique, en optant pour des systèmes mécaniques performants et un apport supérieur d’air extérieur filtré. « On avait initialement choisi de laisser le contrôle de la température ambiante aux employés, même dans les zones à aires ouvertes, relate l’architecte Brigitte Lapointe, directrice Construction, aménagements et développement durable de La Capitale immobilière MFQ. Certains la réglaient à 18°C, d’autres à 28°C. La Direction a donc dû changer de stratégie parce qu’il y avait toujours des mécontents. Le thermostat est aujourd’hui fixé à 23 ou 24°C. C’est la température qui génère le moins de plaintes. »

Au-delà des préférences de chacun, les paramètres de température, d’humidité et d’apport d’air maintenus constants par un système mécanique ne constituent pas une garantie de confort. Une étude de l’université Berkeley menée pour le compte de l’ASHRAE indique en effet que les gens préfèrent avoir des fenêtres ouvrantes et qu’ils s’adaptent aux fluctuations des conditions intérieures. Alors que celles-ci ont longtemps été considérées comme une hérésie dans le bâtiment commercial, elles amorcent aujourd’hui un timide retour.

Au Centre CDP Capital, au centre-ville de Montréal, on a choisi une ventilation hybride avec interruption automatique locale du système lors de l’ouverture des fenêtres. Cet astucieux mécanisme ne réussit toutefois pas à déjouer totalement le facteur humain. On doit régulièrement rappeler aux occupants de fermer la porte de leur bureau lorsqu’ils ouvrent leur fenêtre pour ne pas interférer avec la ventilation dans les zones voisines. Ce système sophistiqué géré par l’ordinateur central résout une part du problème, mais pose la question de la maintenance. La plupart des bâtiments ne disposent pas, comme les Centre CDP Capital, d’une équipe de plus de 90 personnes dédiées aux opérations et à l’entretien des systèmes (pour 1 700 occupants).

« On a des rêves de techno, de net zéro », mais les connaissances des usagers en systèmes électromécaniques sont faibles, dit Martin Roy. Les opérateurs ont été formés à une école, mais avec le bâtiment durable, on a des nouveaux procédés que peu de gens maîtrisent. Le meilleur bâtiment, c’est celui qui n’a pas de systèmes et qui se gère tout seul. »

C’est que les gains d’énergie les plus importants sont réalisés lorsqu’on décide de s’affranchir complètement de certains systèmes mécaniques. C’est le choix qu’ont fait les propriétaires de l’herboristerie La Clef des Champs. Le nouveau siège social, situé à Val-David, est ventilé exclusivement de manière naturelle. « L’opération ne se limite pas au thermostat, précise Martin Roy, il faut manipuler les volets et les fenêtres comme on le faisait il y a 100 ans. Il faut revenir à ça tout en exploitant les connaissances d’aujourd’hui sur l’ensoleillement, le mouvement de l’air, le positionnement des ouvertures, etc. »

Cette approche comporte elle aussi ses limites. « Dans un bâtiment plus passif, il faut s’attendre à des variations de température, les paramètres de confort sont moins régulés. Le propriétaire dit qu’il a une pensée pour moi quand la sueur lui perle au sourcil lors des canicules, ajoute le présent de Martin Roy et associés. Ce sont des décisions qui ont été prises dans des bureaux climatisés ! »

À ce jour, nous disposons donc de solutions partielles et imparfaites au problème posé par le standard des conditions ambiantes constantes. En intégrant ces nouvelles solutions, on crée de nouveaux défis liés à l’usage. La notion de confort est différente pour chacun et les moyens pris pour y arriver ne sont pas toujours optimaux pour la gestion du bâtiment.

 « Les modélisations informatiques présument que le comportement de l’occupant est adéquat et prévisible, dit Silvestre J. C. Mercier, doctorant en Sciences de l’architecture de l’Université Laval et chercheur au sein du Groupe de recherche en ambiances physiques. C’est une erreur. La consommation énergétique des bâtiments certifiés LEED est généralement supérieure aux projections et c’est attribuable aux habitudes de vie des gens. Laissés à eux-mêmes, c’est une catastrophe, mais ils agiront de manière responsable si on leur en donne les moyens. »

