Les municipalités québécoises ont tout intérêt à favoriser l’essor du bâtiment durable sur leur territoire, mais encore leur faut-il savoir comment.
Les administrations municipales nord-américaines les plus visionnaires ont déjà accouché de formules créatives et audacieuses pour intégrer la performance environnementale des bâtiments dans leurs stratégies de développement. Dans leur sillage, des centaines d’autres ont entrepris de stimuler la construction écologique sur leur territoire et consolident la tendance vers des milieux bâtis sains, agréables et respectueux de l’environnement.
Plusieurs des bâtiments durables réalisés à ce jour au Québec sont issus d’initiatives institutionnelles. Souvent mises de l’avant par des municipalités, ces réalisations dénotent un intérêt croissant pour la construction écologique et mettent en relief le rôle de locomotive que peut jouer l’administration publique dans l’essor du mouvement vert. C’est le cas du centre aquatique de Gatineau, du poste de police de Blainville, de l’hôtel de ville de Saint-Sauveur et de la bibliothèque de Charlesbourg pour ne citer que ces exemples qui servent déjà de vitrines technologiques.
Certaines municipalités ont aussi entrepris d’inciter la construction durable sur leur territoire. C’est le cas notamment de Ville de Gatineau qui, dans le cadre de son programme de revitalisation pour les nouvelles constructions résidentielles dans le secteur Hull, accorde un rabais de 75 % du compte de taxe annuel pour 5, 6, 7, 8 ou 10 ans, en fonction des critères satisfaits par les logements. Un boni de deux ans est aussi octroyé pour une certification LEED ou Novoclimat, sans compter que les projets LEED admissibles aux subventions de Rénovation Québec peuvent solliciter un soutien additionnel de 2 500 dollars par logement.
Ailleurs au Canada, des municipalités assument le leadership en matière de bâtiment vert avec en tête Vancouver et son approche EcoDensity. L’administration vancouveroise a résolu de promouvoir la densification selon une approche douce privilégiant le développement sur des friches urbaines et des terrains municipaux. Entre autres prescriptions, les nouveaux développements requérant un changement de zonage seront contraints d’atteindre LEED Or dès 2010. Toujours en Colombie-Britannique, la Ville de Maple Ridge offre pour sa part une exemption de taxe bonifiée pour les bâtiments résidentiels de plus de quatre étages qui atteignent la certification LEED Argent.
Autre exemple : à New Caledon, en Ontario, les développeurs obtenant la certification LEED ont droit à un rabais de 20 % sur les droits d’aménagement, qui s’élèvent à 18 700 dollars pour une résidence de plain-pied. Des rabais supplémentaires peuvent être obtenus pour l’obtention d’un niveau supérieur de certification ou pour l’inclusion de technologies spécifiques.
Encore un exemple canadien ? La Ville de Calgary, en Alberta, s’est dotée d’un plan appelé ECO (Environmental Construction Operations) afin de développer des mesures de contrôle des impacts environnementaux sur les chantiers de construction. Depuis février 2008, les nouvelles infrastructures municipales de plus de 500 mètres carrés devront être certifiées LEED ou BuiltGreen.
Les leaders américains
Du côté des États-Unis, on trouve le meilleur comme le pire en matière de politique du bâtiment. Pour ne garder que le meilleur, soulignons que plus de 80 villes, 20 municipalités et 30 États offrent maintenant des incitatifs à la construction verte. Après Boston, Austin, Cincinnati, Pittsburgh et Portland, les engagements récents de la Ville de New York et de l’État de la Californie sont en voie d’en faire les nouveaux leaders du créneau.
New York parce qu’elle a adopté le Greener (Greater Buildings Plan). En plus d’imposer une réglementation plus contraignante en matière de systèmes mécaniques et de formation des techniciens spécialisés dans la performance des bâtiments, et d’établir un fonds pour aider à financer les travaux d’efficacité énergétique, la Ville obligera les administrateurs de bâtiments de plus de 50 000 pieds carrés à réaliser un audit énergétique tous les 10 ans.
La Californie, elle, a adopté en 2008 le California Green Building Code, un complément au code du bâtiment applicable sur une base volontaire, mais dont certaines provisions vont devenir obligatoires en 2010. Parmi celles-ci on trouve notamment une réduction de 20 % de la consommation d’eau des bâtiments. Le code exigera par ailleurs une étanchéité supérieure de l’enveloppe du bâtiment et l’usage de matériaux à faible émission de composés organiques volatils.
Ce n’est pas le fruit du hasard si de nombreuses villes canadiennes et américaines ont pris le parti de favoriser la construction durable. Comme le bâtiment vert permet de réduire la pression sur plusieurs services publics, il contribue d’autant à réduire leurs coûts d’immobilisation et d’exploitation. Sans oublier qu’il s’accompagne d’une augmentation des revenus fonciers, en raison de la plus value des édifices écologiques, et de bénéfices environnementaux indéniables, comme la réduction des îlots de chaleur urbains.
C’est au chapitre de la gestion de l’eau et du site de construction que le bâtiment vert peut apporter les avantages les plus tangibles aux municipalités. Moins d’eau consommée, c’est moins d’eau pompée, traitée et rejetée. De la même manière, le recyclage et la réutilisation des matériaux génèrent moins de déchets à acheminer vers les dépotoirs. En plus de diminuer les coûts de fonctionnement des services d’aqueduc et d’enfouissement, le bâtiment durable permet de prolonger la vie utile des infrastructures puisque la même capacité de traitement permet de desservir plus de ménages et d’entreprises. Un impact moindre sur le site est de plus synonyme de contrôle de l’érosion sur les terrains à forte pente et de protection des milieux fragiles.
