Ça chauffe dans le marché des thermopompes à source d’air pour climat froid ! Transition vers le futur.
La thermodynamique n’en finit plus de surprendre dans la science du bâtiment. Sous la pression des efforts visant les économies d’énergie et la décarbonation des bâtiments commerciaux et institutionnels, les fabricants de thermopompes ne cessent d’améliorer les performances de leurs appareils, tantôt à source d’eau, tantôt à source d’air, parfois en combinant les deux sources. Parmi les nouveautés, il y a celles à source d’air pour climat froid plus énergétiquement performantes pour le chauffage et à plus faible empreinte carbone.
Mais qu’entend-on au juste par thermopompe pour climat froid ? À défaut d’une définition formelle inexistante, l’ingénieur de recherche et conseiller technique au laboratoire de CanmetÉNERGIE à Varennes, Frédéric Genest, propose l’interprétation suivante : « Ça sous-entend qu’il s’agit d’une pompe à chaleur qui opère jusqu’à très basse température extérieure, qui maintient un meilleur coefficient de performance (COP), et dont la capacité de chauffage ne diminue pas aussi rapidement lors de températures plus froides. »
Il en profite pour rappeler que le Northeast Energy Efficiency Partnerships (NEEP) a commencé à publier des spécifications de performance Cold Climate dans les années 2010 pour le domaine résidentiel. Plusieurs fabricants ont fait tester leurs appareils au cours des dernières années pour prouver qu’ils respectaient les nouvelles exigences afin d’être répertoriés dans la base de données du NEEP, laquelle compte aujourd’hui plus de 100 000 entrées distinctes. « Et depuis ce temps, dit-il, plusieurs organisations, dont Energy Star, Ressources naturelles Canada (RNCan) et le Consortium for Energy Efficiency (CEE) américain, ont plus ou moins adopté les mêmes standards de performance et font la promotion des produits offerts sur le marché. »
L’ingénieur note que les thermopompes de type commercial ont toujours existé, en se référant, entre autres, aux pompes à chaleur de type Roof Top (unité de toit) plus largement répandues. « Il y a toujours eu des variantes de thermopompes, dit-il, selon les besoins à combler. Il y a beaucoup de thermopompes qui ont été conçues par des fabricants américains pour leur marché, mais qui ne sont pas très performantes dans un climat nordique comme le nôtre. La grande majorité de ces produits sont tout électriques, ce qui nous obligent bien souvent à ajouter un système de chauffage auxiliaire fonctionnant au gaz pour limiter la demande de pointe électrique. »
Il enchaîne : « Parmi les premiers produits commerciaux qui pouvaient se qualifier de thermopompes pour climat froid, on retrouve ceux de type à débit réfrigérant variable (Variable Refrigerant Flow ou VRF). Cette technologie est la même qui a été mise en marché pour le secteur résidentiel, mais avec des capacités différentes. On en trouve jusqu’à environ 45 kW (12 tonnes) par module dans le commercial et pouvant être reliés en réseau jusqu’à une capacité combinée d’environ 135 kW (36 tonnes), comparativement à des modèles allant jusqu’à environ 20 kW (5 tonnes) par unité dans le secteur résidentiel.
Son explication : « Pour pouvoir maintenir une bonne capacité et une haute efficacité à basse température, ces produits surdimensionnent généralement la partie des échangeurs qui capte la chaleur à l’extérieur, même quand il fait plus froid que -15 degrés Celsius (oC). Et, afin de maintenir une bonne performance à charge partielle, ils emploient des compresseurs pleinement modulables. »
COP par temps froid
Sa lecture de l’évolution récente du marché lui indique que le développement de ces compresseurs à capacité modulable a certainement favorisé la création d’appareils pour climat froid. Il remarque également la percée d’autres technologies, comme celle de l’injection directe de gaz qui réduit la puissance énergétique requise pour la compression, ainsi que des améliorations dans la gestion des modes de dégivrage toujours nécessaire, même sous des climats plus doux.
Frédéric Genest a identifié une quinzaine de thermopompes à source d’air disponibles en Amérique du Nord qui font de l’eau de chauffage jusqu’à 50 et 60 oC et qui peuvent être qualifiées pour climat froid. Certaines d’entre elles peuvent même produire de l’eau chaude jusqu’à 80 oC quand la température extérieure est plus douce, alors que d’autres, sur papier, peuvent opérer jusqu’à des températures extérieures particulièrement froides allant jusqu’à -29 oC dans certains cas.
Tout compte fait, il observe une évolution rapide dans le domaine, particulièrement en raison de l’utilisation de nouveaux réfrigérants qui opèrent efficacement avec un grand écart de température entre la source et la charge.