Donner les moyens, cela nécessite de faire une véritable réflexion sur la manière dont les usagers interagissent avec les systèmes. Il faut d’abord minimiser la complexité des manipulations, notamment en proposant des interfaces de contrôle simples et lisibles. Il faut ensuite engager les gens à agir en communiquant bien les attentes. Selon Silvestre J. C. Mercier, l’approche ludique donne les meilleurs résultats : « On doit aussi leur fournir de la rétroaction. Que ce soit exprimé en dollars ou en ``équivalent pétrole``, il faut souligner les résultats de leurs efforts dans un langage qui leur est familier. »

Composter au bureau

C’est par la formation et la sensibilisation auprès de personnes clés que Brigitte Lapointe a réussi à introduire le compostage dans la plupart des entreprises occupant des bureaux au Delta 3. « Quand on ne sait pas ce que l’édifice nous offre comme possibilité, on ne peut pas s’en prévaloir, dit-elle. Les gens sont curieux, ils veulent connaître le procédé, ils veulent aussi un système adapté à leur vie et à l’environnement de bureau. »

L’adhésion a été très enthousiaste et d’autres initiatives ont suivi comme la récupération des piles et des cartouches d’encre. « Il y a un effet d’entraînement, les habitudes d’achat changent par égard pour l’environnement, indique l’architecte de La Capitale. Aujourd’hui le personnel d’informatique communique avec moi pour savoir comment se départir du matériel désuet. »

Sylvain Houde a lui aussi coordonné l’introduction du compostage, cette fois au Centre CDP Capital, un bâtiment certifié Or dans le système LEED pour Bâtiments existants. « Les gens de maintenance sont de plus en plus impliqués dans les projets liés à l’environnement, dit le coordonnateur à l’environnement chez SITQ. Le tri des matières putrescibles a exigé de l’adaptation, c’est un contenant de plus à installer, un sac de plus à changer, un chariot plus chargé pour les concierges, tout ça pour le même temps de travail. »

Dans l’élaboration du bâtiment toutefois, on avait à l’époque accordé beaucoup d’énergie et de pieds carrés à ce qu’il appelle « l’arrière-scène ». Trois sous-sols comportent des espaces désignés pour l’entretien, la machinerie et le stockage. On utilise aujourd’hui ces volumes supplémentaires pour séparer les matières résiduelles et réfrigérer le compost. « Pour le service d’entretien ménager qui doit adapter ses pratiques, c’est un net avantage, indique Sylvain Houde. Les occupants de nos autres bâtiments voudraient faire du compost, mais sans espace excédentaire, ils n’ont pas la possibilité de bâtir des salles réfrigérées. »

Quant aux raisons qui ont poussé la SITQ à s’engager dans cette direction, il affirme sans détour : « Tous les projets du service de l’environnement ont été amorcés par des questions, des commentaires ou des plaintes et ils sont tous motivés par la satisfaction de la clientèle (locative). »

Usagers extrêmes

Tous s’entendent pour dire que les gens sensibles à la cause environnementale sont plus enclins à adhérer aux mesures de développement durable. Outre les convictions personnelles des usagers toutefois, la vocation du bâtiment détermine les mesures envisageables.

Dans les établissements qui font respecter un code vestimentaire rigide et prescrivent le complet trois-pièces, il est attendu qu’un contrôle de la température soit fait en conséquence. Depuis 2005 au Japon, une politique nationale visant à faire diminuer la demande électrique pour les besoins de climatisation enjoint aux employeurs de fixer le point de consigne à 28°C (!) pendant l’été et à assouplir leur code vestimentaire.

Un designer en vue a même été invité à faire défiler les dirigeants de Toyota, Fuji, Shell et Sanyo dans ses complets allégés pour donner l’exemple. L’initiative nippone Coolbiz se bute pourtant depuis ses débuts à une culture d’entreprise extrêmement conservatrice sur le plan de l’habillement. Parions que la ventilation naturelle n’a pas non plus de quoi séduire les milieux d’affaires plus traditionnels du Québec.