La carotte ou le bâton ?
Pour stimuler l’essor du bâtiment vert, les outils privilégiés par les villes nord-américaines se résument essentiellement à la révision de la réglementation, à l’allocation de bonus de densité, à l’obtention accélérée de permis de construire en échange de meilleures performances environnementales et, enfin, à la provision d’un soutien technique ou financier comme incitatif à la construction écologique.
Au Québec, il faut savoir que la Loi sur les compétences municipales permet de réglementer la construction et l’exploitation de terrains pour assurer la protection de l’environnement. Et que pour favoriser le bâtiment durable sur une base volontaire, les villes – les municipalités régionales de comté aussi – peuvent offrir des subventions sous différentes formes. Par exemple, elles peuvent concéder des allégements fiscaux ou offrir du soutien technique aux projets qui ne sont pas assujettis à la Loi sur l’interdiction de subventions municipales, tant dans les secteurs résidentiel, commercial et industriel.
Au moyen d’un règlement de zonage adéquat, elles peuvent également orienter le développement vers des zones déjà développées et desservies par les services publics. Elles peuvent y limiter la taille des lots à bâtir et concentrer les activités loin des écosystèmes sensibles comme les milieux humides. Sans compter que leur règlement de zonage peut exiger que les propriétaires prennent des mesures pour réduire le ruissellement des eaux de pluie et l’érosion sur leur terrain, notamment avec la plantation d’arbres et la limitation des surfaces imperméables.
Il est aussi possible pour les villes d’exiger des standards de construction plus élevés que ceux prescrits par le Code de construction du Québec : interdiction de l’usage de matériaux toxiques, irrigation et une plomberie plus efficaces, normes de performance énergétique supérieures à celles spécifiées par la Loi sur l’économie d’énergie dans le bâtiment, etc. Tout comme elles peuvent récompenser l’obtention d’une certification comme Novoclimat ou LEED.Pour les développements sur des friches, il est également possible d’exiger des promoteurs un plan d’aménagement d’ensemble qui tienne compte de certains paramètres écologiques : protection et valorisation des milieux naturels, orientation des maisons selon le principe solaire passif, etc.
En milieu bâti, un tel niveau de contrôle peut être exercé en recourant à un plan d’implantation et d’intégration architecturale. Conçu initialement pour assurer la qualité architecturale des projets de construction, cet outil peut être utilisé pour réglementer l’aménagement des terrains, l’implantation des bâtiments sur le site ainsi que le choix des matériaux et des techniques de construction en fonction d’objectifs de développement durable.
Enfin, dans le cas des projets immobiliers nécessitant une exception au règlement de zonage, une ville peut exiger l’intégration de pratiques plus durables, en contrepartie, ceci en négociant sur une base individuelle.
Le défi à relever
Malgré l’annonce de projets innovants comme celui de la Cité verte, à Québec, aucune municipalité n’a encore exigé à ce jour l’atteinte d’une certification environnementale pour les projets privés. Au mieux, quelques villes obligent les constructeurs à prendre des mesures particulières relativement à la conservation des arbres, la protection des cours d’eau et la gestion des eaux de ruissellement. D’autres, comme Sainte-Martine, offrent des incitatifs aux petits constructeurs.
Passer de l’exemple à l’exigence comporte son lot de difficultés. Dans plusieurs cas, on souhaiterait privilégier l’approche volontaire plutôt que la réglementation pour promouvoir le bâtiment écologique. De l’autre côté, il n’est pas souhaitable que chacune des municipalités au Québec réinvente la roue en matière de construction durable. Avec l’adoption attendue d’un code unique à toutes les villes et municipalités du Québec, un code davantage axé sur la performance des systèmes, chaque région devra revoir son système d’inspection et de suivi de la qualité de construction. C’est une occasion idéale de déterminer la place d’une tierce partie à l’intérieur du processus de construction.
La recette pour construire de manière durable est de mieux en mieux connue : des matériaux et systèmes efficaces et durables ; de meilleures pratiques de conception et de construction ; et de bons outils de certification et de mesure des performances. Un ingrédient important manque cependant trop souvent à l’appel : la volonté de réinventer les façons de faire. Dans une industrie aussi fragmentée, cette volonté ne peut venir uniquement de quelques acteurs clés et donneurs d’ouvrage visionnaires.
À l’heure où l’on considère le bâtiment durable comme l’élément central d’un aménagement du territoire responsable, les municipalités et les villes québécoises doivent relever le défi politique que représente la transition vers le bâtiment vert afin de se réinventer pour devenir non seulement plus vertes, mais aussi plus prospères.
- Augmentation des revenus fonciers à cause du parc immobilier privé de meilleure qualité
- Diminution des frais d’entretien des infrastructures d’aqueduc et d’égout
- Optimisation des services de collecte, de traitement et d’enfouissement des déchets
- Revitalisation des quartiers et des lieux centraux
- Préservation des écosystèmes et des zones vertes naturelles
- Positionnement comme leader et capital d’image verte
- Diminution des coûts d’entretien des réseaux énergétiques
- Amélioration de la qualité de vie
- Diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES)
- Bonus de densité en fonction de l’atteinte d’objectifs de performance environnementale
- Obtention accélérée ou rabais sur l’obtention des permis de construire
- Soutien technique et financier, par exemple :
- subventions ou congés de taxes municipales ou de taxes sur les infrastructures
- offre de formation ou d’accompagnement public pour un projet vert
- harmonisation de la réglementation pour inciter (ou minimalement se positionner comme neutre à cet égard) l’implantation de systèmes et l’utilisation de techniques de construction et de matériaux favorisant l’obtention de crédits LEED ou favorisant les bonnes pratiques reconnues comme équivalentes.