Mais comme il n’y a pas encore de standardisation dans le domaine, le marché n’en serait qu’au début d’une transition vers des produits mieux adaptés au climat froid tout en maintenant une bonne efficacité. Il s’attend à ce que la multiplication des produits sur le marché incite davantage de concepteurs et d’entrepreneurs en mécanique à s’y intéresser pour accélérer la décarbonation des bâtiments.
Recherche de la solution rêvée
« Il existe des produits intéressants sur le marché, constate l’ingénieur en mécanique du bâtiment Carl Gauthier, mais on ne trouve pas encore le produit de rêve ou parfait. J’ai l’impression que le marché est dans une étape de transition. Actuellement, les produits ont souvent des limites en termes de capacité et d’opérabilité, ce qui nous oblige à adapter nos conceptions à ceux-ci. »
À titre d’exemple, il indique que lorsque l’on utilise une pompe à chaleur à source d’air dans un bâtiment commercial ou institutionnel, on se limite à 43 oC pour le chauffage de l‘eau parce qu’au-delà de ça le COP diminue beaucoup. À cette température, on peut quand même chauffer un bâtiment, mais en ajoutant des planchers radiants ou en chauffant l’air neuf.
« En revanche, précise-t-il, si on veut utiliser des corps de chauffe traditionnels près des fenêtres, ça reste assez difficile. Il faut choisir les bonnes technologies à coupler avec les thermopompes. On trouve que le couplage d’une thermopompe aérothermique avec un plancher radiant fonctionne bien. »
« Ce que j’aimerais avoir idéalement comme concepteur, poursuit-il, c’est une thermopompe à cycle réversible pour le chauffage et le refroidissement de l’air, qui peut donc fonctionner soit à très basse ou à très haute température. C’est beaucoup demandé sur le plan technique, mais là on serait en affaire. »
En géothermique, explique Carl Gauthier, les produits sont beaucoup plus sophistiqués et matures, ce qui demande moins d’adaptation de [nos] conceptions en fonction des produits. Mais il est vrai aussi que ça coûte plus cher.
Enjeux à considérer
Pour les concepteurs, il y a toujours des enjeux d’équipements à considérer. Actuellement, le fonctionnement des thermopompes à air est limité à une température extérieure de -15 oC. À des températures plus basses, leur efficacité diminue très vite et ça nécessite l’usage d’équipements de chauffage auxiliaires. « Nous, ce que l’on cherche, indique Carl Gauthier, c’est une thermopompe qui peut fonctionner jusqu’à -30 oC avec un COP acceptable sans devoir recourir à des systèmes de chauffage d’appoint à l’électricité ou au gaz. »
Cela dit, le spécialiste ne voit rien de mal à consommer un peu de gaz naturel en chauffage quand il fait -30 oC à l’extérieur, en évitant ainsi de surcharger la demande d’électricité au réseau d’Hydro-Québec. Il reconnaît que les enjeux de la décarbonation et de la gestion des demandes d’électricité de pointe posent un défi pour la société québécoise lorsque les températures sont très froides. Surtout dans le contexte actuel de transition énergétique et de l’électrification des transports.
Promouvoir la biénergie
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Hydro-Québec et Énergir travaillent actuellement sur des projets pilotes de démonstration qui font la promotion de l’utilisation combinée de l’électricité et du gaz naturel en mode biénergie dans le secteur commercial. Comme cela se faisait jadis avec le mazout dans le résidentiel.
Le chef Vigie énergétique chez Hydro-Québec, Étienne St-Cyr, confirme l’installation expérimentale d’unités de toit de thermopompes air-air hybrides (Roof Top) dans des bâtiments commerciaux et institutionnels combinées à des systèmes de chauffage au gaz naturel qui prennent le relais à partir de la température cible de -12 oC.
« On est conscient que les technologies des thermopompes évoluent rapidement et qu’elles sont en mesure de fournir de la chaleur avec un COP encore intéressant. Mais quand ça descend en bas de -15 oC, c’est sûr que les COP en prennent pour leur rhume en s’approchant de 1 : 1. Donc, on espère que les thermopompes du futur nous permettront de faire des gains en puissance. Dans mes calculs, je dis que les thermopompes, même pour climat froid, offriront à l’avenir un petit gain potentiel en puissance, un très grand gain en efficacité énergétique dans une large plage de températures, mais des gains plus sobres à des températures très basses. »
Pour vendre sa nouvelle stratégie de biénergie électricité/ gaz aux gestionnaires et propriétaires de projets commerciaux et institutionnels, la société d’État mise donc sur l’utilisation de « la bonne source d’énergie, au bon moment, et au meilleur coût possible », en espérant ainsi y gagner en soulageant l’intensité critique de la demande de courant par temps froid et aux heures de pointe.