À l’autre bout du spectre, les écoles sont-elles aussi des environnements particuliers puisque les jeunes sont des usagers extrêmes : « Ils rudoient le mobilier, érodent le revêtement des corridors à force de courir et crient tellement qu’on ne peut pas envisager de laisser les cloisons ouvertes pour l’aération », fait remarquer Dany Blackburn, architecte et chargé de projet chez ABCP à Québec. Pour l’école La Grande-Hermine, premier établissement primaire certifié LEED en sol québécois, la firme d’architecture a donc prévu des finis robustes, résistant aux assauts des petits et aux nettoyages fréquents. Par contraste toutefois, les enfants sont plus tolérants aux écarts de température et enclins à prendre leur confort en main, la majorité des écoles n’a d’ailleurs pas l’air conditionné. « Les enfants n’hésiteront pas à enlever une couche de vêtement ou enfiler un manteau à l’intérieur s’ils en ressentent le besoin, observe-t-il. Ça ne les embête pas du tout. »

En vue de réduire à la source l’utilisation de matériaux, on choisit parfois d’opter pour une structure apparente et un minimum de finition. C’est le choix qui a été fait au dernier étage de La Grande-Hermine puisqu’un revêtement de plafond ignifuge n’était pas exigé par le code. Certains l’anticipent, d’autres l’apprennent à leurs dépens, mais les vastes espaces à l’ameublement minimaliste et aux surfaces laissées nues présentent souvent des problèmes d’acoustique : les bruits d’impact et les voix résonnent dans les salles à aires ouvertes, le son voyage à travers les cloisons. C’est une des sources d’inconfort et de stress les plus souvent citées dans les environnements de travail selon l’Institut de recherche en construction du Conseil national de recherche du Canada.

Pour remédier à la situation, on peut installer des panneaux absorbants au plafond, comme à La Grande-Hermine, ou des cloisons amovibles dans le cas des bureaux. Plusieurs fournisseurs offrent des solutions acoustiques conçues avec des matériaux recyclés ou rapidement renouvelables. Certaines entreprises et institutions optent plutôt pour une organisation différente du travail, ménageant par exemple plusieurs salles fermées qu’elles invitent les employés à utiliser pour travailler en équipe ou faire de longs appels téléphoniques.

Entre la zizanie au thermostat, la curiosité suspecte par rapport au compost et l’acoustique douteuse des espaces ouverts, il ne fait aucun doute que le comportement des usagers, jumelé aux objectifs environnementaux, ajoute un degré de complexité à la conception des bâtiments. Puisque le facteur humain est un incontournable, il serait toutefois absurde d’en faire abstraction.

Mieux vaut se rendre à l’évidence et tenter d’anticiper les conflits d’usages. Un processus de conception intégrée incluant des représentants des occupants et des services d’entretien ménager permet d’appréhender les problèmes alors que le bâtiment est toujours sur la table à dessin, de comparer le mérite des différentes solutions et de trouver les compromis les plus satisfaisants.

Plus qu’une conception exemplaire, un bâtiment durable est correctement géré et habité par ses usagers. C’est en tenant compte du facteur humain qu’on se donne les meilleurs moyens d’atteindre ses objectifs de performance environnementale, d’économiser et de profiter d’un environnement intérieur sain et confortable.

Sept conseils

Des conseils d’experts pour amener les usagers à contribuer à la performance écologique d’un bâtiment :

  • Impliquez les occupants : les bonnes initiatives peuvent venir d’eux
  • Faites de l’éducation : l’utilisation correcte des équipements n’est pas innée
  • Soyez clair : incitez à l’action et à la coopération à l’aide de messages et de repères visuels explicites et sympathiques
  • Ménagez de l’espace en fonction de développements futurs : les mesures de développement durable peuvent nécessiter de l’espace pour stocker du matériel, loger de nouveaux équipements ou entreposer des matières résiduelles
  • N’entretenez pas d’attentes irréalistes envers les occupants : les employés sont là pour exécuter leur travail, le soin des vers du vermicomposteur passera inévitablement au second plan s’ils sont débordés !
  • Soyez cohérent : assurez-vous que le code vestimentaire prescrit demeure confortable en fonction des conditions ambiantes
  • Modérez vos aspirations esthétiques : une interface système en inox avec affichage à cristaux liquides peut être contre-productive si son utilisation laisse l’usager perplexe


 

Savoir consulter

Pour savoir comment optimiser la contribution des usagers au bâtiment vert, mettez-vous à leur place ou mieux, consultez-les !

  • Lors du choix du système de ventilation
  • Pour la sélection des interfaces de contrôle
  • Dans les décisions concernant la collecte sélective
  • Lors de l’assignation des espaces intérieurs
  • Quand vous songez à introduire des façons de faire innovantes